Demain j'irai.

☁ Physique et sportive ? Comme l'éducation ?
Parce que je ne le suis pas.
Vous savez, c'est vrai ce qu'on dit, que notre milieu de vie nous façonne pour que l'on y soit plus adapté. Prenez mon mode de vie par exemple: console, sieste et mauvaise alimentation, vous obtenez un résultat déjà connu à ce jour, la pantoufle. Sur les êtres humains, l'effet pantoufle se traduit par un dos voûté pour les individus de (très) grande taille comme moi, des bras ballants, des pieds traînants et en règle générale: un corps dépourvu de tout muscle et de toute énergie. Le reproche principal que l'on me fait est "tiens toi droite", il faut dire que je ne fais guère d'efforts de ce côté là. Pour éviter d'accentuer cet effet chewing-gum, j'ai coupé mes cheveux longs après m'être au préalable entraînée sur la vieille tête à coiffer de ma soeur. Le résultat est assez peu concluant : coiffeuse n'est pas ma vocation. Je les attache aussi, parce que je ne supporte pas d'avoir les cheveux devant les yeux, ça m'gêne pour voir l'écran. Et même pour voir tout court. J'me maquille pas. Et puis j'mets pas de tenues féminines non plus, alors déjà que j'ai des épaules de mec et pas de poitrine, ça n'arrange rien. A vrai dire j'm'en fous, j'passe mon temps dedans alors rien à faire. Les seules fois où je sors ce sera pour aller au lycée -et maintenant j'vais être en internat alors ce sera tout le temps- et pour aller me ravitailler en coca à la cafet', c'est vous dire si j'ai besoin de me faire belle. J'suis propre quand même, hein. J'ai l'air négligé mais ce n'est que l'air, parce que j'adore me laver, et faut que j'ai toujours les dents blanches aussi. Je me suis cassé celles de devant une fois que je me suis croûtée en courant après Jean-Félix quand il m'avait chourré mon casque: pour celle de gauche, c'était presque rien, ils ont eu qu'à limer, pour l'autre par contre ils ont du me mettre leur espèce de ciment et il jaunit pas de la même couleur que mes vrais dents alors même si j'en ai pas grand chose à faire de ma tenue, ça je fais gaffe parce que je trouve ça super moche.

Mes vêtement ne vous intéressent pas ? Vous inquiétez pas, ce sera vite fait. En fait, ma mère est plutôt grassouillette et mon père vachement grand alors comme Adriana elle s'achète ses propres vêtements et que Jean-Félix est riquiqui, c'est à moi qu'ils refilent tout. Je dois dire que j'aime bien: j'ai tout trop grand (obligée de mettre des ceintures pour les pantalons, hein) et comme les vêtements sont usés ils sont tout doux. Sinon, bah pour le reste j'dors à poil, et puis je me lave à poil aussi, mais c'est logique ça. Niveau godasses, c'est tongs l'été, sacs à pieds à la maison et DrMarteens le reste du temps, même en été parfois. Je crois bien que c'est le seul truc qui soit de première main dans ce que je porte, et le seul truc dans lequel mes parents aient investi un peu d'argent...

☁ Je serai pas objective là, je préfère vous prévenir. Déjà je fume, et avant d'râler que ça n'a rien à faire dans mon caractère vous allez me laisser expliquer, ok ? Si je fume, ça veut dire que je suis assez conne, je vous l'accorde, ça doit faire depuis la troisième je crois, je sais même plus quel âge j'avais, j'avais déjà redoublé. Je trouvais ça cool et artiste, je voulais pas faire comme ma grande soeur qui a toujours été posée en exemple pour moi alors j'ai commencé à acheter des clopes. Tout mon argent de poche y passait, alors si je voulais me différencier de ma soeur, c'était réussi, elle, elle a toujours utilisé son argent pour s'acheter du matos de dessin et des fringues. Elle a toujours été jolie et appliquée, tout mon contraire en fait, et pendant longtemps, j'ai pas pu la supporter. Je sais pas ce que je suis maintenant mais d'autant que je me souvienne, jusqu'à y'a longtemps, j'étais très jalouse et envieuse des autres. Mesquine aussi, et méprisante. Ça je le suis toujours, je le sais. Je suis orgueilleuse, mais j'essaye de le planquer derrière de la modestie excessive. J'me flatte énormément alors que je fais pas grand chose. Je crois que ça me rassure de penser que je suis exceptionnelle.

