Derrière la porte de l’un des bungalows se cache le désordre de l’antre de Blau.

Blau a besoin d’un environnement à son image: confus et bordélique beau dans ses mirages. Beau selon elle.

Blau se trouve belle. Comme elle trouve tout beau partout. Il y a du beau partout après tout.

Blau cherche le beau et pour cela elle marche.

Blau marche à grands pas et ses grands pas font comme tanguer son grand corps.

Et ses grands pas font comme vibrer de vent ses vêtements colorés, bariolés, se chevauchant les uns les autres, les uns aux autres superposés; et ses grands pas font comme cliqueter à sa peau blanche comme neige qui bronze au soleil comme dore un pain au four, et à  on cou, ses oreilles et ses bras, mille petites bricoles bricolées par ses soins, dénichées par ses doigts. Des colliers, des bracelets, des boucles d’oreilles dépareillées, faits de boulons, de vieilles pièces de monnaie, de fleurs - de vraies -, de bonheur. Son bonheur à elle de se traduire dans ses objets.

Et ses grands pas, ils semblent faire résonner tout cela comme des chansons, de drôles de chansons, des chansons chantées par des voix éraillées pour qui chaque note est brève comme un heurt. Et ses cheveux, ce sont les violons.

Ils viennent en douceur, comme une ondulation, le flux et le reflux que l’on sent au fond de nous et qui ne nous quitte pas même de retour au sable sec. Ils viennent en douceur, longs, et blonds, blonds comme les blés, blonds comme l’est Blau.

Ils sont les violons. Les violons qui engloutissent et atténuent son pas bringuebalant.

Son pas qui fait comme tanguer son grand corps. Son grand corps qui ne s’étend pas vers le ciel mais qui a l’air de le porter sur ses épaules voûtées. Son grand corps qui courbe pour voir le monde d’en bas, et au sommet duquel un visage sourit; un visage auréolé d’une blondeur fraîche comme l’eau palpitante coulant d’un arrosoir.

Blau ☼ Nom de famille?

Travail sincère, créatif et original mais tournant un peu trop au tour du pot. On vous demande quelques informations sur vous, pas sur vos arrosoirs
QUESTION DE POINT DE VUE

