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 Sur les chapeaux de roue... [Junko Oshime & Hélio Ohara]

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C'est une brusque secousse qui tira Junko de son sommeil. Il lui fallu un peu de temps pour se souvenir d'où elle se trouvait. Elle était assise dans le bus qui devait l'amener au campus de l'académie Volfoni, et l'arrêt en question n'était plus qu'à une dizaine de minutes de voyage. La future étudiante vérifia pour la seizième fois la présence de ses bagages, puis posa son front contre la vitre. Le voyage depuis le Japon l'avait exténué. Ses paupières étaient terriblement lourdes, et la perspective de subir le décalage horaire lui minait le moral.
Pire, le fait d'être bientôt arrivée l'angoissait au plus haut point. La batterie de sa console était déchargée depuis quelques heures, et Junko se retrouvait depuis confrontée à l'appréhension des nouveaux venus. Elle ignorait à qui s'adresser, et son anglais approximatif n'allait sans doute pas arranger les choses. La jeune fille se surprit à souhaiter ne jamais avoir quitté l'aéroport...

Nouvelle secousse.  Cette fois, son téléphone portable lui échappa des mains, et éclata au sol en plusieurs morceaux. Junko ne put retenir un cri, et se précipita pour en ramasser les pièces. L'appareil contenait toutes les informations nécessaires à son installation : numéros d'urgence, bâtiment résidentiel, numéro de chambre, emploi du temps... Bref, tout.
Or, malgré tous ses efforts, il lui fallait se rendre à l'évidence: son mobile était en miettes. Junko allait être obligée de récupérer ces informations de la manière la plus abominable qui soit : demander aux passants.

L'air déconfis, la voyageuse jeta un œil autour d'elle. Le bus était peu rempli, mais la plupart des passagers avaient remarqué sa mésaventure.  Leur expression amusée découragea la lycéenne, qui préféra se faire une raison plutôt que de quérir de l'aide. Qui sait, peut-être allait-elle se souvenir miraculeusement de ces précieuses informations...?

Sans grande surprise, la réponse fut négative. Junko avait beau retourner son esprit dans tous les sens, elle ne parvenait à arracher ni nom ni numéro des méandres de ses souvenirs. Son angoisse se mit à grimper à une vitesse exponentielle. Ce genre de situation était la hantise de tout introverti...
Le souffle court, la Japonaise décida de s'adresser à la personne la plus proche. Il s'agissait d'un homme au teint bronzé, qui déjà assis semblait bien plus grande qu'elle. Junko se mit à construire une phrase dans son esprit, qu'elle se répéta une dizaine de fois avant de se lancer.


- Hum... commença Junko. Excusez-moi...?

L'homme ne semblait pas l'avoir entendue. Rien d'étonnant, étant donné qu'elle avait parlé avec la détermination d'une souris face à une armée de chats.

- Excusez-moi...?

Cette fois, le concerné pivota le visage en sa direction. L'étudiante se raidit: sa phrase durement formulée s'était envolée. Quelques instants durant, les deux passagers se dévisagèrent, sans qu'un mot ne soit échangé. Il lui semblait que les anglophones avaient un mot pour ce genre de situation : Awkward.

- J'arrive du Japon, articula-t-elle finalement. Savez-vous où je peux trouver la résidence étudiante...?

C'était un début...
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Le paysage défilait par la large vitre du bus.
Hélio était résolument tourné vers ce dernier. Respirant à grandes bouffées, il était heureux d'avoir trouvé une place assise... et que le bus ne soit pas trop bondé. Notre homme n'aimait pas la foule, s'il n'en était pas à faire une crise de panique au moindre groupement de personnes, un bus bondé pouvait facilement devenir une épreuve pour lui et le mettre dans tous ses états.

Pourquoi ne pas prendre sa voiture alors ? C'était ce qu'il avait commencé par faire et, toute la première année, il avait délaissé les transports en commun - qu'il appréciait pourtant avant - pour son propre véhicule. Mais se cacher dans sa boite de métal ne l'aiderait pas à vaincre ses souvenirs ; il le savait et c'est pour cela que, chaque matin, plus tôt que la plupart des autres profs, il prenait le bus, c'était son effort quotidiens pour se prouver à lui-même qu'il pouvait vaincre cette peur qui menaçait de le ronger.

Mais toutes ces bonnes intentions ne rendaient pas la réalité plus agréable et, alors qu'il voyageait, Hélio se perdait invariablement dans la contemplation du paysage. Au début il avait voulu se perdre dans la musique, mais il avait très vite abandonné cette idée - il devait arrêter la musique toutes les trente secondes pour guetter la moindre conversation potentiellement menaçante.Un cri indubitablement féminin le fit presque sursauter et, comme la majorité des passagers du bus, il se retourna pour voir la jeune femme ramasser son portable. Il eut une moue de pitié, malgré son aversion pour le sexe faible, cette dernière semblait bien trop fragile pour causer le moindre mal, elle devait mesurer une trentaine de centimètre de moins que lui. Il retint sa main de tâter son torse - il savait déjà que son holster ne serait pas là, pas question de porter une arme à l'académie !
Le brésilien poussa un profond soupire, une fois arrivé en classe, tout irait mieux.

