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Adriel Lespérance
c h a c o u i l l e n i n j a z o m b i e
Adriel Lespérance
Âge du perso : 22 ans
Activité : Arts plastiques
Spécialité : Dessin au plomb, fusain et encre de chine
Fonction : Universitaire
Poste spécial : Freak de service
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Ce n’est pas à lui que j’aurais aimé parler, en ce moment. En fait, je sais même pas qui j’aimerais entendre. Si elle avait été vivante, ma mère n’aurait pas pu faire mieux que lui, et je me sens tellement brisé et pathétique que si j’appelais Jake, le simple son de sa voix me ferait sans doute pleurer à chaudes larmes. Je ne sais que trop bien à quel point il peut me rappeler la solitude déchirante que je ressens trop souvent à mon goût. J’ai pas tellement envie que Mandy me voie aussi atterré. Elle a trop de problèmes pour que je lui mette les miens sur les épaules. On ne parlera même pas de Salvatore et ses pitoyables tentatives de consolation. C’est donc les reproches téléphoniques de mon père que je me coltine. J’ai envie d’être cinq milliards de pieds sous Terre. Que son noyau m’avale. Que je devienne un tas de cendres.

-Alors figure-toi que j’ai parlé au directeur. J’ai tout de même le droit de savoir si tu as pris la responsabilité d’avoir un suivi psychologique, non? Eh bien il m’a dit que depuis que les cours ont repris, tu n’as pris aucun rendez-vous avec le psychologue. Tu peux m’expliquer ça? J’avais exigé que tu le voies régulièrement, et tu m’as complètement ignoré. Est-ce que tu t’es au moins assuré d’être surveillé par un médecin pour ton sevrage? J’espère que tu n’as pas recommencé à consommer. Tu m’entends?

J’ai pas besoin d’un psy. Celui que tu m’as forcé à voir au Minnesota était une merde, comme tous les autres que j’ai dû voir. Toute ma vie, mes décisions se sont faites sans ta sale gueule. Pourquoi est-ce que ça changerait maintenant?

-J’ai pas envie de voir ni un psy, ni un médecin.  Je gère.

Ouais, c’est ça. Je gère, hein? Je me suis jamais senti aussi merdique de toute ma vie. J’suis vraiment qu’une sous-merde étalée contre la chaussée. C’est beau, le mensonge, surtout lorsque c’est dirigé vers soi-même. La vérité, c’est que je me sens incapable de surmonter mon deuil. C’est que j’ai recommencé à me shooter comme un con. C’est que j’ai de plus en plus de mal à me présenter à mes cours ou à mon boulot. Je gère rien. Au contraire, je suis en train de complètement perdre le contrôle de ma vie.  

-Tu me prends pour un imbécile, Adriel Lespérance? Je sais que tu sèches les cours. Tu crois que je vais flamber de l’argent pour l’université et ton appartement encore longtemps si tu continues à agir comme un gamin? Nom de Dieu, je paye pour des études en arts plastiques. Rien que ça, c’est une perte de temps. Et d’argent. Si tu continues à faire n’importe quoi, tu vas finir comme ta mère.

La colère enfle en moi en même temps que le désespoir. Il n’a jamais cru que je ferais quelque chose de bien avec ma vie. C’est sa culpabilité qui l’empêche de m’abandonner complètement, et le savoir ne me réjouit pas du tout. Je suis une nuisance. Je suis un poison. Je prends une respiration tremblante, puis compte jusqu’à dix. Faut pas que je me mette à gueuler. C’est comme les larmes : si je laisse tout sortir, je pourrai plus m’arrêter.

-Si j’suis une perte de temps, arrête de me parler. J’en ai rien à battre. J’ai plus envie que tu me prennes en pitié. Et qu’est-ce que ça peut bien te foutre que je finisse comme ma mère, hein?

