Marco.
Polo.
Marco ?
Oui Marco, t'as le même nom que ce grand explorateur, le même nom que cette légende ; sois-en fier, toi t'es rien à côté, c'est le seul truc un peu extraordinaire que t'auras dans ta vie.
Toi Marco, t'es né en Sicile. Une île pauvre. Une île sous le contrôle de la mafia. Ouais, c'était pas qu'une légende. Là-bas, t'as pu voir les flics corrompus, les corps de ceux qui coopéraient pas, les têtes de chiens de ceux qui coopéraient. Mais qu'est-ce qu'on pouvait faire aussi ? Ne pas être avec la mafia, c'était être contre. C'est comme ça que ta famille survivait. Elle payait leur taxe, baissait les yeux, courbait l'échine, et regardait ailleurs. On te l'avait dis. Tu ne devais rien voir. Rien entendre. Rien dire.
Toi, Marco, t'étais pas un résistant. Encore moins un héros. T'es pas quelqu'un d'incroyable, Marco. T'as même fais des trucs un peu dégueulasses. Mais Marco, t'as jamais bossé pour la mafia, même si tu t'es jamais rebellé non plus. T'es pas quelqu'un d'ambitieux. Tu savais qu'ici, c'était peine perdue. Que c'était un mal qui rongeait l'île, une maladie impossible à éradiquer. Que même si ça dégoûtait de le faire, trop fier, tu devais courber l'échine, pendant un temps, être soumis, un bon chien, jusqu'au moment où tu t'en irais. Ta seule fierté, c'était que personne dans ta famille, dans tes amis, personne n'avait rejoins la mafia. Du moins, pas ouvertement.

Et.
Et.
Et.

Tu es parti finalement, Marco. Même pas majeur, déjà parti. Comme ton prédécesseur, tu es parti, explorer ce monde, explorer cette Terre, à la recherche d'endroits moins perdus, d'endroits un peu plus paumés. T'as fais de tout, sans études, pleins de petits boulots, certains dont t'es pas trop fier, d'autres un peu plus. T'as voyagé en Europe, et puis un jour voilà, t'as sauté le pas. T'es allé plus loin. T'en voyais pas assez. Tu voulais trouver un endroit où tu pouvais être tranquille. Des fois, tu pensais l'avoir trouvé. Mais non. Non. Alors t'es reparti. Et puis tes pas (et ton billet d'avion) t'ont mené ici, à Volfoni. Bon. Au début, tu t'es dis que c'était pas top. Mais après tout, pour quelqu'un comme toi, le poste de jardinier c'est pas mal finalement. Et puis, il y a du soleil aussi.

Et.
Et.
Et.

T'es encore là, Marco. Deux ans après, t'es encore là. T'as suivi l'école. Putain, t'aurais pas pensé rester aussi longtemps. Et puis si finalement. En fait t'étais bien, ici. Pourtant, on savait que t'étais pas fan des USA. Mais t'étais pas très ambitieux, un peu fatigué. T'as appris à aimer ton métier. Bref, t'es resté Marco.
Au final, t'auras bien suivi ton prédécesseur.
Il doit être fier de toi.
C'est bien.
Marco ?
Polo.

Marco en vrai t'es un putain d'enfoiré, toujours à faire chier les gens, à les prendre de haut, à te taper des nanas, des mecs sans les rappeler le lendemain, sans te soucier qu'ils soient majeurs ou pas. Putain Marco, t'es vraiment trop con là, trop obnubilé par tes fleurs, tes petits bébés là, ton travail de toute ta vie. Putain Marco, t'es vraiment trop vulgaire! T'es dégueulasse Marco. T'es pas trop ambitieux, du moment que tu peux rester dans ton coin, à fumer ta clope, à ce qu'on te foute la paix, toi ça te va. Toi Marco, t'es le genre de mec à pouvoir rester toute une nuit à mater le ciel en pleine nuit, mater les étoiles parce que putain c'est beau, et puis t'as rien à dire dessus. Toi Marco, t'es pas un rebelle. Tu vas pas aller dans la rue pour manifester contre les corrompus, contre les capitalistes, contre les OGM. Toi tu vis Marco, c'est le plus important. Le plus important, c'est le présent. Au jour le jour, seconde par seconde, tu vis. Et t'as conscience que ta vie ne vaut pas grand chose, que t'es un anonyme. Mais tu ne vises pas plus haut. T'aimes bien ça.
Nonchalant. Je-m'-en-foutiste. Apathique. Branleur. Marco.

