Du terreau au sous-sol (Jay)

Il en avait eu besoin, tout d'un coup, alors il était allé la chercher là où il la planquait et à présent, il était temps d'aller la ranger. À sa place, comme toujours, pour être certain que personne ne la trouve et ne l'abîme, dans le papier plastifié qu'il avait chopé n'importe où n'importe comment mais qui la gardait protégée de la poussière et des sales pattes de ceux qui ne tenaient pas à lui ni à son amitié, au sous-sol, dans l'ancienne cave qui servait de dépotoir et qui la tenait à l'abri. Jay n'aurait pas pu rêver mieux, et c'était en partie pour cela qu'il préférait ce site à celui du Minnesota. Avec le fait qu'il fasse bien meilleur en hiver ici que là-bas, mais ça c'était un fait avéré. Même sa peluche était d'accord avec lui.
Monsieur Panda. Ce n'était ni original ni joli, à croire qu'il n'avait déjà aucune imagination à l'époque, mais Monsieur Panda était l'une de ses plus vieilles peluches. Il était chinois, pour de vrai, et avait tenu le coup toutes ces années, bien qu'il ait subit une ou deux interventions de rembourrage et parfois même de sutures. Mais son courage n'avait d'égale que sa bouille d'amour et il l'aimait, ce panda, c'était pas humain ce qu'il pouvait l'aimer.

Dans la cave une lumière. Pas la lumière du jour qui passait à travers la porte ouverte, non, Jay se rendait suffisamment souvent dans l'endroit pour savoir que la lumière naturelle ne faisait pas cela, c'était une lumière artificielle, cette d'un téléphone portable en mode lampe torche ou même d'une lampe torche tout court, c'était une lumière parasite qui signalait la présence d'un intrus et Jay avait beau être un nounours, il n'aimait pas les intrus.

- C'est bon, j'sais que t'es là. Dis-moi c'que t'es venu faire et on s'arrange.

Sa voix était un peu dure, un peu trop peut-être, surtout pour terminer par un « on s'arrange » qui semblait juste maladroit au possible. Il fit un pas de plus pour rentrer dans la pièce, ferma la porte derrière lui. Il n'y avait pas d'autre issue, ils étaient coincés là tous les deux. Mais comme ça, chacun aurait des dossiers sur l'autre et comme ça on aurait le silence des deux. Du moins c'est ce qu'il pensait.

Non mais ça va, me fout pas ta lampe dans la gueule non plus.
Ses pupilles se rétractèrent, ses paupières se plissèrent. Un roux, de ce qu'il voyait, une demie-portion de roux qui n'avait aucune foutre raison d'être ici sinon pour frimer devant ses copains. Il était quoi, lycéen ? Il avait une tête de minot, ça aidait franchement pas à savoir, et y'en avait un de roux comme ça, il était super intelligent en vrai. C'est comment déjà ? Keegan ? Merde, Eli Keegan ? Tant pis.
Le sac contre la poitrine et un pas vers lui. Son gabarit n'avait absolument rien d'impressionnant et quand bien même c'était bien le type auquel il pensait, il n'avait pas pour réputation de botter des culs, seulement celle d'être bien plus intelligent que n'importe qui. Bah voyons. Jay n'était peut-être pas le plus futé des bonhommes, mais fallait pas déconner, il n'était pas non plus plus con qu'un autre. Et là, il en allait de sa réputation à l'école. Une sécurité qu'il ne pouvait pas laisser passer.

- Ouais. Sauf que j't'ai vu et qu'tu m'as vu.

Sourire mon cul.
Il avança vers lui, le dos bien droit. Ce n'était rien, vraiment, mais ça le rendait plus grand et plus impressionnant et c'était justement ce dont il avait besoin. De l'intimider. Il aurait été cependant plus sage de déposer Monsieur Panda au lieu de le garder contre lui comme ça, sauf qu'il aurait été de rigueur de le jeter salement au sol pour faire comme s'il n'en avait rien à faire. Et ça, c'était hors de question.
Derrière le roux un mur de tonneaux, et Jay n'avait besoin de rien, pas même d'un bras, pour l'y adosser. Coincé comme un rat.

- Qu'est-c'que tu fous ici ? Z'avez pas assez du troisième étage pour faire vos conneries, avec tes p'tits copains merdeux ?

Un sourire mauvais, et un doigt sur la lampe pour la faire dégager de ses yeux. Là, comme ça, ça allait beaucoup mieux.

- Il vaut mieux que ça n'se sache pas, hein ?

- Pfff, non.