Je perçois son soupir exaspéré à travers le combiné. Il se tait l’espace de quelques secondes. Peut-être cherche-t-il ses mots.

-Joue-pas à ça avec moi. T’as vingt-et-un ans, agis en adulte.

-Peut-être que j’agirais comme tu le veux si t’avais été là pour m’élever.

C’est sorti tout seul. C’était bas et puéril, mais je n’ai pas pu m’en empêcher. Je sais que ça va le rendre furieux et que rien de bon ne peut sortir de cette conversation, maintenant que je lui ai dit ça. À chaque fois qu’on doit se parler, ça finit en dispute. C’est presque inévitable.

-Putain, Adriel!

Et voilà. Magie. Je l’entends abattre le poing sur ce que je devine être une table. Il y va pas de main morte, dis donc. Mon corps entier se crispe, comme si c’était moi qu’il avait frappé.

-Qu’est-ce que tu veux que je te dise, hein? Ce qui est fait est fait.

C’est la chanson des couards.

-Rien, parce que jamais je te pardonnerai pour ce que tu nous as fait, à moi et à Neka. Tu l’as tuée.

Il l’a tuée en jetant son dévolu sur la jolie amérindienne déjà fragile. Elle est tombée amoureuse, puis enceinte. Il l’a tuée en la laissant seule avec un gosse à élever et une dépression chronique à gérer. J’peux pas avaler ça. J’peux pas pardonner ça. Il a gâché ma vie avant même qu’elle commence.

-Quoi? De quoi tu parles?

Un soupçon d’inquiétude perce dans sa voix.
Oups. Il ne sait toujours pas. Il ne sait pas qu’elle a cassé sa pipe. Qu’elle s’est pendue. Je n’ai pas voulu lui dire et j’imagine que maintenant, il est trop tard pour faire marche arrière.

-Oh, j’ai oublié de te dire. Elle est morte. Sa dernière tentative a été la bonne.

Ma voix est vide de toute émotion. Je lâche cette bombe comme si elle n’allait pas me péter à la figure. Cette fois-ci, le silence de mon père ne dure pas que quelques secondes, et je suis presque satisfait d’avoir réussi à le faire taire. Je ne devrais pas, vraiment. Je devrais en avoir honte.

-T’as oublié de me le dire? Parce que ça s’oublie, ça?!

L’entendre me gueuler dessus ne fait que m’indigner d’avantage. Je me lève d’un bond du canapé et commence à faire les cents pas. Belzébuth me regarde comme si j’étais devenu fou – et c’est peut-être le cas.

-Qu’est-ce que ça peut te faire, de toute façon? T’en as rien à chier d’elle. T’as plus rien à voir avec elle et sa mort ne te regarde même pas. Tu l’as jamais aimée, à ce que je sache.

-Qu’est-ce que t’en sais?

-Si tu nous avais aimés, tu serais resté avec nous!

Cette dernière phrase, je la crie. Ma main tremble contre le téléphone. J’en ai marre. Marre de lui, marre de tout le monde, marre de moi et surtout, marre de la vie qui s’amuse à me faire chier non fucking-stop. Je prends une inspiration tremblante en passant ma main libre sur mon visage. Je le déteste. Je le hais. Je me hais. Je sens des larmes rouler contre mes joues. Depuis quand est-ce que je pleure? Pourquoi n’ai-je pas pu m’en empêcher?

-On a déjà parlé de tout ça, Adriel, et je n’ai vraiment pas envie de revenir là-dessus. C’est pour ça que tu as arrêté de suivre tes cours? Tu devrais vraiment aller voir le psychologue. Ça te ferait du bien. Est-ce que tu as recommencé à consommer? Pour l’amour de Dieu, parle-moi!

-Arrête! Arrête ça!