Il allait se replonger dans la contemplation du paysage histoire d'éviter un contact visuel gênant quand la jeune femme se rapprocha de lui. Marmonnant quelques mots quasi-inaudibles.
Puis elle poussa un peu sa voix.
Il jeta un regard méfiant à la jeune femme, pourquoi s'adresser à lui ? Le costume faisait sérieux ? Il fit une moue désabusée. Elle avait un accent qu'il ne parvenait pas à identifier, quand elle lui demanda ses indications, il mit quelque seconde à analyser puis compris que c'était une élève.
Son comportement changea du tout au tout.
Un sourire apparut soudain sur son visage mat, une élève, parfait, ça il pouvait gérer !

« Ha, tu es une élève transférée ? Tu ne pouvais pas tomber mieux, regardes... »

Sortant d'un geste vif son badge de professeur il le plaça en évidence sous les yeux de la jeune femme, gardant l'objet dressé alors qu'il parlait pour qu'elle puisse lire - il savait ce que c'était d'arriver dans un pays étranger et son anglais portait, lui aussi, l'accent chaleureux de sa langue natale bien qu'il soit tout à fait compréhensible.

« Je suis professeur ! Tu as besoin, d'un guide ? »
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De tous les scénarios envisageables, celui-ci était sans doute le plus inespéré. L'homme s'était révélé être un professeur, une aubaine pour les nouveaux égarés. Il parlait avec un accent qui lui était inconnu, sans doute d'Amérique du Sud, mais son vocabulaire était exemplaire. Et pourtant, la situation était à double tranchant: d'un côté, Junko était assurée de trouver son chemin. De l'autre, on avait connu mieux comme première impression... Le teint de la voyageuse vira au rouge pâle.

*Hic!*

La lycéenne réprima un hoquet. Fichu réflexe nerveux s'il en était. Elle afficha un sourire crispé, et enchaina comme si de rien était.

- Oh, mes excuses professeur, dit-elle tout en effectuant une courbette respectueuse. Mon portable s'est brisé, et mes informations étaient à l'intérieur... J'aurais simplement besoin de me rendre aux résidences étudiantes.

En effet, une fois sa chambre atteinte et son ordinateur installé, Junko n'aurait aucun mal à récupérer ses données. Elle allait rejoindre les cours le lendemain, et préférait que tout soit réglé avant l'échéance. Elle avait déjà prit suffisamment de retard dans ses études pour se permettre de prendre un jour supplémentaire... Et puis, c'était déjà une fleur que l'établissement lui faisait.
Étrangement, l'homme qui lui faisait face n'avait pas l'allure d'un enseignant. Il semblait vif, en forme, et n'avait pas cet air fatigué que l'on rencontrait souvent. Un professeur de sport, peut-être?


*Hips!*

Junko plaça son poing droit devant ses lèvres, essayant tant bien que mal de réprimer son tic. Tandis que son interlocuteur réfléchissait, elle fit mine d'observer par la vitre pour détourner le regard. Les conversations étaient loin d'être sa tasse de thé, elle devait bien l'admettre...

- Je ne veux pas vous déranger trop longtemps... ajouta-t-elle en stabilisant ses lunettes du bout des doigts.

Un ralentissement brusque du bus manqua de faire perdre l'équilibre à l'étudiante. Se cramponnant aux rebords du fauteuil le plus proche, elle attendit la réponse de l'enseignant. Intérieurement, elle avait hâte de poser ses valises dans sa chambre, la fatigue commençant à peser sérieusement sur son moral.
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La jeune femme semblait... gênée ? Non c'était un peu plus fort que ça, en même temps, sa situation n'était pas des plus agréables. Sentant qu'elle stressait de plus en plus - ses hoquets répétés qu'elle tentait de cacher et le fait qu'elle ait failli tomber ne l'aidant visiblement pas à se calmer - Hélio décida d'intervenir. Il se leva, posant une main rassurante sur l'épaule de la jeune fille, désignant le siège qu'il venait de libérer de l'autre. Notre professeur lui offrit un sourire rassurant avant de parler.

« Tu ne me déranges pas du tout, et inutile de t'excuser pour ton portable, ce n'est pas ta faute. Assieds-toi d'accord ? On arrive devant l'académie dans deux arrêts. »

Ce qui leur laissait plus ou moins cinq minutes de transport.
Hélio tendis le bras, saisissant la valise de la jeune femme pour la ramener près du siège qu'il lui offrait. Le stress si évident de l'élève lui rappelais son premier jour en tant que professeur... un souvenir bien lointain !

Chassant ses souvenirs d'une pensée, il fouilla mentalement ses affaires. Non, il n'avait pas de plan de l'académie sur lui, au mieux il avait celui indiquant l'amphithéâtre, mais il doutait que cela aide la jeune femme. En parlant de celle-ci, mieux valait ne pas la laisser ruminer sur la situation actuelle ; Hélio décida donc de faire les présentations.

