#parasol @jordan

#parasol

Ca c'est le maillot avec lequel tu te baignes pas.
Le maillot de plage, littéralement, dans lequel tu bronzes et puis basta. Pénélope ne bronzait même pas, elle avait plutôt tendance à cuire lentement comme un agneau de sept heures sous son parasol noir qui gardait très bien la chaleur. Alors elle avait son brumisateur avec elle, son ventilo de poche, sa patience infinie et son look impeccable, ça par contre y'avait rien à dire.
Et donc son joli maillot rétro une pièce bustier noir à pois blancs. Pas cher mais beau, beau mais pas pratique. Une sorte d'élégant ouroboros.

Voilà ce qu'il lui manquait, une radio. Une radio portable à poser à côté de sa serviette, avec Uroboros à fond de boîte, histoire que l'autre là sorte un jour de l'eau. Au moins pour venir écouter un peu, quoi.
Même sa glace fondait à force de l'attendre alors elle décida de la manger. Elle aurait une raison de cracher dessus si elle grossissait, au moins, à force de faire le fifou sur les vagues il la retrouverait morte d'inattention. Voilà.

Alors elle bouffait sa glace à l'italienne mais surtout au chocolat en soupirant. Très bonne, là n'était pas le problème, il fallait simplement se dire qu'il faisait excessivement chaud, qu'elle n'aimait pas franchement être dehors et encore moins dans l'eau de la plage, et qu'en grosse gothique asociale qu'elle paraissait derrière ses lunettes de soleil rondes et sa franche aussi droite que hautaine elle n'était pas du genre à attirer les regards pour de bonnes raisons.
Et en plus elle avait chié son trait de liner ce matin et ça les lui brisait menu. Ça allait, quoi qu'il en soit ; on n'allait pas à la plage pour briller par son maquillage, et surtout pas derrière des lunettes de soleil. Mais quand même.

Ah ? Une éclipse soudaine ? Un nuage ? La clémence de Dieu à son égard ? Un peu de réconfort ?
Voilà la gueule du réconfort certes mais partie comme elle était elle n'aurait craché sur rien ni personne. À part peut-être lui.

_ Jordan.

Un coup de langue bien théâtral sur la pointe de la glace. Le temps que l'info lui monte au cerveau, elle pouvait prendre tout son temps.

_ Qu'est-ce que tu deviens ?

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On dirait un peu de la bedaine vu de là mais si elle lui disait ça il risquait de lui en vouloir. Il était rigolo avec ses beignets en ceinture, mais c'est vrai que hors contexte ça faisait très... beauf. Et ça lui allait parfaitement bien.
MAIS. Au moins il était bien foutu. Et elle comprenait tout à fait l'intérêt qu'avait pu lui porter Salva maintenant qu'elle le voyait torse nu et pas forcément dégoulinant de la sueur de son match de basket. Non non, il était mignon. Il avait un peu des airs idiots mais ça se réglait en changeant l'angle de vue, et quand elle regardait ses pectoraux c'était plutôt pas mal.

Dieu qu'elle était mauvaise langue, et elle en donna un nouveau coup sur la glace en guise de bonjour. Comme si elle ne le lui avait pas souhaité, son bonjour, il la connaissait depuis le temps qu'il venait chercher ses putains de brochettes bœuf fromage et ses nouilles instantanées.
Un coup de menton vers la flotte.

_ Dans l'eau.

Il aurait tenu moins de dix secondes sans parler de lui. Bah voyons.

_ Il te fait toujours de l’œil ?

T'sais qu'il est pris ?

_ Assieds-toi si t'as deux minutes.

Regarde comme je suis polie.

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SE FAIRE OFFRIR UN TRUC ?!

Elle fit exprès d'écarquiller les yeux et se servit de sa main libre pour illustrer amplement sa réponse.

_ Le plus gros café glacé de l'existence. Et si y'en a des cappuccinos c'est encore mieux. Mais café glacé déjà c'est cool. Avec une bouteille d'eau s'il te plaît. On en a pris une mais je suis pas sûre qu'elle soit encore très fraîche.