Faut que je me rassoie. J’ai l’impression que je vais tomber et que le sol va m’avaler tout rond. Je titube jusqu’au sofa avant de m’y affaler. C’est n’importe quoi. Je vais péter un câble. Je veux plus rien entendre. Par pitié, faites que ce flot de douleur cesse. Faites que j’arrête de ressentir quoi que ce soit, que tout se termine enfin. Un torrent de larmes se déverse sur mon visage, et j’y peux rien. Je m’entends même sangloter. C’est pathétique. Je devrais pas chialer. Il devrait pas entendre ça. Faut que j’arrête, faut que j’arrête. Arrête de pleurer, arrête!

-Adriel?

Je raccroche. Je n’ai plus la force de parler. Je me sens vidé de tout ce qui m’animait, il y a pourtant de ça pas si longtemps. À moins que ce ne soit que la vie qui m’ait peu à peu drainé de toute énergie. Je regarde mon téléphone vibrer à côté de moi sans vraiment le voir. C’est mon père qui essaie de me rappeler, mais il peut bien attendre l’apocalypse avant que je le rappelle. Je tremble toujours. C’est l’ère glaciaire qui est à l’intérieur de moi qui fait ça. C’est pas dehors qu’il fait moins quarante, mais dans ma tête.  Ma tête qui ne peut s’empêcher de déverser un flot de pensées de façon quasi-permanente. On pourrait presque croire que tandis que je continue à pleurer de façon incontrôlable, c’est des flocons de neige qui sortent de mes yeux, tabarnak. Je reste affalé jusqu’à ce que la réserve d’eau de  mon corps entier finisse par se déverser par mes canaux lacrymaux. Je me sens misérable. Je me rappelle même plus la dernière fois que j’ai autant braillé.

Une fois calmé, je prends plusieurs grandes inspirations en essuyant mon visage. Je me lève, chancelant.  C’est que j’ai une idée en tête, celle qui est parfois venue me titiller depuis quelques années, mais que j’ignorais tant bien que mal. Celle qui s’accroche à moi comme un parasite et qui me hante depuis déjà quelques semaines.

«Si tu continues à faire n’importe quoi, tu vas finir comme ta mère.»

Sa voix semble encore résonner dans mes oreilles. Peut-être que c’est ce que je veux, finir comme ma mère. Peut-être que j’y étais voué, de toute façon. On m’a forcé à naître dans ce monde de fous par pur égoïsme. Je n’ai jamais demandé à vivre, alors ce serait la moindre des choses qu’on me laisse mourir si je le désire. De toute façon, y’a pas grand-monde pour m’en empêcher, hein? On aura beau dire ce qu’on veut, on aura beau me traiter de lâche. Je serai plus là pour l’entendre et, honnêtement, cette pensée m’apaise. Je ne vois que du noir, mais étonnamment, tout est clair et limpide. Je sais ce que je vais faire. Pour une fois, je suis certain d’une chose et je n’ai pas peur. Je n’ai plus peur.

C’est vers ma cuisine que je me dirige. Lorsqu’Amber, la femme de mon père, a su que j’allais avoir mon propre appartement, elle m’a fait un cadeau vachement sympa. Des couteaux tous neufs, tout le monde en a besoin. Elle sait que j’aime bien cuisiner, mais malheureusement, je n’ai pas vraiment eu l’occasion des utiliser. C’est à peine si je bouffe un repas par jour. Enfin, c’est pas trop grave. Ils serviront à quelqu’un d’autre. J’en prends un – n’importe quel – et reste figé l’espace de quelque secondes. Je fais ça là, debout devant l’évier? C’est clair que c’est mieux que dans les toilettes. Ma mère l’avait fait là, elle, avant que je parte aux États-Unis. C’est complètement con, quand tu y penses. Qui veut crever à côté des chiottes? Si j’avais été chez elle, j’aurais choisi sa chambre. Ça aurait été ma petite vengeance stupide. Tu te pends dans ma chambre, je me taille les veines dans la tienne. Mais puisque je suis dans  mon appartement, je m’en branle un peu.