J'aime les jeux vidéos, parce que c'est dans leur monde que je me cache de mes soucis scolaires autant que de mes complexes familiaux. J'ai pas envie de changer, parce que ça va me demander beaucoup d'efforts et parce que ce serait reconnaître que j'ai été très immature et égoïste, et je suis pas prête pour ça. Déjà que j'arrive pas à savoir ce que je suis, c'pas le moment de me remettre en question ou je vais pas m'en sortir. Bref. J'aurais aimé être beaucoup de chose, notamment quelqu'un d'intéressant. J'aurais voulu être un homme ou un héros, un génie et même parfois une star de cinéma...En fait, j'aurais surtout voulu ne pas toujours être dans l'ombre de ma soeur aînée.
Ah oui, on a un point commun et c'est ça qui me donne beaucoup de complexes, on a la même passion en fait: le dessin. Je dessine depuis toujours je crois. Elle aussi. Mon grand rêve, c'est de devenir auteure et dessinatrice de bande-dessinées, je fais pas grand chose pour par contre. Adriana, veut quand à elle devenir illustratrice, genre faire des belles pubs, ou même des packagings originaux. Du coup, moi je suis partie dans un délire et une admiration sans égale pour les artistes avec un grand A, le culte de l'artiste maudit, la peinture pour la gloire et pas pour l'argent, l'artiste sans le sous à Montmartre comme dans La bohème ... Ce genre de trucs d'ado crétine. Plus trop maintenant, je fais la catharsis de mes conneries avec les jeux vidéos. C'est beau. C'est pathétique.

☁
Le plus beau moment de ma vie, c'est maintenant.
C'est de me réveiller dans l'odeur des oeufs brouillés et du pain grillé, tendrement enveloppée dans ma couette, un pied hors du lit et bavant légèrement sur l'oreiller. J'aime cette sensation plus que toute autre, ou du moins, plus que beaucoup d'autres, car c'est l'un des rares moment où mon corps tout entier est en mode veille. Même se vautrer sur le canapé est plus physique, parce que sur le canapé, à moins de regarder la télé, et encore ça demande un effort de concentration, je m'ennuie. Là tout est parfait. Je n'attends rien de la vie et elle n'attend rien de moi. J'aime ce marché, il me satisfait tout à fait. M'enfin, si on pouvait vivre dans son lit ça se saurait. Ça c'est l'appréhension. Un peu comme les humains attendent la mort, sans savoir ni où ni quand ni comment elle surviendra, moi j'attends aussi avec angoisse le moment où ma soeur va m'appeler pour me dire que le petit-déjeuner est prêt. Ou alors qu'elle a besoin de mon aide. Ou alors simplement qu'elle pense qu'il est temps que je me lève. Cette derrière raison m’horripile au plus haut point d'ailleurs. Je suis la seule à savoir quand il est temps pour mon organisme de se mettre et branle. Sans compter ma vessie bien sûr. Et mon estomac. Pour l'instant, ni l'un ni l'autre ne semble en état d'alerte, ce qui est plutôt rare en fait, mais je ne vais pas m'en plaindre, la seule chose qui pourrait troubler mon parfait repos serait donc...

_Marie-Bérangère Lefrançoooooooy ! Il est bientôt midi ! Lève ton cul et viens mettre le couvert !!!