La glace sur les lèvres. C'était toujours bizarre, la façon qu'elle avait d'avoir l'air d'exprimer un truc puis d'être à nouveau stoïque d'un coup. Jordan avait plus ou moins l'habitude maintenant, mais petite nature qu'il était ce ne serait pas étonnant de le voir faire une réflexion à ce sujet.
Quoiqu'il avait l'air étrangement clame pour une fois. On aurait dit qu'il faisait attention à ce qu'il disait. Incroyable.

_ Si tu lui montres tes abdos il va les reluquer, ça c'est sûr.

Il a beau faire semblant d'être prude maintenant qu'il est en couple ça reste un obsédé.

_ Va, va, j'te garde tes beignets. Et euh Jordan, t'es avec moi okay ? Si tu dis de la merde je te le ferai savoir. Alors parle.

Amen.

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Au moins il savait qui était Aphrodite.
Ce qu'elle ne dirait pas, et elle ne dirait rien vu la vitesse à laquelle il avait choisi de détaller, c'était que son for intérieur se foutait de sa gueule le plus magistralement du monde, mais aussi le plus affectueusement. Il faisait des efforts, des efforts touchants, et c'était quand même plus original de se faire comparer à Aphrodite que se faire dire qu'on est bonne, qui plus est à Arcadia. On aurait pu en déduire qu'il était bouseux, elle le trouvait sympa. De toute façon il n'avait jamais été méchant.
Mais bref, il était parti, elle se retrouvait seule, et elle aurait aimé pouvoir le rassurer et lui dire que non, c'était pas si nul que ça. Malheureusement abandonnée, elle se jeta sur la glace et quand elle eut finit sortit son téléphone, le rangea, attacha ses cheveux et le ressortit. Salvatore était toujours perdu quelque part dans l'eau. Dès qu'il foutait le cul dedans, il y passait l'après-midi entier. Un vrai poisson.

Jordan revint plus vite qu'elle ne l'aurait cru. C'était pas rapide mais c'était tôt, et elle l'accueillit sans lever les yeux de son téléphone, tendit la main vers le sacro saint cappuccino.

_ Pas grave pour la bouteille. Tant que c'est d'la flotte... Merci en tout cas, c'est sympa.

Mais t'es sympa de toute façon.
Elle lâcha son portable, le rangea dans son sac avec la bouteille d'eau, posa son gobelet froid dans sa nuque.

_ L'été c'est vraiment la merde des fois. Il est sensé pleuvoir mais y'a pas un nuage, ça craint. Ça va dans le Texas ? Vous survivez ?

Bah, sans doute qu'il y avait pas foutu les pieds depuis un moment mais bon. Elle leva son verre, trinqua contre sa glace en pot - truc de gamin, manquait plus qu'elle soit à la fraise - et tira sur la paille.

_ Putain mais Salva. Va falloir qu'on aille le chercher ce con, ça fait au moins une heure qu'il y est. Oh et la perfection elle est innée tu sais, j'ai pas grand-chose à faire pour l'entretenir.

Bon faut juste pas que j'enlève les lunettes parce que y'a plus délicat qu'un coup de liner foiré qu'on a eu la flemme de démaquiller mais bon hein voilà.
Un bruit de succion accentué pour lâcher la paille, et elle prit son brumisateur en le fixant dans les yeux.

_ Bon. C'pas tout ça mais comme tu es en plein dressage, je m'occupe de te punir si tu dis de la merde. Tu m'excuseras de prendre quelques précautions.

Ça va, c'est de l'eau.

_ T'as l'air super, super contrarié. Il se passe quoi ?

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Elle les voyait venir, ses bonnes résolutions, et elle fut presque vexée d'être prise pour une conne. Comme il n'était visiblement pas dans son assiette elle n'en ferait pas grand cas, du moins pas tout de suite, mais c'était la seule fleur qu'elle lui offrirait. Pas que ça la concerne un minimum, Salvatore étant sa bite comme il l'avait si bien compris, mais elle aimait ne pas être mise sur la touche. Ils formaient un beau trio.