Si.
Tout à fait.
TOUT À FAIT RAISON, et c'était horrible.
Dramatique.
Catastrophique.
Son ventre trahit son angoisse à la place de son visage en grognant comme un enculé et le claquement de langue qu'il répliqua n'aidait franchement pas à sa crédibilité.
Les yeux à nouveau sur la touffe rousse, puis dans les yeux du mec à qui elle appartenait, mais pas bien longtemps. Il ne rougissait que sur commande, alors il savait que ça devait aller de ce côté-là, en plus il faisait noir alors ça aidait pas à voir quoi que ce soit parce contre il le savait qu'il avait merdé, quelque chose de correct, et il ne savait vraiment plus quoi faire.
Mais alors, vraiment pas.

- Un panda en peluche, t'as vu ça où ?

Dans ton sac gros connard.
De dieu il savait vraiment plus où se mettre c'était l'horreur. Il se sentait encore plus con que les racailles à pas vouloir le taper, il avait rien fait de toutes façons, il avait aucune foutre raison de lui casser la gueule. Il tapait sur ceux qui le méritaient, et il avait beau être roux c'était pas une raison suffisante de- OH PUTAIN C’ÉTAIT PAS LUI LE PANDA DE LA SOIRÉE D'HALLOWEEN ?!
Réalisation.
Ses yeux s'étaient écarquillés et, va savoir pourquoi, il paniquait encore plus maintenant. Comme s'il faisait partie de sa famille, en fait, et il avait vraiment l'impression que s'il se foutait de lui ça allait lui retomber sur le coin de la gueule par un quelconque miracle, genre le saint patron des pandas qui lui fait un doigt et qui lui refuse l'amour des pandas à tout jamais ou un truc dramatique dans le genre. Son rire sournois et mesquin était en fait penaud et gêné mais il força sur sa voix pour essayer de se donner l'air terrifiant. Il n'y avait pas intérêt à ce que monsieur touffe soit en théâtre parce qu'il aurait l'air franchement d'un con. Enfin encore plus, quoi.

- Tu me prends pour qui ? Un de ces pédés d'artistes qui ont de noirs secrets à cacher ? Tu sais pas qui je suis, ça se voit, sinon tu prendrais même pas la peine de discuter et tu me supplierais de déguerpir d'ici sans que j't'ai refait l'portrait au préalable et- le dis à personne steuplé. Non sans déconner le dis à personne ça fait genre trois ans que j'me démerde pour pas me faire griller avec j'me sentirai trop mal sérieux.

Merde.
Merde merde merde merde.
C'était la loose là, la loose puissance mille.
Il enviait le talent inné du Kimimichi pour retourner toutes les situations à son avantage rien qu'avec un coup de langue bien placée. Non mais pas dans ce sens-là, le coup de langue, gros dégueulasse.
Secoue la tête pour te faire oublier cette image. No homo dude.
Le roux en face de lui et la haine de savoir Evans encore plus doué pour s'en sortir parce qu'il était communément admis que Jordan Evans était un gros con. Comme Copperfield Junior, comme Pepper Bell dans un autre genre puisqu'on lui pardonnait tout, et il enviait aussi ceux qui faisaient peur pour s'en sortir. Enora Clifford, Heathcliff Malroes, Adriel Lespérance et tous ces cons-là, du coup.
Parce que lui il était trop rien pour qu'on lui foute la paix s'il le demandait gentiment. Trop personne pour être crédible, trop connu pour être invisible et négligeable, et trop peu violent pour imposer son autorité et machin, là, pouvait le constater de la plus brillante des façons.

Pa
thé
tique.

Mais pas autant que sa question.

- Parce que j'y tiens, voilà pourquoi.

Il se réservait encore le droit de cracher dessus, parce qu'il trouvait ça normal de pouvoir le faire. C'était agir en gamin, mais il était de toute façon déjà grillé pour les siècles à venir de ce côté-là alors tant qu'à faire autant s'enfoncer complètement histoire de pas faire dans la demi-mesure.

- T'en as jamais eu des peluches que tu kiffais trop pour pas les oublier chez ta mère quand tu partais dans un autre pays ?

Il la serra contre lui instinctivement. Il paraîtrait même que quand il devait aller à l'école, il la gardait sur les genoux toute la journée et qu'il ne la lâchait des yeux que si quelqu'un de confiance ou une figure d'autorité pouvait en prendre soin à sa place. Un vrai parano.
Un sifflement qui témoigna de son exaspération. Jay lui tourna le dos et s'écarta à peine du chemin avant de poser un genou à terre et se laisser tomber sur le cul. Maintenant il pouvait la sortir.

- Vas-y, ferme ta gueule et fais ta vie. Tu m'casses les couilles.