Je m’assois, le dos posé contre les armoires, et tranche sans aucune hésitation. J’appuie avec la force du désespoir sur toute la longueur de mon avant-bras. J’ai peur que si j’hésite, la mort ne vienne pas me chercher. Je ferme les yeux et attends. Je sais que ça ne saura pas tarder.
Salvatore Kimimichi
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Salvatore Kimimichi
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- Adrieeeeeel, c'est moi !

Léger accent asiatique dans la voix, petite toux d'introduction. Il savait qu'il allait se faire jeter, qu'il était sans doute la dernière personne qu'il aurait envie de voir en ce moment, mais Adriel était encore son seul contact fiable à South Orange et il n'allait pas tourner en rond pendant des heures sous prétexte que ce faux-français de merde avait autre chose à fiche qu'ouvrir sa porte à son ex plan-cul. Il avait entendu dire qu'il avait fait un petit tour à l'hôpital, aussi, qu'il s'était fait arraché l'oreille et qu'il avait fallu la lui recoller, une nouvelle histoire sordide à accoler à sa langue tranchée au hachoir de boucher et à ses douze orteils de mutant qui aurait tôt fait de faire chauffer les potins de Volfoni si seulement il s'y pointait de temps en temps.
Salvatore pensait qu'il avait fini par abandonner, mais ça ne coïncidait pas vraiment avec l'idée qu'il se faisait du québécois. C'était une grande gueule, il ne la ramenait pas beaucoup mais dès qu'il pestait contre sa vie et le monde entier, c'était facile de lui mettre le nez dans sa connerie de lui faire baisser les yeux. Il suffisait de pointer du doigt les évidences, les erreurs de jugement et surtout la grossièreté de ses généralisations pour l'envoyer valser, la prof d'art plastique l'avait très bien compris et le mettre sur un projet commun avec Enora avait du faire grouiller son estomac comme jamais. Perspective appétissante mais en rien apaisante.

- Adriel, je sais que t'es là, tu sors jamais de chez toi quand tu baddes. Ouvre, j'en ai pour une seconde. Et je ferme ma gueule, promis.

Promettre.
En voilà une belle, de promesse, qu'il n'était pas certain de tenir tout à fait. Son poing valide taquina le bois usée de cette porte d'entrée à la con, puis quand le poing ne suffit plus ce furent les ongles qui grattèrent le reste de peinture écaillée. Le plâtre le démangeait affreusement, il n'était pas certain de tenir très longtemps psychologiquement.

- Adriel, sérieux, y'a... Cette merde qu'ils mettent avant le plâtre, cette connerie de chaussette, ce truc-là, j'ai un souci avec mon plâtre, faut que j't'emprunte une paire de ciseaux. J't'assure, rien que ça, mais j'en ai pas sur moi, c'est pas le genre de truc qu'on trouve dans les poches de la faune locale de East Gibson et ce machin, là, commence à vraiment me péter les couilles alors sauve-moi la vie sans rire, y'a pas de piège je t'assure, mais fais quelque chose là je crève sans déconner.

Ça. Gratte.
Et non seulement ça gratte mais le bout de tissu qui faisait l'arrondi entre le pouce et l'index commençait à se barrer et lui sciait la main. Il n'était plus question de râler contre la porte maintenant, juste de faire cesser ça. Ses doigts gauches tiraient le plâtre qui tirait son bras et il eut l'impression de devenir fou. Véritablement.
Et il ne pouvait pas se taire, lui ?

- Mais fais sortir ton démon putain, il arrête pas de miauler ! T'es où, aux chiottes ? Bordel Léspérance ton appart' est pas suffisamment bien insonorisé pour pas entendre, merde !