_ Mouais, les moustiques. J'sais pas, j'ai pas une peau qui les attire mais un pote habite à côté d'un marais et c'est juste l'enfer pour lui. T'as essayé les prises magiques là, que tu branches et ça diffuse je sais pas quel truc chimique pour les buter ? Ça marche bien apparemment, mais ça pue. Enfin ça sent fort.

C'était la version polie.
Elle le regarda tremper son beignet gracieusement dans sa glace, ne réagit pas visuellement. Elle se demanda s'il était bien là pour les vendre et elle s'évertua à poser son cappuccino sur sa serviette, ouvrit le brumisateur et l'aspergea un coup.

_ Pour te payer ton permis, pour pas faire que dépendre de tes vieux, et pour t'occuper. Voilà pourquoi tu le fais. Et si ça te plaît pas t'as plein d'autres jobs si tu veux.

Il fallait bien que ça arrive. Pénélope grogna imperceptiblement quand il prononça son nom, autant pour Jordan que pour elle-même. Evidemment que ça le travaillait, il était collé à son frère comme une moule à son rocher, et la situation était encore plus pénible quand on n'avait aucun pouvoir pour la changer. Elle était là pour superviser les événements, à voir son frère retomber dans les bras d'un sombre connard par amour et à devoir s'occuper du gentil blaireau qui se retrouvait sans rien. Elle soupira en tirant à nouveau sur la paille de sa boisson, un peu trop vite puisqu'elle en eut mal au crâne, lissa sa frange avec la main.

_ T'inquiète pas. Je peux pas le sentir non plus.

Elle reprit sa respiration et en profita pour se demander jusqu'où elle pouvait aller. Et pour en venir à la conclusion qu'elle n'en avait rien à foutre.

_ Il sait très bien quoi ? Que tu le supportes pas ou que toi et Salva ça s'est fini sur l'oreiller ? Je le sens pas ce mec. Je dis rien parce que t'imagines pas combien il peut être amoureux de ce type mais ça me rend dingue. J'ai essayé, j't'assure Jordan, mais non seulement Salva est chiant et aveugle mais en plus ce connard sait se rendre impeccable.

Mis à part le fait qu'il se tape un élève, en vérité. Mais ça ne pouvait pas compter, Salva avait déjà eu à en subir les conséquences une fois. Ça suffisait.

_ Tu veux en parler ? J'sais pas ce que ça vaut à tes yeux mais je lui dirais rien si tu y tiens. Surtout parce qu'on est du même avis.

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Le pire c'était qu'il était adorable. Pas que ce fut une surprise ou une grande découverte pour l'humanité, elle avait beau le connaître moins que Salvatore vu que ce n'était pas dans la queue de la caisse de l'épicerie asiatique qu'on débattait du sens de la vie, il fallait bien lui accorder ce point. Jordan n'était pas méchant garçon. Il était pas si stupide que ça non plus et peut-être que c'était parce qu'il faisait des efforts que Pénélope le lui reconnaissait, mais ses arguments sur tous les sujets dont ils avaient parlés étaient valables et pas franchement discutables. Il y avait bien quelques thèmes qui lui faisaient faire la moue, mais Jordan n'avait jamais été mauvais ou méchant délibérément. Il pensait avec l'éducation qu'il avait reçu et qu'il se faisait et était comme il se forgeait. Ça pourrait être vachement pire.
Il lui faisait de la peine. Elle ne savait pas vraiment quoi lui dire.

_ Moi tu peux m'inviter. J'dis pas non à un voyage et encore moins si j'suis logée gratuitement. Bon faut encore que ma face de citron effrayent pas tes vieux mais moi j'ai un vagin.

Un sourire d'expressionniste allemand mais sincère, très vite perdu. Elle ne savait pas vraiment comment remonter le moral des troupes.
Sa glace était assez petite pour être portée en entier dans sa bouche, ce dont Pénélope ne se priva guère. Ses bras s'écartèrent autant que possible et, comme si elle avait été une figure divine, l'ombre s'étendait suffisamment pour que le soleil n'ait pas à lécher sa peau.