« Je suis le professeur Ohara, je travaille ici depuis un an donc, ne t'inquiète pas, je vais t'emmener à la résidence. »

Il ne lui demanda pas si elle avait un numéro de chambre, inutile de l'embêter avec ça, après tout, il suffisait qu'elle donne son nom à l'accueil pour savoir - Et Hélio doutait sérieusement que son nom fasse partie des informations perdues - Le bus s'arrêta encore une fois, puis repartit. Plus qu'un arrêt.
Les quelques minutes de voyage restant se passèrent en silence pour ce qui est de notre homme, même s'il ne voulait pas la laisser à ses questionnements, il ne voyait pas vraiment avec quoi combler le silence pour l'instant.

Quand, enfin, ils arrivèrent à l'arrêt de l'académie, notre homme prit la valise de la jeune femme - qui semblait bien lourde pour sa frêle propriétaire - et lui indiqua d'un sourire et d'un signe de tête que c'était bien le bon arrêt.
Le campus était calme comme souvent en début de matinée, la véritable effervescence de la ruche universitaire ne commençant que vers 9h. Quelques élèves aux regards plus ou moins alertes se croisaient dans le parc, errant sans but ou vacant à leurs occupations.
Hélio se retourna vers la jeune femme, posant les bagages au sol un instant le temps de désigner d'un grand geste le panorama.

« Bienvenue à l'académie Volfoni ! »

Il pointa du doigt un large panneau qui représentait le plan du campus.

« Si tu veux un plan est là, mais je ne suis pas pressé donc si tu préfères que je t'accompagne et que je t'aide à porter tout ça, il n'y a pas de problème »

Certes, Hélio était normalement tout juste froidement polit envers la gent féminine, mais la jeune fille n'était en rien une femme à ses yeux - non, ce n'est pas ce genre de professeur - et son statut d'élève lui donnais un « passe-droit » quant à la paranoïa de notre homme. Elle semblait perdue et inquiète, sa valise bien lourde, et ne pas proposer son aide à un élève dans le besoin est une faute impardonnable pour tout prof qui se respecte !
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Avant de pouvoir rétorquer quoi que ce fut, l'étudiante se retrouvait assise à la place de son interlocuteur, les mains posées sur les genoux et les yeux vissés sur la banquette d'en face. D'un geste, l'homme rapprocha les valises de sa propriétaire, et lui fit comprendre qu'il allait l'accompagner. C'était là un fier service rendu à la demoiselle.

Junko se contenta de sourire de travers en opinant du chef. Le reste du chemin se fit dans un silence quelque peu gênant, mais elle était soulagée de voir que le professeur ne cherchait pas à faire de remplissage.
Il disait porter le nom de Ohara. C'était une sonorité étrange, la japonaise n'avait jamais rien entendu de tel. Cela lui servit de prétexte pour s'occuper l'esprit. Les deux arrêts passèrent pourtant bien plus vite qu'elle ne l'avait imaginé, et la lycéenne se retrouva rapidement dehors.

Écartant les bras tel un seigneur en son domaine, le professeur lui annonça l'Académie Volfoni. Le petit jour soulignait déjà la cime des bâtiments du campus, bien que l'activité était encore hésitante. Junko songea aux brochures qu'elle avait feuilleté ces derniers mois. Elle n'était pas déçue.


- C'est... grand,
fit la jeune fille, qui réalisait à quel point elle avait eu de la chance de trouver de l'aide dans cette immensité.

Monsieur Ohara mit un point d'honneur à lui proposer de l'accompagner jusqu'aux dortoirs. Ce n'était pas une mauvaise idée, car en plus d'avoir une mauvaise vue, Junko avait un très mauvais sens de l'orientation.


- Eh bien, euh... Ce n'est pas de refus, je veux dire...

Le professeur faisait tout son possible pour mettre la lycéenne en confiance. Cela avait quelque chose de rassurant, et elle lui en était intérieurement reconnaissante. Cependant, rien au monde ne semblait pouvoir empêcher Junko de s'exprimer comme cela...
La demoiselle attrapa son sac, et suivit l'homme à travers le chemin. Elle jetait autour d'elle des regards impressionnés, tentant de mémoriser l'emplacement des bâtiments. C'était grand, en effet...

Lorsqu'ils furent arrivés, la jeune fille éprouva un immense soulagement. Le calvaire du voyage prenait fin! Le dortoir des filles était plutôt large, mais l'entrée donnait directement sur l'accueil. Là-bas, Junko trouverait certainement les clés de sa chambre. Toutefois, pour l'heure, il valait mieux remercier son bon samaritain pour le service rendu.


- Je pense pouvoir trouver mon chemin d'ici, fit-elle, en se courbant face au professeur. Merci beaucoup!

C'était peu dire. Si ça n'avait été pour lui, la japonaise serait encore devant l'arrêt de bus à pleurnicher à l'heure présente. L'étudiante chassa cette idée de son esprit, et franchit le seuil de la résidence, tout en faisant signe à l'enseignant.
Pour les résidents de l'académie, la journée commençait tout juste. Pour Junko Oshime, il était temps qu'elle se termine...


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