Enfin, t'es pas que négatif, Marco. Sinon, ce serait mort. T'as pas fais d'études, Marco, mais t'es intelligent. Durant tes voyages, t'as vu pleins de trucs. T'as développé une sagesse, et puis un instinct aussi. À qui faire confiance. Qui est réellement dangereux. Tu vois mieux le monde que ces enfoirés de politiciens qui restent enfermés dans leur bureau. T'as compris que le monde, ça reposait pas que sur l'argent, contrairement à beaucoup d'Américains. T'as compris que la vie, finalement, c'est une notion abstraite.
Marco, t'es une bonne oreille. Marco, tu peux être un enfoiré parfois. Mais quand tu tombes sur quelqu'un qui chiale, tu te mets à côté de lui, tu bouges pas. Tu parles pas non plus. Tu t'en fous si tu le connais pas, mais au moins, il y a quelqu'un à ses côtés. À la fin, quand il va mieux, tu lui donnes un mouchoir, et tu te casses. Ou alors, si la personne commence à parler, à se confier, et bah voilà. Tu restes, et t'écoutes. À la fin, tu donnes ton avis. Qu'il réconforte ou pas, d'ailleurs. Tu peux te faire des ennemis comme ça.
Et puis Marco, si tu vois quelqu'un se faire tabasser ou agresser devant toi, tu vas pas rester sans rien faire, à aller prévenir la police, la sécurité ou je sais pas quoi. Tu vas pas forcément chercher à te battre. Tu vas juste leur dire d'arrêter et s'ils continuent, et bah là, tu te battras. Tu t'es déjà pris des mauvais coups comme ça. Et puis tu te dis toujours que tu arrêteras ça, parce que ça te fera mourir un peu trop tôt. Mais bon, tu peux pas t'en empêcher, après tout. Enfin, après, tu restes pas forcément sympa avec les victimes non plus. Putain, faut peut-être qu'elles pensent à se défendre elles-même. Toi, tu seras pas toujours là. En même temps, t'es pas trop fan des gosses. Ils sont casse-couilles.
Marco, t'es pas le genre à t'engager dans une relation longue durée. Marco, tu veux pas te prendre la tête, en fait. Quelqu'un, de temps en temps, pour se défouler, se lâcher. Et puis après tu te casses.
Marco t'es juste fan de tes fleurs, de tes plantes, de tes parterres, de tes haies et putain, combien tu aimais ta serre. T'as dû y renoncer pour l'instant, parce que ces enfoirés de gosse se font leur petite guerre mais un jour tu la reprendras, ça c'est sûr. Quiconque abîme tes précieux bébés verra ta face cachée Marco, celle d'un père en furie, celle d'un père prêt au meurtre, pour le meurtre de son enfant. Marco, c'est la terreur du parc, le garde du corps de dame nature.
T'aimes pas avoir des dettes Marco. T'es quelqu'un de solitaire, d'indépendant, et t'as pas envie d'être à la botte de quelqu'un. Alors t'emprunte pas d'argent, tu te débrouilles par toi-même. Tu l'as appris en Sicile, avoir des dettes c'est être un chien. C'est être un esclave.  

T'es grand, brun, la peau hâlée, les yeux marrons. Bref, t'es comme la plupart des Italiens. Ça tombe bien, t'en es un. Marco, t'as des cicatrices un peu partout dans le dos, sur les bras. Marco, ça c'est le souvenir des punitions en Sicile, le souvenir de certains voyages qui se sont mal passés, des punitions, des récompenses. T'en es pas fier, t'en es pas honteux. C'est ton corps, ton passé. On peut rien y changer. T'as des piercings, sur les oreilles. Des tatouages sur les bras, une main, le dos. Ça t'en es plutôt fier. Ils sont cool. T'as encore un peu bronzé, à force de bosser à l'extérieur, sous le soleil de Floride. T'as des muscles, parce qu'il en fallait dans ta jeunesse, dans tes bagarres, et maintenant parce qu'il le faut, pour ton métier.
T'es pas trop moche, t'as un nez avec une vieille bosse, parce qu'il a été cassé, quand t'avais 14 ans. T'as des yeux qui fixent tout, qui fixent rien, un peu bizarres, qui semblent lire en vous, ou qui au contraire ne semblent rien voir. T'as des lèvres qui se relèvent toujours en un sourire moqueur, un sourire qui se fout de ta gueule. T'as pas un physique extraordinaire, un peu cassé, cabossé. Voilà, il y a pas grand chose à dire sur toi, t'es pas vraiment extraordinaire. Mais t'es pas trop ordinaire non plus. Tu sors du lot.