_ Viens me faire un câlin, vieille branche.

Non vraiment. Tu peux.
Elle attendit qu'il soit dans ses bras pour se refermer sur lui, sincèrement. Il faisait trop chaud pour un câlin mais tant pis. L'heure n'était pas vraiment aux caprices d'apparence.

_ Il tient à toi tu sais. On dirait pas mais on t'aime vraiment bien Jordan. Moi on dirait jamais rien de toute façon et tu connais Salva, c'est la dernière personne au monde à reconnaître ses amis. J'te le dis parce que c'est ma bite et que je suis sa raison, mais crois pas qu'il t'oubliera aussi vite que ça. Lui aussi s'il peut voyager à moindre frais ça l'arrange. Ta proposition pour le faire bosser dans le ranch de tes parents tient toujours ? Il a envie d'y aller.

Pas que pour l'argent. Vraiment.

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_ T'y habitues pas trop, hein.

C'était dit avec ironie, mais pas sûr que tout le monde puisse saisir la subtilité. Elle s'était faite à l'idée que son visage n'inspirait pas vraiment confiance et qu'elle serait privée de tout contact physique avec son asexualité pour ne rien avoir à refuser, sans doute, mais ce n'était pas comme si elle n'aimait pas les câlins.
Bref.
Jordan se retira après un petit moment et elle en profita pour aller chercher sa glace qui avait bien eu le temps de fondre contre sa langue et son palet. Il n'y en avait presque plus, mais un énorme cappuccino l'attendait en contrepartie. Quand y'en a plus...

_ T'sais que c'est pas avec nous qui faut prendre des pincettes Jordan. Couleur, origines, bridés ou chinois, on a eu tout ce dont tu peux rêver. La version polie, ouais, c'est origine, japonais, asiatique. C'est pas une insulte, tu peux y aller.

Si personne n'a de patience pour toi tu ne comprendras jamais rien.

_ Essaye de pas me le trouer d'une balle de pompe quand même. J'sais qu'il est chiant mais c'est mon répulsif à pot de colle, j'en ai besoin. C'est si tabou que ça d'être pédé chez vous ? 'Fin tu m'diras qu'on est bien placés pour parler, y'a pas grande différence entre vous et nous finalement. À un fusil près.

Ha. Ha. Ha.
Son père y avait pensé, en plus. À planquer une arme derrière le comptoir de l'épicerie. Comme si quelqu'un était assez con pour braquer l'épicerie asiatique du quartier, ou braquer les Kimimichi tout court. Fallait vraiment plus avoir un seul neurone actif.

_ Il fait trop chaud pour moi dans ton bled. Déjà qu'ici je crève, là-bas je risque même de bronzer s'il te plait. Et voilà, plus de glace. Pas de quoi, pour la proposition. De toute façon je bosse tout l'été, là tu me vois bien mais en vrai ça fait deux heures que je suis réveillée, le sacrifice du travail de nuit. On sera occupés chacun de notre côté. Mais c'est vrai qu'à part bosser j'ai pas grand-chose de prévu. J'aimerai bien me trouver un vrai appart et arrêter de crécher chez les copains.

Ça n'avait pas lieu d'être dans la conversation, mais bon. L'humeur était bavarde.

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_ Wha. T'es sacrément amoureux, toi.

Elle n'était pas assez conne pour ne pas le voir et trop peu gênée pour faire semblant. Il le lui avait à demi avoué, c'était facile, c'était plus qu'évident, et c'en devenait dangereux. Elle n'était pas très bonne psychologue de couple ou conseillère en émotions, et la situation risquait de devenir pour le moins délicate. Enfin plus qu'elle ne l'était déjà. Bah, elle avait déjà foutu les deux pieds dans le plat et avait même construit sa maison dedans, y'avait plus grand-chose à perdre.
Du moins elle le souhaitait du fond du coeur et réfléchissait tellement peu à ce qu'elle avait à faire qu'elle ne vit pas celui de son cappuccino se découvrir à vive allure.