Consigne: présentez-vous brièvement

Bonjour. Je suis Tommy, l'arrosoir de la Plante Verte de Blau (c'est un plant de rues qu'elle a sauvé d'un terrain vague qui n'allait plus être vague, sur le chemin vers la maison). Il y a aussi Roger, mais lui il s'occupe de ses cohiules. Il n'a pas le beau rôle: ils sont comme Blau, les cohiules, ils ont le mal du pays. Sauf que Blau veut découvrir le Chili, et les cohiules, ils veulent le retrouver. Ca ne doit pas être la même chose, puisque Blau sourit beaucoup, et que les cohiules, eux, font souvent la tête.
Il y a aussi des arrosoirs au chômage. Cassie, Nemo, Ulysse, Nicotine, Alex, Rayban et Poquito. Ils n'ont pas de plante dont ils doivent s'occuper alors ils se contentent d'être là. Alex a failli devenir le pot pour la Plante Verte, mais il y avait un joli vase ébréché qui traînait dans la chambre depuis un bout de temps (Blau l'avait eu à un vide-grenier et elleElle quoi?). Alors Blau a décidé d'en faire la nouvelle maison de la Plante Verte. Elle a l'air très heureuse comme ça.
Si c'est moi qui présente Blau, c'est parce que je la connais très bien: je vis chez elle, dans sa chambre, depuis très longtemps.
Pour commencer il faudrait décrire sa chambre. Parce que c'est l'habitat naturel d'un animal qui en dit le plus sur sa nature. (voilà la preuve qu'elle suit les cours de SVT de Mrs Lee ☼)
Maintenant, Blau: son nom, c'est Blau Nivea Alcala-Sango. Dans cette ordre. Et les lettres aussi, sont dans cet ordre. Blau a douze ans. Elle est blonde avec des yeux d'un bleu vert très clair, et c'est une fille. Ca paraît évident mais si c'est évident c'est bien pour une raison, non? C'est parce que c'est important. Je ne saurais pas dire en quoi, et elle non plus, mais c'est important. Et en parlant de trucs important: Blau vient du Chili. Elle veut y aller un jour. D'ailleurs, elle manque souvent de dire "y retourner". Alors qu'elle y a jamais mis les pieds. C'est parce qu'elle sent qu'elle vient de là, c'est comme une partie de sa vie qu'elle aurait oubliée pour ne l'avoir jamais vécue. C'est là, quelque part. Comme s'il fallait juste un déclic pour que tout lui revienne.
Elle est comme ça, Blau. Elle est très rêveuse. D'ailleurs ça a toujours été écrit dans ses bulletins: élève rêveuse, élève dans les nuages, élève dans la lune, élève... Elle rêve trop, c'est vrai. Elle a toujours plein d'idées et au lieu de les réaliser... Elle s'imagine les réaliser. C'est qu'elle est très flemmarde, Blau. Vous le remarquerez vite. Et vous lui ferez vite remarquer. C'est que lorsqu'on a autant d'idées dans la tête, on ne sait jamais par où commencer. Un jour elle voudra écrire des poèmes à deux colonnes comme les Arabes, un jour ce sera des haïkus sur les saisons qui passent, un autre jour elle voudra faire de la poterie, et au final, elle aura juste tressé un douze-millième bracelet (elle adore tresser des bracelets avec les fils et les rubans qu'elle trouve, elle en a des tas) et rêvassé des heures durant.
Parce qu'elle adore ça, rêvasser. Elle aime beaucoup de choses, aussi. En fait, arroisoirement, je peux vous dire que je n'ai jamais vu Blau ne vraaaiment pas aimer quelqu'un ou quelque chose. Et je la connais depuis longtemps. C'est pas qu'elle veut être aimée en retour, c'est juste qu'elle adore aimer. Pourquoi elle s'en priverait? Ça ne coûte rien de le faire et ça fait plaisir à au moins une personne! Même quand ce n'est pas réciproque (exemple: les mathématiques. Ils rejettent son amour. La pauvre). Elle, elle ne jette rien. Bon, peut-être les mouchoirs usagés, d'accord. Et encore, elle a déjà f Mais Blau, elle trouve toujours une raison de garder des choses ou d'en ramasser d'autres. En général, il n'y en a pas, alors elle sort son argument de secours: « qui sait, ça pourra peut-être servir un jour ». C'est vrai pour certaines choses, j'avoue (le vase de la Plante Verte, par exemple). Mais pas pour tout. De toute façon, qu'on approuve ou pas, elle le fera quand même: elle n'en fait toujours qu'à ça tête, et ça lui convient très très bien. Et pourtant, même si c'est une tête de mule, elle est peaaaaace. Toujours le sourire aux lèvres. Tiens, vous l'avez déjà vue sans son sourire? Je ne crois pas non. Elle aime bien sourire alors elle ne s'en prive pas. En plus, c'est joli les sourire. Même lorsqu'« il n'y a pas de raison », comme ils disent. Elle répond toujours qu'il n'y a surtout pas de raison de tirer la gueule.

Qui est-elle, Blau? Elle est un peu comme vous tous: tellement, tellement de choses. De souvenirs, des expériences, des couleurs, des saveurs, des odeurs, des textures, des idées, des sentiments, des douleurs. Tellement de choses. Et plus on en sait, moins c'est assez. La différence entre Blau et vous, ce qui fait de Blau une humaine un peu à l'écart de tout, c'est l'interprétation de toutes ces choses: Blau est sensible à souhait mais Blau est introvertie et réservée. Pas timide, non, pas renfermée: elle vous sourira, radieuse, si jamais vous l'abordez. Car Blau est un peu comme un arrosoir.

