• Histoire
8 août 2013
Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. Et j’ai ENFIN décidé de prendre ce foutu carnet pour écrire dedans. Et oui, faut savoir que ce cahier, je l’ai acheté toute seule en décembre dernier, dans l’espoir que j’arriverais à me décoincer du cul pour écrire enfin quelque chose d’intéressant – parce que je suis persuadée qu’écrire sera une thérapie efficace contre toute l’angoisse et la colère qui écrasent mon âme.
Mais commençons d’abord par quelque chose de joyeux. C’est mon anniversaire ! J’ai 18 ans bordel, et ça, ça veut aussi dire que l’année prochaine, je bouge mon boule dans une université. UNIVERSITE ! Ça rime avec LIBERTE ! J’aurais mon appart’, pas loin de l’école, où j’pourrais enfin être débarrassée de toutes les contraintes familiales qui m’emmerdent passablement depuis quelques temps. Il faut bien que tu saches, petit journal, que j’adore mes parents. Enfin ma mère en tout cas. C’est un amour fidèle et indéfectible, que rien ni personne ne pourra briser. On saura toujours se protéger et s’apprécier malgré les disputes et les aléas de la vie. Mon père, par contre, c’est autre chose. Je l’apprécie, évidemment, puisqu’il m’a élevée et qu’on a un lien de parenté, mais vu que c’est un connard égoïste et qu’il a osé taper ma mère une fois, il peut aller se faire foutre. Même s’il me suppliait au nom des choses que j’aime le plus, ou en essayant d’éveiller pitié et amour (ce qu’il sait particulièrement bien faire quand il veut quelque chose), je me contenterai de le regarder en souriant, me délectant de son agonie.
Bon. Je suis p’t’être un peu beaucoup en colère contre lui aujourd’hui. On fait tous des conneries, parfois, on n’arrive pas à s’contrôler. Je suis bien placée pour le savoir, vu que j’ai hérité de son caractère destructeur et extrêmement colérique. Ça pue, c’est moche, mais tout ce qu’on peut faire quand la tempête éclate, c’est s’enfermer quelque part en attendant que ça passe. C’est un peu pour ça que j’essaye différentes thérapies pour essayer de canaliser toute cette rage qui boue dans mon cœur. On verra si le coup du journal fonctionne. Je doute beaucoup de son efficacité (tu l’auras compris, vu le temps que j’ai mis avant d’ouvrir ce foutu carnet), mais bon, qui ne tente rien, n’a rien.
DONC AUJOURD’HUI EST UN GRAND JOUR. Mes parents ont fait, comme à leur habitude, plein de gentilles choses pour que cette journée soit parfaite. J’adore mon anniversaire pour ça : j’ai l’impression de retrouver l’insouciance de mon enfance, quand on était tous les trois réunis et qu’on était heureux, quand mes parents s’aimaient encore. Ils souriaient avec sincérité, se disaient des choses mignonnes, et me caressaient la tête avec tant de fierté et d’amour que je rayonnais littéralement de joie. Mais bon, le rêve prend toujours fin, le Bonheur reste éphémère et mes parents ne s’aiment plus. Ils se supportent tout juste pour me faire plaisir. Et se voient donc une fois par an pour mon anniversaire. Ce midi, j’ai eu droit au super repas made in France que mon père a préparé (enfin, sa cuisinière l’a fait, faut pas déconner quand même), qui me surprend et me remplit d’enthousiasme tous les ans. Niveau cadeaux, j’ai aussi été bien gâtée : un nouveau chevalet, des livres, un appareil photo, et… Les clefs de mon petit appartement juste à côté de l’université où j’ai été acceptée ! Parfait. Parfait parfait.
Dommage que ma mère n’ait pas été mise au courant.
C’était la goutte d’eau en trop. Pif paf pouf, sous une remarque étonnée de ma mère, mon père s’est mis en colère en une fraction de seconde. Et rebelote les cris, les grands gestes idiots, les rictus haineux et les mots qui blessent. Au moment où cet abruti pété de thunes a menacé ma mère de lui faire perdre son taff pour ses conneries puériles, puis de ne plus la soutenir financièrement pour mes études, c’est moi qui ai pété un câble. Bon, étant donné que j’ai eu toute ma vie un exemple parfait de violences en face de moi, j’ai su réagir un peu différemment de lui en matière d’énervement. J’ai juste hurlé à la mort, et je me suis barrée en prenant les clés de la décapotable de mon couillon de géniteur. J’suis assez fière de moi pour le coup, parce qu’ils ne s’y attendaient pas.