Un coup de pied dans cette porte qui ne lui avait encore rien fait. Encore. C'était une pute.
Belzébuth hurlait à l'intérieur et ça lui vrillait les tympans. Son mal de crâne ne faisait qu'empirer.
Quelque chose serra sa gorge et il avait été suffisamment drogué ces derniers jours pour savoir que ce n'était pas à cause des médicaments.
Adriel.
Adriel, Adriel, Adriel.

- Ouvre avant que je la défonce.

Merde, c'était murmuré, ça.
Terrible sensation d'impuissance, le monde tournait à l'envers. À l'intérieur Belzébuth pleurait le vide.
Souffle à travers les lèvres. Etranger.
Les tremblements contre le bois fendu sonnèrent vibraient comme des cordes muettes. Il détestait le silence. Il détestait le vide.
Un point commun avec cette bête de malheur.
Son pied rentra dans le coin de la porte, recula, gravit des monts et fit sauter quelque chose qui la fit céder. Il ne savait pas vraiment quoi, c'était la première fois qu'il défonçait une porte à coups de mocassins et ni ses orteils ni ses côtes cassées n'avaient apprécié la manœuvre. Qu'à cela ne tienne, main sur la poignée, c'était ouvert.
BORDEL DE MERDE CONNERIE DE PORTE et il crut que sa main gauche aussi se casserait. Résistance superflue.

Il fallait bien se raccrocher à quelque chose pour oublier l'odeur du sang. Le goût âpre de rouille dans la bouche.
Il détestait cette sensation. Belzébuth lui mordait la cheville.
Comme si un démon pouvait avoir peur de la mort.
L'air vicié l'empêchait de respirer convenablement alors il prit une grande inspiration en retournant son visage vers l'extérieur. Tout semblait lointain, étouffant. L'impression que le parfum de colle et de goudron avait chauffé au soleil pendant des heures. Que le micro biome dans lequel il avait vécu des jours durant était pourri, littéralement pourri, qu'il avait viré dans la poubelle et qu'il stagnait, stagnait, qu'un million de germes décomposait les murs, que ce qu'il y avait dans la tête d'Adriel Lespérance avait prit une forme physique et qu'il venait de s'y embourber. Au moins, dans leur neige, le corps d'une pendue ne moisit pas. La neige dans le cœur d'Adriel avait conservé une pendue.
Un instant, il crut que c'était lui, le mort.
Parce qu'il était mort, là.
Il y avait trop de sang par terre et il était resté une éternité dehors. À se décider. Adriel aurait gueulé, il aurait gueulé contre lui à cause de la porte, mais s'il l'avait fait réparé depuis le temps qu'il lui crachait dessus, qu'elle n'arrêtait pas de se coincer qu'on veuille entrer ou sortir, qu'elle ne le faisait qu'avec lui et que ce n'était pas lui le mauvais, s'il l'avait fait réparé et bien il serait mort tout seul et personne personne jamais personne n'aurait su et le sang aurait pu bouillir personne n'aurait senti c'était une infection. Sordide.
Vraiment.
Il arracha le bout de tissu qui le gênait avec les dents et plus rien ne put retenir ses mains. Les cheveux étaient bien plus faciles à faire céder à son goût.
C'était idiot, de regarder des cheveux tomber. Ça détournait ses yeux du sang et sur le moment c'était encore ce qu'il y avait de meilleur pour lui. Sincèrement. Aucune idée de quoi faire.
Il était mort, non ?
C'était trop tard, de toutes façons. Ça saignait trop, beaucoup trop. C'était ce qu'il voulait.
Peut-être.
Il voulait vérifier le sens des stries dans ses poignets mais il y avait trop de sang. À moins que ce ne soit du mazout, du café périmé, c'était trop noir pour être du sang. Ça sentait trop pour être du sang.
Des cheveux sur le sol. À les faire tomber aussi près du marécage gluant d'Adriel, il avait l'impression de jouer dans une pêche aux canards sataniste  avec des membres humains à la place des canards. À la fin il gagnerait un poisson, comme pendant la pêche de poissons à l'épuisette, ça coûtait cent ou deux cent yens et il finirait par crever dans l'obscurité de sa chambre, comme tous les précédents.