Blau a des litres de choses en elle. Des idées, des concepts, des idées de concepts. Des choses qui se répètent. Des vers à jeter, des couleurs mêlées, des notes de musique. Confuses.

Blau est multitude dans les gouttes qui se cachent derrière sa plastique bariolée et qui forment un tout. Indiscernables les unes des autres.

Alors, Blau en oublie ce qu’elle a à l’intérieur, n’en a qu’une vague idée. Qui va et vient, vague, et vient. Sauf, et c’est là qu’elle se différencie de l’arrosoir, ce qui l’excite, ce qui lui plaît, ce dont elle a hâte; ça, pour sûr qu’elle s’en rappelle à merveille.

Mais pour le reste, Blau est un arrosoir.

Elle a le même mode de fonctionnement: accumuler jusqu’à n’en plus pouvoir, accumuler jusqu’à n’en plus savoir compter ce que l’on contient, et ne déverser, ne montrer de son soi, de son intérieur, que des raies translucides et vivaces. Au goutte à goutte. Pour faire pousser des plantes. Des mauvaises herbes et des fleurs.

Et tout garder. Ce n’est pas à l’arrosoir de sacrifier ce qu’il a engendré. Tout ce qui fait de Blau, Blau, elle le ressent énormément et a besoin de l'exprimer. Pas par les mots, mais par la créativité. Rien n'est à jeter. Plus que dans ses pinceaux, elle s'embrouille dans sa propre identité. Blau est dure à décrire, en somme. Vous l'êtes aussi. L'humain est difficile à décrire. Mais en général il a une ligne directrice. Il n'est pas qu'une mosaïque de choses guère autrement ordonnées que par leurs dates, pour peu qu'elles en aient.
C'est pour ça que cette question, elle continue de se poser, même lorsque vous en savez beaucoup sur la titane aux cheveux de blé: qui est-elle, Blau?


La vie, c'est de nombreuses interrogations.

Pour Blau, la première, lorsqu'elle venait d’entrer à l’école, fut affaire vite réglée: « fallait-il allait vers les autres? » et la réponse fut non. On avait su s’occuper seule des lustres durant (on est oublieux quand on est enfant), alors on pouvait très bien se débrouiller. Après tout, on se comprenait soi-même. Rien d’autre n’importait.

La seconde fut une toute autre histoire; elle ne se formula jamais mais n’en frustra pas moins Blau lorsqu’elle apprit de la bouche de son frère aîné que la famille venait du Chili: « alors on vient du Chili? C’est où le Chili? On est au Chili, là? C’est comment au Chili? » et la pire de ces questions restait « Pourquoi on n’est pas au Chili? »

La dureté de ces questions résidait dans l’absence de réponse. Ou plutôt, l’absence de conviction dans le cœur de Blau malgré les réponses. Elle se fichait pas mal de savoir s’il y avait eu des soucis au Chili et que le Minnesota c’était bien mieux et qu’en plus il y avait un marchand de glace à en faire pâlir de jalousie tous les marchands de glace du Chili: c’était une question impossible à poser mais pressante comme une passion. En fait ce n’était pas une question, c’était un désir consistant en une seule phrase affirmative: « je veux savoir le Chili ».

Et aujourd’hui encore il n’est pas assouvi. Mais ceci est une autre histoire, et guère encore finie.

La troisième interrogation de la vie de Blau fut aussi vite réglée que la première: « si Maman demandait de ranger sa chambre et que l’on préférait la chambre en désordre, fallait-il la ranger tout de même? ». Blau développa des techniques de pseudo-rangement (enfouir des choses sous le lit, notamment), mais au fond ça ne servait à rien parce qu’au fond les choses étaient claires: Blau voulait dormir, jouer, peindre, tr-tra-travailler dans son fouilli. Et ça, ni Maman ni Papa n’ont jamais rien pu y faire.


