Barbouille. | [Raphaël Sorabella & Jay I. Howard]

Il était là avant lui, et c'était bien normal, puisqu'il était plus près. Jay aimait bien ce petit bonhomme. La langue était un peu confuse et il ne savait jamais trop quoi lui dire, mais il était facile à vivre malgré tout et faisait les effort qu'il pouvait faire pour se faire comprendre. Il fallait juste aller à son rythme, tout le temps, et ne pas avoir peur du silence. Ça suffisait pour effrayer la moitié de l'école sinon plus, mais les effrayés étaient cons. Il allait pas les bouffer ni même les noyer dans son silence, eux pouvaient toujours gueuler à loisir, il allait pas le leur interdire. Et puis il avait une bouille de gamin. Jay aimait bien les gamins. Quand ils étaient vivables, donc. Et Raphaël était vivable, très largement.
Il espérait qu'il s'en sorte. Aucune idée de son âge, ni même de ce qu'il faisait ici ; il y avait des établissements spécialisés pour son handicap, peut-être pas en musique mais les conservatoires faisaient preuve d'un peu plus d'ouverture d'esprit que la population moyenne de Volfoni, et Jay avait un peu peur de se retrouver à devoir casser la gueule de ceux qui faisaient partie de cette foutue population moyenne.

Il faisait bon dans le mall, et il attendait derrière les portes automatiques, emmitouflé dans son gros sweat et dans son bonnet. Étrangement, il n'avait pas chaud du tout ; peut-être l'habitude d'être habillé de la sorte, il n'en savait trop rien, ou peut-être que c'était le stress qui le refroidissait mais c'était peu probable, il n'avait pas pour habitude de trop angoisser lorsqu'il s'agissait des cours. Non, en fait, il avait surtout envie de se poser et de boire une bière. Enfin non, peut-être pas une bière. Il ne savait pas quel âge il avait. C'que c'était dur.
Il le vit alors arriver depuis l'extérieur, sortit pour l'aider à le retrouver.

- Hé bonhomme, j'suis là !

Et il lui fit signe en agitant son bras levé dans sa direction.

- Bah ouais, on va pas camper d'vant l'entrée hein.

Le problème de Jay, ce n'était pas tant son caractère que son manque cruel de tact et de douceur quand il parlait. C'était un garçon tout bonnement adorable, et tout le monde s'accordait à le dire. Il n'était pas le genre à taper, pas pour rien en tout cas, et les rares fois où il s'était retrouvé dans le bureau des conseillers d'éducation et des proviseurs n'aboutissaient qu'à des discussions longues, longues et chiantes, sans punition ni rapport, puisqu'on savait qu'il n'était pas méchant et qu'il n'était pas provocateur, voilà. Provocateur. Par contre, c'était un boulet quand il fallait de parler et en cela, ce n'était pas lui qui redorait l'image de sa spécialité. À son grand dam.
Raphaël pouvait prendre peur. Ça serait exagéré, mais pas infondé, et Jay s'en aperçut juste après avoir fermé la bouche. Comme il avait tourné la tête vers les portes, il se retourna pour lui sourire et tenter de le rassurer. Non, ce n'était pas une agression. Non, il n'avait rien dit de mal. Tout allait bien, ce n'était que lui qui ne savait pas comment dire les choses en y mettant les formes. Il ne réfléchissait pas, fallait pas faire attention. Mais bon.

Quelque chose qu'il n'assimilait pas non plus, c'était le mutisme du petit. Déjà qu'il ignorait son âge et qu'il ne lui en donnait pas un très grand - quoi, peut-être seize ou dix-sept ans, un minot quoi - son silence ne faisait que renforcer son image de petite chose fragile à protéger du mieux qu'il pouvait... S'il avait besoin d'être protégé. De ce qu'il en avait entendu du côté des racailles de Volfoni, ce n'était pas sur lui qu'on tapait le plus, et il était plus souvent ignoré que tabassé. En soi, ce n'était pas franchement un mal. Il y avait mieux, mais c'était déjà bien.
Jay ouvrit la marche et fit s'écarter les portes sur leur passage. Il n'avait pas beaucoup d'idée quant au lieu dans lequel ils allaient pouvoir s'installer pour bosser, un endroit calme de préférence, et il se souvint d'un petit salon de thé à l'intérieur de la galerie, tout nouveau et encore méconnu, qui avait cela pour lui d'être à l'une des extrémités et qui, du coup, n'attirait pas beaucoup le regard. Leur thé au jasmin était un régal, il fallait juste espérer que Raphaël aime ça.
C'était difficile, de lui parler, et son mutisme était contagieux. Jay oubliait les fondements de la discussion, en sa présence. C'était parfois très gênant, alors il s'arrêta le regarda avec le sourire, haussa un peu la voix pour qu'il l'entende dans la foule.

- Y'a un salon de thé, bon, c'est à l'autre bout du centre mais on y sera plus tranquille que dans une cafétéria ou une pizzeria j'crois. La carte est super en plus, tu veux qu'on y aille ? Au pire s't'as peur de la distance j'te porte sur mes épaules, haha !