Grumeulfeutepeuf, mon répis n'aura pas été long aujourd'hui. C'est la mort dans l'âme que je m'extirpe de mon doux nid hibernatoire et enfile les...choses qui me servent de pantoufles. Car oui, tout dans ma vie est à mon image: terne, mou et avachi, ces chaussons en sont un bon exemple. Rien de moins avenant que ces bouts de cuir bruns rembourrés de laine ressemblant plus à des grains de riz Kellogg's qu'à des chaussures conçues pour l'être humain. Une de mes amies, en France, les appelait d'ailleurs les "sacs à pieds" tellement elle les trouvait moches et disgracieux. Merci à elle. Mais ils me ressemblent, même défoncés et troués de partout, je les garde par pure fierté. Et par esprit de contradiction aussi, tout le monde me dit de les changer. Aha, c'est beau d'être fière, mais ça fait mal aux pieds, surtout sur les graviers de la cour, quand je vais chercher le courrier. Enfin, quand Adriana m'oblige à aller chercher le courrier. J'ai coupé les ponts avec tous mes amis quand j'ai déménagé, alors je ne risque pas de recevoir quelque chose de leur part, en plus envoyer un courrier qui va faire le tour du monde, ça doit douiller au niveau du porte-monnaie....je me garde bien de ce genre de fantaisies.

_T'aurais pu t'habiller quand même...
_Ouais. B'jour.
_J'ai fait des oeufs brouillés avec des nouilles complètes, tu veux bien aller chercher la casserole steuplait ?

Ouais, je savais pour les oeufs. Adriana ne fait que ceux ci depuis que nous vivons toutes les deux, elle sait que c'est la seule manière de me faire manger le jaune et le blanc: si tout n'est pas mélangé, je ne mange qu'un des deux. Dans les oeufs à la coque, je ne mange que le jaune, dans ceux aux plats, que le blanc, dans les oeufs mollets, que le jaune aussi et pareil pour les oeufs durs. Les autres on n'en a jamais fait alors je peux pas savoir, mais je suis sûre que l'un des deux doit être dégueulasse. Adriana est chou quand même, de me faire des oeufs brouillés, avec ce que je la fait chier en général, elle a la patience de se souvenir de ce genre de conneries. Merci Didie. Ah merde ! Je me brûle toujours en attrapant les casseroles, je prends le manche trop près du métal, je me retrouve avec des cloques sur les doigts de la main droite, là c'est bien parti pour, et pour jouer, c'est chiant. Pour le coup Didie, désolée, mais je mange avec les doigts, pas envie de faire mumuse avec ces saletés de couverts ou même une cuillère, ma journée est déjà pourrie, pas la peine d'en rajouter.

_Tu vas aller au lycée demain ?

Bouche pleine, gueule dans l'assiette, doigts pleins d'oeufs, je dois donner un portrait assez répugnant, là tout de suite. Non mais franchement, j'ai l'air d'avoir envie d'aller en cours ? Ça fait pas deux semaines qu'on est arrivées, j'ai horreur de leur bouffe à la con, je sais même pas me faire comprendre en anglais. Les cours du CNED, c'est bien, mais c'est de l'écrit et pour demander un truc aux ricains, c'est pas terribles. En plus je vais être la plus vieille de ma classe je parie et c'est pas du tout parce que j'ai redoublé, hein. Tout le monde le sait, que les ricains ils aiment pas c'qui sort du lot, surtout dans ce genre de lycée élitiste où il faut avoir son diplôme, grade ou je ne sais quoi avec le chapeau moche. C'pas mon cas et j'ai pas envie qu'on me pourrisse la vie parce que j'ai pas envie de bosser. D't'façons je veux faire de la bande-dessinée moi, et pour ça, j'ai pas besoin d'aller en cours.

_J'sais pô....