_ Jordan, j't'assure que j'ai tout essayé. Il est amoureux lui aussi, vraiment très très amoureux. Exactement comme tu renonceras pas à lui tout de suite il renoncera pas à son cheum non plus, tu comptes faire quoi ? Attendre qu'ils se cassent la gueule et le récupérer à ce moment-là ? Tu sais combien de temps ça peut durer ?

Toute une vie s'il est aussi aveugle qu'il en a l'air. Il se paya une vague et disparut sous le sifflement moqueur de sa sœur, le bruit un peu dégueu de succion qu'elle obtenait en tirant sur sa paille à ce point.

_ T'es gentil Jordan, et je sais que Salva ne pense pas que ça à ton sujet. Il t'aime bien, c'est évident, mais il est revenu et il l'aime d'une toute autre façon. Je sais pas vraiment ce que tu peux y changer, mais te tues pas à la tâche. C'est pas utile, ni pour lui ni pour toi. Tu le perdras pas sous prétexte qu'il est amoureux. Il sait pas reconnaître ses amis mais il sait qu'il en a.

J'y veille.

_ Ou alors tu peux essayer d'arrêter de te teindre les cheveux pour attirer son attention.

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Elle fronça les sourcils.

_ Bien sûr que je veux l'appartement. Me chargerai du plein va, ça devrait aller.

Renifla pour la forme. Ce n'était pas la grâce qui l'étouffait.

_ T'es le seul à décider de ce dont tu as le droit ou pas côté sentiment. Si t'as envie d'être malheureux alors sois malheureux, mais essaye de ne pas trop souffrir. C'est pas en te flagellant que tu vas arranger les choses.

Je ne sais pas ce que c'est de perdre celui qu'on aime. Je sais pas.

_ Putain, c'est comme ça en vrai le Texas ? Ça donne pas envie. Si tu l'emmènes faire un rodéo tu me le filmes en train de se casser la gueule s'il te plaît, ça devrait se passer au début. S'il arrive à atteindre la selle. Ça ne se voyait pas, comme toujours, mais Pénélope n'était pas rassurée. D'un côté Jordan et son goût un peu trop prononcé pour le rêve, de l'autre le rêve en question qui s'éloignait de plus en plus de la réalité. Il traînait sa planche sur la plage, attendit de nouvelles vagues les pieds dans l'eau. Elle ne le quittait pas des yeux. C'est un citadin tu sais. Comme moi. On adore la ville. Surtout les grandes villes de nuit, genre pas Arcadia tu vois. Ça lui fera du bien de voir du pays, même si c'est aussi aride que le Texas. Mais si c'est possible, promène-le près d'un centre commercial ou d'un grand magasin. Et reste avec lui, il est pas vraiment à l'aise quand il n'est pas chez lui et entouré de gens qu'il ne connaît pas.

Il y en avait, des consignes de toutes sortes. Elle ne savait même pas par où commencer.

_ Je lui fais pas confiance en temps que personne Jordan, mais je crois qu'il peut rendre mon frère heureux, d'une certaine façon. Je sais pas ce que cherche Salva, lui-même n'en sait rien, et c'est pour ça qu'il déteste rester seul à ne rien faire trop longtemps. Occupe-le, fais-le bosser, donne-lui un but à la con genre je sais pas se taper tous tes frères mais le laisse pas seul s'il te plaît.

Pénélope quitta ses lunettes et n'eut pas honte de l'asymétrie de son liner quand elle le regarda dans les yeux.

_ Merci Jordan. De tout ce que tu vas faire pour lui. T'es quelqu'un de bien.

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_ Bah pas de quoi hein, c'est cool.

Pénélope était aussi gênée que lui. Elle doutait même qu'il le soit autant qu'elle, retourna bien vite se cacher derrière ses lunettes.

_ 'Fin j'comprends hein. Pour le coup de "j'suis pas sûr qu'elle soit humaine". J'fais pas grand-chose pour prouver le contraire.