Maintenant, je suis confortablement installée dans le canapé d’une amie qui habite à quelques pâtés de maison de chez moi. Dans ma malchance, j’ai beaucoup de pot d’habiter à Miami, dans le quartier d’Edgewater. La diversité est telle qu’on trouve de tout là-bas, et surtout des gens aux problèmes familiaux similaires aux miens. Je ne dis pas que c’est un facteur de cohésion sociale qui prime sur le reste, mais avec moi, ça a plutôt aidé, sachant que j’ai tendance à fuir discrètement mon chez moi quand la tension est trop forte.
Bon, j’espère que cette histoire va s’arranger. J’ai même l’espoir que mon père aille plus loin que les simples menaces. Marre que ma mère soit sous son autorité, même après leur divorce, je veux qu’elle en soit débarrassée. Pour toujours. Il n’arrivera jamais à lui faire perdre son boulot, heureusement, vu tous les antécédents merdiques qu’il a sur le dos. Mais couper les ponts, arrêter d’envoyer de l’argent pour mes études, il peut, car il a eu vent de mes envies de me débarrasser de lui. Mon beau-père veut m’adopter comme sa propre fille. C’est très touchant, et ça devient aussi un bordel familial pas possible.
On verra bien comment ça se goupille. Pour l’instant, je profite de mes 18 ans avec une bonne bière et un gros spliff entre les doigts. Donc peace, love et câlins. Merde.
15 août 2013
En relisant mon premier texte écrit il y a quelques jours, je me suis rendue compte que je n’avais absolument pas parlé de mon beau-père. J’ai un peu honte. Il n’apparaît que dans le contexte de mes emmerdes familiales, alors que c’est quelqu’un qui compte beaucoup pour moi depuis que je ne suis plus seule avec ma mère. Et cette demande d’adoption est le plus beau cadeau qu’on puisse me faire, vu mon caractère difficile et mon insupportable besoin de provoquer tout le monde. Enfin surtout lui, le mâle intrusif qui me pique ma mère, une autre forme d’autorité paternelle qui me rend méfiante, farouche, agressive. J’étais comme ça au début. Je le voyais comme un double maléfique, un deuxième père qui débarque comme ça pour me punir d’avoir été méchante, un hypocrite qui veut juste baiser ma mère. J’lui ai fait la vie dure, au début, le pauvre, il pouvait pas me parler, je l’envoyais valser avec des insultes, je le provoquais pour qu’il parte, je criais, pleurais, mordais, griffais. J’avais seulement 10 ans.
Mais au fur et à mesure, il a réussi à m’apprivoiser. Il m’a fait comprendre que tous les papas n’étaient pas comme le mien. Il m’a appris le partage, la compréhension, la tolérance, et une certaine forme de calme. Ce dernier point ne m’a pas trop réussi, j’avoue, mais j’arrive à atteindre cette plénitude dans des situations sociales critiques (comme l’engueulade avec mes parents pour mes 18 ans où j’suis juste partie – pas de crises, rien). Je l’ai enfin accepté comme un membre de ma famille lorsque j’ai décidé de vivre avec eux. La vie avec mon père est assez chaotique (chouette, puisqu’il est dans le commerce international donc assez riche, mais franchement triste, à cause de ses déplacements intempestifs et son caractère égoïste), et j’ai compris que je serais bien plus heureuse avec ma mère et son nouveau mari dans leur petite maison au centre-ville.
Surtout que je profite de tout grâce à eux. Ils ne sont pas pauvres, loin de là, mais n’ont pas la prétention des grands riches, qu’ils côtoient pourtant au quotidien (ma mère est photographe pour des magazines de mode, mon beau-père est ingénieur automobile). J’apprécie leur modestie et leurs valeurs, que je considère bien plus précieuses que les billets verts. Ce que ne comprend pas mon père. Mais passons. Ce sont les vacances d’été, je profite de la plage, du surf, du bronzage, des copains. Ciao !
10 Septembre 2013
Salut toi, j’ai pas beaucoup écrit ces derniers temps. Les vacances étaient géniales, sans une seule trace de l’horrible ombre qui pesait pourtant sur ma tête. Dans un sens, mon vœu a été exaucé : mon père n’a pas lâché l’affaire. Et du coup, j’ai été adoptée par mon beau père. J’ai enfin ce super nom trop cool de « McKenzie » ! J’adore ces origines irlandaises, ça sonne tellement bien. Mon père l’a pris comme un affront direct. Il a été très blessé que j’accepte, et encore plus vexé en voyant que la demande d’adoption n’a pas été refusée comme il s’y attendait. Eh oui, quand on fait de la merde sur un autre être vivant, qui plus est sa propre femme, il faut s’attendre aux conséquences. Alors encore une fois, cher « papa », va te faire foutre avec un poireau congelé, et viens plus me casser les couilles, ni à moi, ni à ma mère, ni à mon beau-père ! Sale mytho dégénéré !