Tr-tra-travailler. C’était une notion vague pour Blau, qui amena bientôt une quatrième grande interrogation: « qu’est-ce qu’on va faire de toi, Blau? ». C’était dit par ses parents sur le ton de la plaisanterie, mais derrière toute boutade il y a du vrai et c’est ça qui fait mouche. Enfin, sauf avec Blau, qui était aussi douée pour insister lorsque la question l’intéressait qu’elle l’était pour faire l’autruche quand la situation l’exigeait. Enfin, en l’occurrence elle ne l’exigeait pas, bien au contraire, mais comme Blau le disait si bien, QUESTION DE POINT DE Vcolor=#009900]U[/color]E.
Toujours fut-il que bientôt la seule solution fut une nouvelle interrogation de la part de Papa et Maman: « Blau, tu voudrais voir une psychologue? », suivie d’un déploiement d’arguments d’une éloquence à en faire verdir de jalousie les plus éminents chargés de communication. Ce fut sans trop de difficulté que Blau accepta, et pendant quelques séances elle assura au pédopsychologue qu’elle était heureuse à souhait et dessina avec grand entrain des familles psychédéliques souriantes et entourées de fleurs. Au final, le seul changement fut que Blau s’améliora pour dessiner les marguerites. Car ce fut elle qui décréta que non, elle n'irait plus voir ce monsieur-là et qu'elle se lancerait dans un sport pour s'organiser. Alors elle s’essaya à plusieurs activités qu’elle apprécia toutes d’une manière ou d’une autre, pour au final ne conserver que le hockey, car il ne fallait pas l’oublier, c’était un sport d’équipe et ça ne pouvait que lui faire du bien, à la blondinette.

Et bon, au final les résultats scolaires allèrent un peu mieux. Et en plus, au lieu de s’occuper des plantes qu’elle avait achetées avec l’argent de son déjeuner en rentrant du collège (et par “s’occuper” la rédaction ne veut pas seulement dire “les arroser”, mais aussi leur parler, customiser leurs pots, les déménager d’un bout à l’autre de sa chambre envahie…), elle allait à la patinoire et jouait au hockey. Et ça semblait l’amuser.


Tout allait mieux dans le meilleur des mondes et tout alla à peu près bien. D'autres interrogations se formulèrent: « on peut aller à St Paul pour le Carnaval d'hiver? », et elle se lança dans une série de créatures de neiges dans le jardin pour se mettre dans l'ambiance, ce qui amena une nouvelle question: « on beut y aller guand même? je zuis bas ziii balade ». Ou encore: « on peut aller à Minneapolis? – pourquoi? – pour rencontrer Prince! J'ai envie de lui poser des questions », et cette fois la réponse fut non, au grand regret de Blau. Il y eut aussi des questions plus futiles: « rose et orange ou verte et bleue, la tunique? » – ce fut rose et orange –, et des choses avant lesquelles elle aurait mieux fait de se poser une question, comme cette fois où toute l'équipe décida de se teindre une mèche de cheveux en bleu cobalt, leur couleur, et où au bout de quelques temps cela vira à un écœurant vert olive, parce qu'elles n'avaient décidément aucune expérience en matière de teinture.

Il y eut aussi le festival de la culture Ojibwe qu'elle ne manqua plus jamais dès la première fois où elle s'y rendit par pure curiosité, et toujours sans se poser de question, et toutes ses économies qui y passaient.

Il y eut la fin du lycée et de l'équipe, car chacune choisissait sa voix. Et il y eut la question: « où aller? » et très vite la réponse qui s'imposa fut: « Volfoni ».

Et Volfoni apporta d'autres questions, un nouveau souffle de vie: « Je peux savoir ce que tu fais? Je peux assister au cours d'art? Le prof de biomécanique est absent. Je peux voir? Regarder? Ecouter? En savoir plus? », et les questions n'en finissaient pas.