Son rire forcé peina à franchir ses lèvres, alla s'écraser contre la joue de Jordan. Il tourna la tête à cet instant, Pénélope fit craquer sa nuque en se dérobant à ses yeux bruns.

_ J'suis contente aussi, faut pas croire.

Les gens ne s'attendent à rien.
Elle prit son ombrelle dans son sac et se redressa, café à la main et sandales à talons bien en évidence sur la plage. Elle n'aimait pas avoir les orteils à l'air, évitait autant que faire se pouvait de baisser les yeux dessus, convia Jordan à se joindre à son effort.

_ T'as des beignets à vendre, non ? J'peux t'aider si tu veux.

Ce n'était pas vraiment une question. Pas pour elle en tout cas.
Elle avait besoin de marcher un moment.

_ Au début j'te trouvais trop con, même pour le frangin. Maintenant je t'aime bien.

Des pages arrachées, désormais.

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Elle attrapa son bras du bout des doigts. Le traîna vers l'avant bras dessus bras dessous. Pénélope avait un peut l'impression de se marier avec le traiteur à beignets plutôt qu'avec le mari présumée, mais elle trouvait ça rigolo, alors ça passait.
Elle leva son ombrelle pour les protéger tous les deux du soleil et jeta un coup d’œil à l'eau pour vérifier que le frère ne s'était pas encore noyé. Tout allait bien, tout le monde les regardait et à raison, ils étaient encore les deux personnes les mieux foutus parmi les larves qui bronzaient sur leur serviette, les chiards qui balançaient du sable partout en courant et les têtes de con qui jouaient avec un frisbee ou un ballon un fois par an sous prétexte que c'était des activités de plage. Pour la plupart des touristes floridiens qui n'avaient pas les moyens d'aller à Miami, et c'était triste de se retrouver à Arcadia. M'enfin.

_ T'étais vraiment con, et tu l'es beaucoup moins. Je sais pas bien à qui remettre la légion d'honneur mais le fait est que c'est toi qui as grandi alors tu peux pas juste te contenter de filer tout le mérite aux autres. Par contre si t'en es toujours à te dire que ça te servira qu'à pécho Salva, y'a encore du boulot.

Des enfants qui se jetaient du sable à la gueule à coup de pelle s'arrêtèrent net en devinant combien Pénélope les fusillait du regard derrière ses lunettes sur son passage.

_ T'as pas mûri pour Salva, tu l'as fait pour toi. Maintenant t'es moins con avec lui et t'es moins con avec tes potes, avec moi, avec tes profs, tes darons, tes chiens et tes vaches. C'est aussi pour ça que tes potes te prennent la tête et que tu te sens comme une merde, mais t'sais quoi ? Si t'ouvres un peu les yeux et que tu mates autre chose que son boule tu verras qu'le frangin est pas franchement mieux. Que je le suis pas non plus. On peut p't'être s'entendre à partir de là.

Je veux bien qu'on soit amis.
C'aurait été plus simple dit comme ça et elle se demanda si elle ne ferait pas mieux de se reprendre.

_ Tu comptes vraiment reprendre le ranch de tes vieux ? Maintenant et pour toute ta vie ?

C'était exactement ce que la paire Kimimichi cherchait à fuir.

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_ C'est aussi le moment de parler à tes parents s'tu veux mon avis. La deadline approche plutôt vite pour le coup.

Ce serait bien que tu t'en sortes autrement Jordan. Que tu puisses te réveiller avec autre chose que le ranch de tes parents à ta fenêtre de vingt-trois à quatre-vingt dix ans.
Pénélope se gratta l'oreille du bout de l'ongle. Encercla son tragus doucement, grattouilla la fine croûte qui servait à le faire cicatriser. On le lui avait offert pour son anniversaire, avait rêvé d'un septum avant de se souvenir qu'elle avait des parents, avait fait son deuil rapidement. Si tout se passait bien, Salvatore s'en sortirait de son côté et elle pourrait partir à Los Angeles d'ici un ou deux ans, monterait sa radio et se ferait les contacts qu'il faudrait pour pouvoir réussir ce qu'elle entreprendrait, ce n'était pas de ressources dont les Kimimichi manquaient. Le temps passait vite, quelque part. C'en était même un peu effrayant. La pause beignet de Darla Maillot-Moche s'abrégea et en bonne Reine des Ténèbres, Pénélope embraya le pas sans s'éterniser.