Comme tous les précédents.
Dans la bibliothèque d'Aidan, il y avait un bouquin de psychologie qui disait qu'une fois confronté à sa phobie, il faut rester à son contact au moins vingt-cinq ou trente minutes pour la surmonter. Adriel n'avait pas vingt-cinq ou trente minutes. Il voulait être mort et un mec qui s'appelait Salvateur avait défoncé sa porte à coups de pied. Un mec qui voulait se rendre digne de son prénom et qui le faisait raisonner suffisamment dans son crâne pour que ça fasse mal, mal à en crever, et il ne comprit pas vraiment ce qu'il se passait.

- Tu l'as fait exprès, avoue. Tu l'as fait exprès parce que tu savais que je viendrai, n'est-ce pas ? Tu voulais que ce soit moi qui te trouve parce que tu sais que le seul à venir te voir à l'improviste comme ça c'est moi, que t'as personne d'autre qui vient chez toi, chez toi t'es seul et ça te convient, t'invites tes potes camés mais tu les invites, ils viennent pas chez Adriel Lespérance sans carton, tes plans cul tu les ramènes, tu savais que ce serait moi et tu voulais pas te louper pour te donner raison, parce que c'est toi qui souffres le plus et que t'avais une bonne raison de te montrer dans cet état, c'est vrai, c'est vrai, excuse-moi, j'avais oublié à quel point tu es faible Adriel, faible de te croire seul, toujours seul, de pleurer ta mère au lieu de te réjouir pour elle parce qu'elle n'est plus là, elle a finit de souffrir et toi trop con t'as cru que t'en avais assez chié et que c'était fini ? Qu'est-ce qu'il lui est arrivé, à ta mère, pour qu'elle se flingue ? Son mec s'est fiancé avec une autre ? Elle arrivait plus à dessiner ? C'est pour ça qu'elle se laissait crever la gueule ouverte sur le canapé, à boire et à se défoncer tout le temps ?

Sa voix portait loin. Il parlait fort.
C'était étrange, parce que Belzébuth n'arrêtait pas de le suivre. Il se prenait les serviettes de la salle de bain qu'on lui jetait dessus par inadvertance sans rien faire d'autre que feuler. Adorable.
Toutes ses serviettes étaient blanches. Il avait déjà merdé avec la porte, pas besoin de lui faire racheter toutes ses serviettes non plus.

- C'est tout ? Vraiment ? Si elle a vu toute sa famille crever devant ses yeux, si elle s'est faite violer, si elle a souffert mille morts déjà, toi t'as rien vécu Adriel. Comment tu peux prétendre la rejoindre alors que toi, ta vie elle commence, et que t'as pas le quart de son vécu ? Je l'ai pas non plus mais tu as bien vu mes poignets Adriel, ils sont lisses, ils sont doux, ils sont beaux mes poignets. Les marques que j'ai dans le cou, sur les cuisses et sur le cul c'est Saerbhreathach qui me les fait quand on baise, parce que j'ai eu l'excellente idée de baiser avec un prof, ouais, c'est pour ça que je suis à Volfoni et que je t'emmerde tu vois, c'est pour ça que j'ai cru mourir moi aussi quand il m'a fait viré et que je me suis retrouvé seul comme une merde à pleurer chaque jour, chaque heure enfermé dans ma chambre à être amoureux d'un mec qui ne veut pas de toi, qui s'est foutu de ta gueule de la pire des façons après t'avoir enculé pendant trois jours, trois jours entiers, avec des parents qui ne veulent rien comprendre et ma sœur à garder loin des affaires de gangs - parce que tu crois que je les ai voulu, ces conneries ? Tu crois que j'y serai allé de moi-même si j'avais pas eu des parents dealers à la base ? Déjà que je reprends pas l'épicerie, il faut bien que je fasse quelque chose de ma vie, non ? Et puis comme ça ça m'évite de m'en prendre plein le cul aussi, comme je suis nain et que je sais pas me défendre et que j'ai l'air gay, il me fallait bien quelque chose non, c'est leur travail de parents de d'assurer un bel avenir à leurs enfants, alors Pénélope elle va rester dans sa radio et moi je vais arrêter mes conneries et récupérer l'épicerie et la clientèle fidèle qui va avec ET le trafic de drogue et la clientèle qui va avec aussi, de quoi je me plains ?