C'est ça, j'en sais rien. Faudra bien que j'y retourne, je pense pas qu'elle m'accordera une année sabbatique Adriana, aussi gentille et compréhensive qu'elle soit. Elle a bien trop peur que papa et maman lui tombent dessus en la traitant de fille indigne, elle qu'a toujours tout fait pour qu'ils soient fiers d'elle. C'est pour ça qu'elle va se planter, j'en suis sûre. Elle a pas réussi à être prise à l'école d'Arts Visuels de New York alors elle a déjà dû se rabattre sur celle d'ici, elle est presque pas connue. Elle a pas voulu le dire mais je sais qu'elle est super déçue et qu'elle s'en veut en plus, persuadée qu'elle est de ne pas travailler assez alors que moi, je le dis, ce qu'il lui manque, c'est de l'âme. Oui, c'est là dessus que nous sommes très différentes toutes les deux, elle a un travail très scolaire, moi je cherche la vie, et je suis sûre que, même si j'ai moins de technique, je suis plus douée qu'elle. Sans vouloir me vanter, hein. Mais on voit bien que ceux qui arrivent au sommet dans le domaine artistique, c'est pas les filles modèles avec un style lisse et léché comme un playmobil. Verlaine et ses copains, c'était l’absinthe, Basquiat c'était....je sais plus ce que c'était mais lui aussi il voguait dans l'espace la majeure partie du temps et Camille Rose Garcia, mon idole actuelle, y'a qu'à voir une de ses toiles pour comprendre qu'elle non plus elle carbure pas au thé vert.
Adriana soupire. La pauvre, je lui en donne du mal. J'fais finir par...

_Tu sais, tu vas finir par me dégoûter d'avoir des enfants.
_Tu m'enlèves les mots d'la bouche. C'est pour quoi qu'on mange ensemble aujourd'hui..?
_Parce que j'ai pitié de toi et de tes biscuits à la fraise ?
_Très drôle.

En plus ils sont pas si mauvais mes biscuits à la fraise. En fait, ils sont même bons, relativement parlant. Disons qu'ils sont américains, ça suffit. Les riacains ils sont vachement doués pour faire de la bouffe industrielle dégueulasse. Entre leurs boissons qu'on dirait du sirop de bonbons Haribo et leurs biscuits qu'on voit que c'est coloré artificiellement à des kilomètres, je crois qu'on pourrait lancer des concours de gerbe nationaux que c'est eux qui gagneraient. Obligées de commander la bouffe par internet, j'te jure, parce qu'avant de trouver une épicerie française dans cette ville, tu les élimines vite, les bonbons sirop. Mais le pire, le pire du pire, le pire de la pire de confiserie américaine d'usine, c'est le beurre de cacahuètes. Vraiment, rien qu'à ouvrir l'emballage, y'a ce parfum de atroce qui t'arrive dans la gueule, et rien qu'avec ça, je crois, un estomac normal est bon pour aller se retourner au dessus de la cuvette. Parce que oui, j'ai un estomac bionique. La preuve, c'est que, maso que je suis, j'en bouffe, de cette merde de beurre de cacahuètes, étalé sur des biscuits apéritifs à l’emmental synthétique.

_Arrête de manger ces cochonneries ou tu vas vraiment me faire pitié.
_Ouais ouais...
_En fait, c'est parce que je commence les cours aujourd'hui, je t'avais dit que y'avait un internat pour les étudiants étrangers non ? Bah voilà, donc je pars c't'aprem', je commence les cours demain.
_Et tu rentres..?
_Ce week-end. Rêve pas, tu te débarrasseras pas de moi aussi facilement Berrie. En plus ça fait que trois jours à tenir sans moi, tu devrais t'en sortir non ?
_Si je meurs empoisonnée par leurs cochonneries faudra pas t'étonner. Parce que la dernière fois que j'ai touché à la gazinière j'...
_Je me souviens très bien de ce qu'il s'est passé, merci. C'est pour ça que je t'ai préparé des plats -sains et équilibrés- que j'ai mis au frigo. T'auras plus qu'à les faire réchauffer.
_...