Eh, c’est plutôt efficace de balancer des insultes à l’écrit. Je me sens déjà mieux rien qu’en crachant sur sa gueule. C’est rigolo et ça défoule. M’enfin surtout qu’il a mis sa menace à exécution : il ne paye plus ma super université hors de prix. Et malgré leurs revenus confortables, mes parents ne pouvaient se permettre de me payer l’entrée. Petit problème, là. J’aurais pu faire un procès, pour obliger mon père à payer ; mais je n’ai pas voulu. J’ai dissuadé mes parents de le faire. Stop les embrouilles, tant pis, je me trouverais autre chose. Ils n’ont pas été très contents, mais étant donné qu’ils avaient un peu honte de ne pouvoir se débrouiller seuls pour m’aider, ils ont vite lâché l’affaire.
J’aurais pu demander une bourse. Sauf que l’école en question est une université privée qui n’accepte que « l’élite sociale » (en gros les sales richous qui puent l’égocentrisme, et qui se plaignent de n’avoir que 2000 dollars d’argent de poche par semaine), et ils ont refusé de nous accorder une bourse aussi importante pour me faire entrer dans leur cursus magistral et siiiii incroyable. Ma situation est trop précaire financièrement, tu comprends, et en même temps, je peux faire plein d’autres choses, vu que je ne suis pas non plus une clocharde orpheline. Autant éviter de mélanger les classes sociales, sauf si ça peut leur faire une pub d’enfer.
J’avais un peu la rage, ces derniers jours, puisqu’avant l’été, j’étais sûre d’entrer dans cette merveilleuse école (mon père m’avait inscrite et s’était occupé de tout). Mais après réflexion, ne pas y aller est plutôt positif. Comment aurais-je pu supporter toute cette population de gosses de riches ? Moi ?! Certes, mon dossier aurait été bien meilleur que maintenant, mais j’en ai rien à foutre. Je refuse d’être malheureuse simplement pour gagner plus de thunes.
Donc maintenant que l’école a repris, que tous ces élèves bienheureux sont déjà confortablement installés sur leurs chaises de classe, je galère à trouver une autre université qui voudrait bien de moi. J’avoue qu’avec toutes ces petites situations pourries dues à mon père, je n’ai pas vraiment cherché de solutions de secours (vu qu’on m’avait dit que tout était arrangé et que je n’avais rien à faire. Foutu père qui veut tout contrôler). En fait, je n’ai pas trouvé beaucoup d’universités dans le coin qui fassent un cursus de stylisme – ma passion. Elles sont soit beaucoup trop loin, soit beaucoup trop chères. Je ne sais pas trop quoi faire…
26 septembre 2013
J’ai trouvé un petit job grâce à ma mère. Je bosse comme assistante dans son grand studio de photographie (bon, en réalité, je suis assistante d’assistante, vu que j’aide à préparer les costumes pour les modèles). C’est pas très passionnant, mais je peux voir un peu le monde de la mode via les coulisses, les tissus sont super chouettes, et je gagne un peu de sous. En attendant de trouver un autre truc, c’est pas mal.
Quand j’ai annoncé à ma mère que je voulais bosser au lieu de chercher une université, j’ai senti qu’elle était perplexe. Travailler est une bonne initiative. Pourtant sans diplômes, qu’est-ce que j’allais bien pouvoir faire ? Mais après tout, ce pouvait être une solution provisoire très bénéfique pour moi. Ce qui, pour le moment, s’avère plutôt vrai. Je ne m’ennuie pas, et même si je ne m’amuse pas non plus comme une folle, j’apprends des choses. C’est ça le plus important.