Il avait la serviette. C'était l'écharpe en tissu qui soutenait son plâtre.
Le tout c'était de le toucher maintenant. Enfin de le toucher plus qu'en effleurant à peine la plaie.
Il fallait y mettre les mains, c'est ça ? Il fallait y mettre les mains en plein dedans et serrer ? Compresser ?
C'est dans quel ordre qu'on sauve quelqu'un, putain ?

- J'ai rien souffert, rien du tout, j'prétends pas tout connaître et certainement pas la douleur au point d'en venir à se pendre ou à se jeter sous un train, mais y'a rien qui justifie cet acte quand tout ce que tu fais c'est te gratter le cul toute la journée en te défonçant la gueule quand y'a des gens suffisamment cons pour s'inquiéter pour toi à ta place. Tu trouves que c'est pas la peine ? tu trouves ça égoïste de notre part ? Eh bien oui ça l'est. Si je pouvais te cracher dessus et que tu puisses le voir je te jure que je le ferais tu vois, je te jure que je pourrais te poignarder, là, si tu veux crever ben crève, crève alors, quitte à ce que ça soit définitif autant rendre ça spectaculaire en plus, non ? T'as pas la folie des grandeurs ? T'avais pas assez d'argent pour t'acheter un flingue dans l'armurerie en banlieue et pour tirer dans la...

C'est en butant sur le mot « tempe » qu'il s'aperçut qu'il gueulait en japonais. Il ne savait pas vraiment depuis quand ni comment il avait fait pour retrouver autant de vocabulaire d'un coup, tout ce qu'il savait c'était que ses mains étaient couvertes de sang, que ce n'était pas le sien, qu'Adriel avait tout l'air d'être mort et qu'il appuyait si fort sur l'entaille qu'il avait l'impression de pouvoir y enfoncer ses bras en entier.
Il est mort, c'est tout.
Il est mort.
Il n'y avait pas de raison qu'il ne le soit pas. Il n'avait pas regardé l'heure avant de venir, il faisait simplement soleil, et il voulait mourir.
Sur son plâtre Pénélope avait peint le kanji de la chance. Douze traits menteurs. Douze traits rougis de honte d'être faux. Aucune insulte ne fait pâlir les menteurs et il était persuadé qu'Adriel noyé dans son mensonge était un criminel qu'il aurait condamné à la peine de vie.
Il aurait aimé être la justice mais il peinait à sortir son téléphone de sa poche.
Le numéro d'urgence était accroché derrière la caisse et la feuille était tellement jaunie qu'il avait fallu repasser les numéros au stylo noir pour qu'ils puissent se voir.

- ... C'est toi Bobby ? C'est Salvatore, Salvatore Kimimichi. Je suis au 260 S South Orange Ave, derrière l'aquarium. Je sais pas s'il est mort ou pas et je ne peux pas le toucher, je- je ne peux pas, j'ai les mains couvertes de sang Bobby, sans rire, il s'est taillé les veines. De là où vous êtes vous traversez tout South Orange et au feu juste avant la piscine tu... D'accord, d'accord.