Vraiment, c'est une chouette fille Adriana. Vraiment, j'ai une chouette soeur qui prend soin de moi. Je le sais depuis le temps: les tiroirs de son bureau pleins de clopes que je ne suis pas sensée fumer le jour où papa et maman ont décidé de fouiller ma chambre et elle qu'a rien dit, mes fréquentations douteuses dont elle a toujours essayé de me protéger à l'époque où je déconnais vraiment....et moi qui, toujours, lui tapais des scandales pas possibles. J'crois que je me suis assagie. Enfin, en tous cas, je sais que je lui suis très reconnaissante, même si je lui dis jamais. Je crois que je suis encore une ado très immature, mais ça viendra un jour. Ouais, un jour je lui dirai merci pour ça, et puis merci pour tout. Et puis aussi que je suis heureuse que ce soit ma soeur et puis j’essaierai de lui rendre un peu de sa gentillesse. Mais pas tout de suite. Tout de suite j'y arrive pas.

_Et puis si t'aime pas c'que je t'ai fait, tant pis pour toi. Je verrai ce qu'il reste de toi quand je rentrerai mais, même crevant la dale, ça m'étonnerait que t'ai bougé ton cul de devant ta console, hein ?
_C'était de l'humour ?
_Tire pas c'te gueule va. Mets plutôt la vaisselle, moi j'vais faire mon sac. Si j'oublie quelque chose, tu m'y fais penser, d'acc' ?
_Compte sur moi.
_Ouais t'as raison, oublie.

Et elle retourne dans sa chambre. Sans insister, sans me secouer, sans comprendre qu'elle ferait bien de me filer un bon coup de pied au cul de temps en temps. Et moi c'est vers la télé que je me retourne. 180° et m'y voilà. C'est pas très grand chez nous, mais déjà c'est une maison. Une ridicule petite maison de plein pied avec de minuscules chambres, une minuscule cuisine et la salle de bain j'en parle même pas, mais c'est une maison. J'aime pas les appart'. J'aime pas l'effet boîte avec des voisins au dessus et des voisins en dessous. Déjà qu'on en a sur les côtés...Quels casse-couilles quand même. Y viennent même râler parce qu'à trois heures du mat', la lumière de notre salon n'est pas éteinte, genre l'autre gros allait prétendre qu'on l'avait oubliée et que ça les gênait, lui et sa grosse. J'étais d'vant la téloche ducon, tu veux que j'te fasse payer mon opération quand il faudra me changer les rétines ? C'est des allemands. Ouais, pas des américains. Sur un pays continent où les noirs, les blancs et les jaunes ont tous la même nationalité, il a fallu qu'on tombe à côté des roses. Et des beuglants. Quoique ça va avec je pense, c'est des attributs porcins. Je sais, c'est bas et gamin, pour faire bonne mesure, je vais flatter les autres tiens. Même avec leur bouffe dégueue, leur obésité grandissante et leur fanatisme du capitalisme que je peux me blairer ni la première ni le reste, j'aime bien les américains. Ils ont des fêtes cons, ils sont marrants. Enfin, non justement, je les trouve pas marrants, mais c'est amusant de savoir qu'on peux vivre à côté de gens qui sont à ce point persuadés d'être le centre du monde, genre leur pays il est parfait, avec le drapeau devant la porte et tout. C'est bizarre mais j'aime bien.
Voilà, je suis rassurée, je suis pas raciste.

