✗ Mr. Personnality ft. Reyes ✗

Mr Personnality

J’étais là, à fumer tranquillement ma cigarette, quand j’ai entendu la porte d’entrée du café claquer. Il y avait donc du monde à nouveau, et je devais revenir assez vite pour épauler Karyn. Elle en était à son second service la pauvre. Je savais à quel point les journées étaient longues dans ce cas-là. J’écrasais le mégot contre la semelle de ma chaussure avant de le jeter dans la poubelle à côté. Puis je rentrais par la porte de service, jetais un coup d’œil à la note de caisse. Trois moca. Ce sera assez rapide. Une fois les trois gobelets remplis et prêts, j’y clipse le capot en plastique et y enfile le rond de carton, les bloque entre mes mains et me retourne pour les poser sur le comptoir.

Et je me sens con. Je suis brusquement figé. Je m’attendais définitivement pas à la voir au Starbucks. Bon sang, elle y a jamais mis les pieds pendant les semaines où on sortait ensemble et elle y vient maintenant ? Sérieusement ? Je soupire intérieurement. Peu importe. Je pose les trois gobelets de mocaccino brulants sur le comptoir sans la quitter des yeux pour le moment, perplexe. J’attends le bonjour ou le merci que l’on pourrait attendre dans cette situation. « J’ai une nouvelle Mercedes ». Mais pas une nouvelle personnalité, de toute évidence. Bon sang, c’est pour ça que ça n’a pas marché. Elle ne vit pas, elle cherche à briller. Elle ne marche pas, elle se pavane. Choisir sa tenue relève du défilé de mode. Comment comprendre alors qu’au lieu de la suivre à la dernière soirée branchée je préférais rester chez moi travailler mes cours et dormir ? « Bonjour à toi aussi. » Soufflais-je néanmoins avec un petit sourire charmeur au coin des lèvres. Parce qu’au fond je sais qu’elle n’est pas mauvaise. Elle est juste superficielle.

Il lui arrivait même d’être adorable en plus d’être belle. Elle n’était ni stupide ni insupportable lorsqu’elle le voulait. Et elle était souple. Tellement souple. Je passe nerveusement la main dans mes cheveux avant de jeter un coup d’œil à la nouvelle commande. Ouaip, un thé glacé frappé. Tout en préparant rapidement la boisson, je jette un œil à Isabel. Elle non plus n’a pas l’air de savoir quoi dire réellement. Je ne sais même pas pourquoi je suis gêné : c’est elle qui m’a plaqué. Je pose le gobelet sur le comptoir en face du client et lui adresse un sourire associé à un « bonne journée ». Puis, n’ayant pas de nouvelle commande, je pose ma hanche contre le comptoir et croise les bras en me tournant vers mon ex. Qui me regarde toujours. Ça devient bizarre. « En tout cas, ça a l’air d’aller. »

Deux filles ont l’air de s’impatienter derrière Isabel, tout en nous dévisageant. Probablement des amies à elle. Et ça me donne une idée. Comme une envie furieuse de faire sortir un peu la jeunesse dorée de ses gonds. Après tout, elle l’a mérité. « Tu devrais y aller, tes copines ont l’air d’avoir soif. » soufflais-je avant de ranger le comptoir et l’arrière, me mettant à ignorer royalement la donzelle tout en discutant avec Karyn. Et d’après ce que je sais d’Isa, elle ne devrait pas apprécier la plaisanterie.

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Isabel ne s’éloigna pas une seule seconde. Je l’avais juste là, dans ma vision périphérique, et elle continuait à nous dévisager, Karyn et moi, comme si on était la source de tous ses problèmes. Je sentais que Karyn commençait à s’en agacer sérieusement. Mais c’était sans compter sur sa ténacité. La sonnette retentit, et je tournai la tête vers elle mais pas le corps, en simple protestation. « Il manque de lait dans mon moka ». Jetant un coup d’œil aux gobelets, il ne fut pas compliqué de constater qu’aucun n’avait été touché. Mais soit. Je retournais le visage vers Karyn avec un faible sourire et un haussement de sourcils. Celle-ci leva les yeux au ciel et se retrancha dans la réserve.
Elle avait bien raison.

Je me retournais et tendis la main pour me saisir du carton de lait puis reposais les yeux sur Isa’ qui n’avait toujours pas bougé. Elle ouvrit le couvercle et se mordit les lèvres. Jolies lèvres, d’ailleurs. Bref. « Alors tu travail encore ici… ». Je haussais un sourcil perplexe tout en me penchant pour verser un peu de lait dans son café – pour ce que je pouvais verser vu qu’il n’était pas entamé. Je clipsai le couvercle de nouveau tandis qu’elle croisait les bras et fit un mouvement de cheveux. Très féminin. Très pimbèche. « J’ignorais que tu travaillais aujourd’hui… ». Uhuh. Plus flagrant, on ne pouvait pas faire. Dire qu’elle ignorait que je travaillais aujourd’hui était peut-être vrai. En revanche, elle n’avait pas trop intérêt à affirmer ne pas l’avoir espéré. Parce qu’elle était prise en flagrant délit. « Mais bref, oui oui, en tout cas, moi ça va supeeeeeeer! ». Tiens, j’aurais juré une petite montée dans les aigues à la fin de sa phrase. Elle avait tendance à faire ça lorsqu’elle mentait ou qu’elle surjouait son rôle de petite fille riche à la vie parfaite.

Je me redressais et l’observais sourire aussi peu naturellement que possible. A croire qu’elle voulait me montrer toutes ses dents, même celles de sagesse. « Je suis dans le Vogues Magazine ». J’étais honnêtement heureux pour elle. Et on l’aurait surement fêté si on avait été encore ensemble. Elle s’était débrouillée pour que cela n’arrive pas. « T’iras voir… Ou pas, en tout cas, je m’en fous ». Je soupirais une nouvelle fois et lui adressais un sourire perplexe. Puis mes lèvres s’étirèrent en coin et je me penchais doucement par-dessus le comptoir dans sa direction, et lui soufflais : « J’irais surement voir… Si je tombe sur un magazine Vogues. » Car si j’avais encore de l’affection pour elle malgré tout et que j’espérais que sa carrière décolle, je n’en étais pas au point d’aller acheter un magazine de filles dans une presse.

Je posais alors les coudes sur le comptoir et penchais légèrement la tête sur le côté, le regard interrogateur. Elle était là pour se pavaner. Ca j’en étais intimement convaincu. Mais y avait-il que cela ? Sourire mi-moqueur mi-charmeur, l'index tapotant mes lèvres, je plongeais les yeux dans les siens : « Tu sais, si tu voulais me voir, il te suffisait de m’envoyer un message. » Puis je me redressais et croisais les bras. Et cette fois-ci plus moqueur que charmeur, je continuais : « Ou m’inviter à ton prochain défilé de mode. Je suppose que tu en as de prévu, non ? » Bon, d’accord, je la titillais un peu. Mais ça ne pouvait pas lui faire de mal.