Des contacts partout.
C'était facile, il suffisait de sourire. Même s'ils étaient faux, même s'ils ne voulaient rien dire, même s'ils n'étaient que jolis. Bobby avait mis sa sœur au monde presque autant que sa mère et depuis il faisait partie des amis de la famille. De ses rares et lointaines confiances qu'on est heureux de connaître quand on va à l'hôpital parce qu'on ne supporte pas d'être seul. Il n'était pas rentré dans sa chambre mais il avait souvent pris de ses nouvelles. C'était un type bien.
La porte était grande ouverte et le monde entier avait accès à la tête épuisée d'Adriel Lespérance. L'air ne voulait pas changer d'odeur. Salvatore ne se souvenait plus de la couleur de ses mains.
Il ne se rendit compte qu'après coup que vouloir essuyer son plâtre sur sa cuisse était une mauvaise idée.

Sa voix portait loin, très loin, mais il n'avait pas de voisins, ce mec ? - non il est seul seul seul seul seul et sa solitude le fit tomber sur le cul. D'accord.
Le sang sous la semelle. Sur le cuir en daim turquoise. Soixante-dix dollars de chaussures bonnes à jeter. Soixante-dix putains de dollars.

Les sirènes.
Douce musique.

Il voulut se relever, sans succès. Son équilibre était tellement précaire qu'il n'arrivait même pas à s'accroupir alors il resta là à sentir son pantalon s'imbiber tranquillement pendant que ses mains fondaient pour souder les chairs. Il aurait aimé qu'il vive. Sincèrement.
Les pompiers n'eurent pas à ouvrir la porte puisqu'elle était déjà enfoncée. Salvatore essaya de s'expliquer mais personne ne l'écoutait. Ils n'avaient d'yeux que pour Adriel. Sauf Bobby.

- Ça va fiston ? Salva ?

Pas un mot. Toutes les tentatives qu'il opéra pour le relever se soldèrent par un échec.
Il n'avait d'yeux que pour Adriel aussi. Ils le portaient comme s'il était encore en vie. Le téléphone pataugeait dans la mare et le pompier s'en empara, l'essuya sur sa manche et tenta de l'allumer. À la lumière qui éclairait son visage calme, il fonctionnait parfaitement et ne connaissait pas son code de déverrouillage. Salvatore remarqua son écharpe carmin et l'empreinte d'Adriel sur le sol.

- Salvatore, viens, on va te nettoyer un peu.

C'est ça.
Se nettoyer.

- Il leur a donné raison.
- Sans doute mon grand. T'as été très courageux.

Avec le look qu'il se payait, c'était normal qu'il finisse par se tailler les veines. C'était normal. J'ai pas fini de lui parler. J'avais pas fini.
Il se mit à pleurer et Bobby attrapa ses mains dès qu'il comprit ce qu'il allait faire avec ses cheveux.

- Aller Salva, lève-toi. C'est fini.
- Fais-moi un câlin.

Il s'exécuta. Salvatore reniflait et avait mal partout.
Belzébuth mit les deux pattes avant dans le sang de son maître et regretta amèrement cette décision. Du moins c'était ce qu'imaginait Salvatore en le voyant secouer ses pattes comme un fou après coup.

- On peut prévenir quelqu'un ?

Haussement d'épaules contre son torse en uniforme.

- Inutile de t'inquiéter. Il est avec nous maintenant. Tu veux rentrer chez tes par-
- Non.
- D'accord, d'accord. Tu veux appeler quelqu'un, un ami ?
- Aidan.
- Tu veux que je l'appelle, moi ?

Hochement de tête discret.

- Qui c'est ?
- Un prof.
- Tu as son numéro ?
- Un bon prof.
- Tu peux me déverrouiller ton portable, s'il te plaît ?

Pas de réponse. Bobby prit ça pour un plus tard, c'était peut-être un peu trop le brusquer.

- Qu'est-ce que je lui dis, à ce monsieur ?
- Le chat. Je dois savoir quoi faire avec.
- D'accord.

Silence.

- Salva ?
- J'ai envie de vomir.
 
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