La manette de la Xbox traîne toujours sur la table de la cuisine, elle est comme un membre de la famille à part entière. Non, je déconne, en fait c'est parce que je sais pas où la poser sans faire des pas inutiles. A la maison, Jean-Félix la posait sur la console, comme ça on l'attrapait en changeant le jeu, c'était économique, énergétiquement parlant. Mais maintenant y'a plus Jean-Félix alors y'a que mes jeux dans la console, donc j'ai plus besoin de les changer. C'est très cool d'un certain côté, mais de l'autre c'est la merde parce que maintenant que plus rien ne m'oblige à vérifier que ma douce console est pas polluée par Halo ou Call of Duty, bah je change plus les jeux. Alors c'est toujours les mêmes. J'ai beau avoir découvert récemment qu'on pouvait ouvrir le tiroir avec la manette, j'ai encore rien trouvé pour changer les disques à distance. A part qu'Adriana me le fasse, mais elle refuse catégoriquement de m'encourager dans ma mutation larvesque. Alors je joue toujours aux mêmes. Voyons qui sera le grand gagnant du jour....Roulements de tambours imaginaires...Et c'est bien sûr....
Oblivion.
Kèleusurpriiiseuh.
Heureusement qu'il a une durée de jeu assez longue, sinon je crois que j'aurais pété les plombs. J'ai du changer de jeu deux fois à tout casser depuis qu'on est arrivées au States, y'a un peu plus d'une semaine. La première on peut pas vraiment dire que ce soit changer puisque c'est quand j'ai remis un jeu dans la console dès qu'elle a été sortie des cartons. J'ai pas pu me résigner à l'abandonner à Jean-Félix. Il doit rager le pauvre, aha ! C'trop bon de se foutre de lui. J'espère que papa et maman lui achèteront pas la PS3 par contre, sinon c'est moi qui vais me retrouver comme une conne. Bref, et la deuxième c'est quand Adriana a regardé un film, comme on a pas encore acheté de lecteur de dvd, je lui prête généreusement la Xbox. Je me sentais pas de regarder le Seigneur des Anneaux pour la 578544ème fois. J'aime bien ce film mais, même avec ce putain de casting, ces décors de malade, l'héroïc fantasy, j'commence à en avoir ma claque. Pourquoi je joue à Oblivion d'ailleurs ?
Ah ouais, parce que c'est un jeu cool, même si on finit toujours pas y poutrer du monstre. J'aime pas les monstres en général. Personne ne le sait, mais ils me font peur. Personne ne le sait, personne ne doit le savoir, mais j'ai peur du noir. Et même des images de monstres, pour peu qu'ils aient l'air réels, ça va bien m'empêcher de trouver le sommeil pendant une semaine. C'est comme ça, ça me fait peur. Je suis pas une froussarde pourtant, mais j'y arrive pas. Je peux pas me voir une gueule monstrueuse, mais le pire, c'est que ma chambre est encore pleine de cartons, que y'a pas de volets, et que les ombres bougent sans cesse sur les murs et le parquet. Le premier soir, j'ai cru que j'allais crever d'hypertension. Quand j'ai peur c'est comme ça, je bouge plus, je bouge plus mais mon coeur s'affole, on dirait un batteur dans un groupe de métal version accélérée, du coup je crois que les monstres vont l'entendre et qu'ils vont tous rappliquer. Oui je sais, c'est très couillon. D'autant plus que si les monstres existaient, les journaux et la téloche nous l'auraient fait savoir depuis longtemps. Mais il n'empêche que j'ai peur et du noir et des monstres.

R.
R, c'est pour attaquer. J'ai une prédilection pour les armes blanches à courte portée ou même pour les armes vraiment longue distance comme les arcs, les arbalètes ou les snipers, mais je préfère quand même la baston et le corps à corps. J'entends les touches qui claquent sous mes doigts, ça donne une petite musique supplémentaire. Vraiment j'aime bien. C'est un style de combat un peu bourrin, je le conçois, d'ailleurs je ramasse plein de coups, mais à force de jouer j'ai une barre de santé vachement longue alors je m'en fous. Quand même, qu'est ce que je ferais si c'était un mode de combat réaliste...Et puis ça au moins, ça m'attirait l'approbation de la gent masculine, ça compensait pour toutes les fois où je n'allais pas aux soirées films à gros budget avec mes potes. Genre Thor. Quelle merde ce truc. Par contre les soirées porno, je me faisais pas prier. C'est l'avantage de n'avoir (presque) que des amis mecs, le porno, c'est pas avec les filles que tu regardes ça en général, ça les met mal à l'aise. C'est vrai que ça donne pas une image de la femme très reluisante, mais bon, c'est pas pire que les films d'action. Je trouve. J'ai p'têtre tort. J'm'en fous en fait, de l'image de la femme. Les filles m'ont jamais trop aimée, je ressemblais trop à un gars alors ça les gênait de traîner avec moi, en plus je ne me suis jamais intéressée à ce qu'elles aimaient. Pareil pour les garçons, cette fois c'est aux filles que je ressemblais trop, et là non plus, pas trop d'intérêt pour leurs trucs. Non, en fait c'est chez les geeks que je me suis vraiment fait des amis, parce que quoi qu'on en dise, les geeks sont les gens les plus tolérants du monde. On dit qu'il faut sortir de chez soit pour s'ouvrir l'esprit mais c'est pas vrai, eux ils sortent rarement et pourtant, que tu viennes de n'importe où, que tu sois un homme, une femme, un extraterrestre ou même Michael Jackson, ils en ont rien à branler. L'important, c'est que t'ais ton écran. Non même, on en trouve plein dans les cybercafés. L'important, c'est juste que tu aimes la culture multimédia. Les geeks, c'est la race suisse, le troisième sexe, la tolérance incarnée.