_ J'te rassure direct, on n'est pas vraiment ce qu'on peut appeler de mieux. Tu sais d'où on vient et de ce dont Salvatore est capable pour ne pas être seul, de ce que je pourrais faire pour lui, on est des salauds. C'est con à dire mais on est des salauds et c'est franchement pas ce dont tu as besoin maintenant. Si on a pu t'aider, tant mieux, vraiment. Et si tu as envie de reprendre le ranch alors m'écoute pas et va le reprendre, tu vois ? Fais juste ce que tu veux mais, fais ce que tu veux avant tout. Et si t'as envie de rester à Volfoni en temps que surveillant le temps d'avoir une licence pro ou j'sais pas quoi pour rester entraîner les basketteurs, fais-le. J'sais pas. Fais ce que t'as envie mec.

Un regard à ses chaussures, très vite relevé.

_ L'habitude. Pour les godasses. « Jamais sans mes plateformes », un truc dans le genre.

Elle adorait les talons.

_ Tu sais que Salva sait marcher avec des talons ? Il m'a demandé de lui apprendre. Il roule encore plus du cul avec. Et toi, comment tu fais pour bronzer autant ?

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Il lui faisait de la peine. C'était affreux à penser mais il lui faisait beaucoup de peine, en particulier parce qu'ils n'étaient pas si différents que ça. En y repensant, on jouait beaucoup de le savoir texan et fils de cowboy mais on ne le connaissait pas tant que ça, le Emile Jordan. Tout ce que Salva avait appris il le lui avait raconté, mais la récolte était plutôt maigre puisqu'il parlait toujours des mêmes choses. Impossible de dire si Pénélope se sentait proche de lui ou si leur malheur commun était le seul centre d'intérêt qu'ils partageaient ; quoi qu'il en soit, ils n'étaient pas bien tous les deux. Pas la peine d'avoir fréquenté Yale pour s'en rendre compte.

_ T'as l'air d'avoir une brave famille, quand même.

Au moins aussi envahissante que la leur.

_ C'est bien si tu peux être soutenu, et si tu peux prendre le temps de réfléchir à ce que tu veux.

Ce qu'elle trouvait à dire était aussi plat que ses cheveux, alors elle se tut un moment, laissa son regard se perdre vers l'eau. Une main devant la bouche pour bâiller, un frisson le long du dos, des bras. Elle fronça les sourcils.

_ Salva sait se tenir. Il sait qu'il est gay depuis ses treize ans et il s'est encore jamais fait griller par ses parents. Fais-lui confiance.

Et si les siens étaient assez aveugles pour ne pas griller un de leurs fils, Salvatore ne risquait rien du tout. De mémoire, c'était la première fois qu'elle révélait cette information à quelqu'un. Elle ne s'en voulut pas un seul instant.

_ J'suis en train de me dire qu'on se connait pas Jordan. 'Fin, on est en train de se causer comme deux vieux potes, mais c'est la première fois qu'on se parle aussi longtemps j'crois. On se connait pas.

Elle croisa son regard, garda le sien bien caché derrière ses lunettes de soleil.

_ J'voulais te dire, pour ton frère. On veillera sur lui. Ne t'inquiète pas.

Pénélope ne savait pas faire comprendre qu'elle était sincère.
Ca la pesait tellement qu'on aurait juré que la lourde goutte de transpiration qui barrait son visage n'en était pas une.

_ Va falloir que vous preniez soin de vous. Tout ceux qui restent chez toi j'veux dire. Puis toute votre famille. Vous êtes pas des salauds, ce serait bien qu'on s'en rende compte aussi facilement que votre accent.