Je suis un peu triste quand même lorsque je vois que mes amis sont confortablement installés dans leur chambre étudiante, qu’ils rencontrent d’autres gens de notre âge, et qu’ils s’enthousiasment en me racontant leurs cours, leurs soirées beuveries, leurs maladresses, leurs réussites. J’aimerais être avec eux, j’aimerais leur partager mes propres découvertes, mes envies, mes peines face aux gens un peu merdiques qu’on croise, mais non. Je n’ai que deux ou trois personnes avec qui j’ai un réel contact ; les autres me snobent. Aborder les mannequins ? Même pas en rêve ! Elles m’observent comme si j’étais un extraterrestre. Les ingénieurs lumière ? Ils me parlent seulement parce que je suis la fille du grand photographe. Les stylistes ? Y’en a une qui est sympa, qui me prend pas de haut comme si j’étais un déchet. Et c’est tout. Heureusement que j’finis tôt. J’rejoins mes potes le soir, je glande, m’arrache la tronche, j’profite de ces quelques moments où j’ai l’impression de redevenir ce que je devrais être. Au fond pourtant, je sens qu’il me manque un truc. Faut que je cherche une foutue école.
17 janvier 2014
Je ne suis pas très régulière pour donner des nouvelles, je suis désolée, petit journal. Disons que la fin de l’année a été assez mouvementée ! Mon boulot m’a progressivement donné de plus en plus de mal. Je suis bien contente d’avoir un peu plus de responsabilités. Et puis je fume beaucoup. J’avoue. Je devrais pas, mais c’est tellement bon, j’arrive à ne plus penser à ma situation précaire, à mon absence d’université. J’devrais pas en faire tout un drame, vu qu’j’ai un travail et une belle maison, seulement j’ai l’impression que mon rêve de devenir une grande styliste de mode va me passer sous le nez. A cause de problèmes familiaux… Ca schlingue, merde.
Alors voilà, fumer va pas m’tuer, ça engourdit juste mon esprit. Fumer, dormir, manger, fumer, bosser, fumer, manger, fumer, dormir. C’est ma routine ! J’ressemble un peu à un zombie.
J’ai la flemme. J’ai plus cherché d’université depuis Noël. Honte à moi. Mais je désespère un peu, là. La seule école qui propose un cursus s’approchant de mon rêve vient de fermer. Je l’ai trouvée il y a un mois et demi, en fouillant les sites internet, et j’avais eu un regain d’espoir en voyant ce qu’elle proposait. Mais non, le toit s’est effondré, et paf une claque dans ma tronche. Non mais franchement, le destin s’acharne sur moi, là, pas possible. Du coup j’ai arrêté de chercher. Qu’on m’foute la paix, ça me met tellement en rage, que je vais me rouler le plus gros joint de la Terre, voilà.
1er mars 2014
Hohoho, ma période d’hibernation antipathique a pris fin, C’EST LA LIBERATIOOOOOON ! La vraie, cette fois ! Tu te souviens de cette école qui avait brusquement fermé, et qui paraissait parfaite, hein ? Elle rouvre sur un nouveau site… A Arcadia ! C’est à 3 heures d’ici ! Au final, j’ai l’impression que le destin m’aime bien. Il a carrément décidé de rapprocher l’école de moi. Une université avec un cursus théâtre, où je peux créer des costumes… C’est pas tout à fait ce que je voulais, mais je m’en doutais, niveau mode, faut pas se leurrer. Après, vu mon boulot, je suis plutôt curieuse de m’orienter dans ce domaine-là. Les mannequins sont si chiantes, et le monde pourri de la mode, ça va 5 minutes. Mon rêve serait de créer de magnifiques vêtements à mon effigie… D’être connue mondialement.
Pour l’instant va falloir que j’apprenne. Dans tous les domaines. Et le théâtre me paraît si mystérieux, intéressant… J’ai hâte d’être initiée à ses astuces, à sa magie de l’illusion, à sa beauté complexe. Je ne sais pas si ce monde du faux-semblant assumé sera similaire au monde du faux-semblant dissimulé de la mode. Seront-ils tout aussi abjects ? Ou auront-ils une grandeur d’âme supérieure à ce que je me figurais dans mes rêves d’enfant ?
En tout cas, je suis inscrite. Vu que tout le monde a été pénalisé de cette longue fermeture, les cours sont assurés sans examens à la fin de l’année. C’est plutôt bien ça, comme ça, au pire, je changerais de cursus l’année prochaine. J’aurais au mieux quelques bases pour bien commencer ma première année universitaire.
J’ai trouvé une place dans l’internat de l’université. J’ai tellement hâte de rencontrer l’univers de cette école un peu hors du commun ! Comment vont être les élèves, les professeurs, le personnel, les lieux ? Ce sera tout neuf en plus, à part quelques bâtiments ! Je me demande si je serais victime de stéréotypes physiques, s’il existe vraiment des clans… Boarf, ça, ça change jamais.