_J'ai rien oublié ?
_Non, j'crois pas.
_Qu'est ce que t'en sais ?
_J'en sais rien mais si j'dis oui tu vas psychoter alors je dis non.

Adriana a son grand sac en cuir contre sa hanche. J'ai toujours trouvé qu'il lui allait bien, avec ses cheveux qui frisottent sur son front et son visage de poupée, ça lui donne un côté très romantique. Très fille. Ça lui va bien, vraiment. Elle fourre sa ventoline dans son sac à main, celui avec les fleurs vertes, celui que je lui ai offert, celui qui ne va pas bien avec ses tenues en général mais qu'elle porte parce que c'est le seul cadeau que je lui ai fait jusqu'à présent. Putain. J'ai honte. J'vais lui acheter un truc pour quand elle reviendra vendredi. Elle va être claquée, je sais qu'elle va encore rester réveillée jusqu'à des heures pas possibles pour rendre ses sujets dans les temps, parce qu'elle n'est pas très rapide pour la partie réalisation Adriana, et d'ici un mois ou deux, elle va retrouver ses grosses cernes et ses bâillements intempestifs. Une bonne tarte au citron, c'est celles qu'elles préfère, ou alors une robe peut-être, un truc qui lui aille cette fois...J'verrai quand je sortirai.

_J'ai pas droit à un bisou avant de partir ?
_Ouais bisou.
_Tssst ! C'est ça !

Mais elle ne part pas. Il y a quelque chose qui la tracasse sûrement. Soit elle va vérifier qu'elle a bien tous ses papiers et on en a pour une bonne demie heure, soit elle va aller voir si le gaz est bien fermé et que je ne risque pas de m'intoxiquer. Non, visiblement ce n'est pas ça, c'est moi qu'elle regarde, je la vois dans le reflet de l'écran. Merde, encore un gobelin.

_Kessiya ?
_Tu vas aller en cours, hein ? Tu vas pas rester devant la télé jusqu'à ce que je revienne ?
_Hm...
_J'ai dit au directeur de ton lycée que le temps qu'on s'installe et tout, tu arriverais cette semaine...

Elle est sur le pas de la porte. Je sais qu'elle veut ma parole que je vais y aller, parce qu'elle ne supporte pas qu'on ait une mauvaise opinion d'elle, et qu'elle s'est engagée auprès du directeur, blablabla...Elle part alors elle pourra rien faire pour m'obliger à y aller, et même si elle était là, elle pourrait pas m'empêcher de m'arrêter à une autre station que celle du lycée, pas m'empêcher de me barrer même si elle m'accompagnait jusqu'à la grille, parce qu'elle sait que j'ai horreur des cours, alors elle veut que je lui promette, parce qu'elle sait aussi que je lui dois beaucoup et que quand je lui promets quelque chose je m'y tiens. Ça n'a pas toujours été le cas et pour la majorité des gens ce n'est toujours pas le cas, mais pour elle...disons que je lui dois bien ça.

_Hm.
_Déconne pas aller ! Tu iras demain, hein ?
_Ouais, demain. Promis. Demain j'irai.