Clefs. | [Marco Roselli & Salvatore Kimimichi]

Parfois, Preston avait le plus beau sourire du monde.
Un sourire qui parvenait à lui faire oublier la vie autour d'eux, les autres, Aidan, un sourire plus lumineux que beaucoup de choses, une sorte de micro-soleil qui créait à son tour d'autres micro-soleils parce que quiconque croisait le sourire de Preston souriait en retour. Mis à part ça, il n'avait rien de particulier. Il était beau. Et au plus ils traînaient ensemble, au plus Salvatore se convainquait qu'il s'agissait d'un ami. D'un ami très cher.
Madame Di Constanzo lui apporta son jus d'orange en échange d'un sourire qui faisait pâle figure en face de celui de son fils. Preston la remercia d'un hochement de tête vif, éclata de rire à la blague de son père derrière elle. Quand Salvatore voyait ça il se disait que sa famille était moins sympathique, à tort. Les Kimimichi étaient différents, clairement différents, mais pas plus désagréables qu'eux et chaque famille avait ses problèmes. La solitude chez les Di Constanzo n'existait pas et Preston enviait le respect qui régnait entre les membres de la famille Kimimichi, cette façon qu'ils avaient de savoir quand parler et quand se taire. Chez lui, tout le monde parlait tout le temps, et s'il avait parfois besoin de s'isoler un moment il parlait autant qu'eux. Avec aussi peu de retenue qu'eux. Chose qui faisait défaut à l'épicerie et qui n'était même pas concevable, à vrai dire.
Salvatore sirotait sa boisson en silence. À la pizzeria, il savait qu'il ne faisait pas le poids avec son tact légendaire et qu'à force d'arrondir les angles il avait vraiment l'air fiotte, alors il préférait se taire et répliquer quand on lui donnait la parole. En agissant ainsi il gagnait par la même occasion des points de politesse et de charisme avec les collaborateurs de Yume No Yume et ce n'était pas négligeable.
C'était son idée, cette collaboration.

Quand son esprit retourna sur le comptoir, le fil était déjà perdu depuis un bon moment et la discussion paraissait hors de sa portée. Un coup de coude dans le bras de Preston signala à ce dernier que Salvatore prenait congé un instant pour faire le tour de la salle et jouer au serveur. Si Madame Di Constanzo n'en montrait rien, Salvatore savait qu'elle le trouvait charmant et que sa présence élégante dans le restaurant mettait de bonne humeur la clientèle. Un sentiment comme ça, et ce n'était pas si surprenant. Il avait tout de même la moitié des délinquants d'Arcadia à sa botte.Et non, elle pourrait bien lui proposer un poste de serveur à loisir, Salvatore travaillait déjà suffisamment chez ses parents. Navré navré.

Son sourire se dirigea vers une table à l'écart et sur celui qui s'y était exilé. Quand il n'était pas seul avec ses tulipes, il était seul avec ses pizzas. Tellement pas sérieux.
Lui aussi, il était mignon. Clairement le même genre que Preston mais il souriait tellement peu qu'il ne savait pas vraiment si c'était un trait commun aux italiens d'avoir le soleil de Méditerranée dans la bouche quand ils étaient contents. Bah, il ne manquait pas d'espoir à vrai dire. Et puis avec ce qu'il était drôle, Salvatore savait qu'un jour il finirait par en lâcher un, de soleil. Tête de pioche.

- Tu devrais prendre l'asiatique avec une bière de Sapporo. C'est moi qui ai eu l'idée de ce menu.

Le doigt sur la carte et le souffle près de son oreille. Il laissa échapper un petit rire de meublage, tira la chaise en face du jardinier et prit place comme un roi sur son trône en portant son verre à ses lèvres. Il était un peu ici chez lui, après tout.

- Alors, comment va Marguerite ?

- Oh, pauvre estomac.

Pourquoi c'est pas sa queue qui crève la dalle ? Il lui aurait bien donné la becquée.
Les jambes croisées restaient sages pour le moment, mais Salvatore ne garantissait pas la sécurité de sa pudeur très longtemps. Ce mec était charmant à défaut d'être loquace et agréable, voilà bien une chose qu'on ne pouvait pas lui retirer, et ça faisait déjà beaucoup. Bon dans le même genre il y avait Preston mais l'avantage avec Marco c'était l'expérience. Combien, vingt-cinq, vingt-six ans ? Il avait pu s'en lever des mecs depuis le temps, et qu'on vienne pas lui faire croire qu'il avait jamais goûté au chibre parce qu'il n'y croirait pas un instant.
Et c'en était d'autant plus excitant.
Non Salva, non. Tout doux, tout doux. Ça suffit les bêtises avec les membres du personnel, une fois ça a suffit.
Roh, mais c'est pas une bêtise, là, c'est du jeu. Y'a à peine eut contact. Et puis il suffirait de lui dire non si jamais il proposait, ce qu'il n'avait pas fait par le passé. Ça se passerait bien.

- L'asiatique elle a surtout du poisson, dessus. Du poisson qui vient de chez Yume No Yume, l'épicerie de ma famille, alors c'est du bon poisson et je ne te permets pas d'en douter.

Non, ne doute pas de celui qui cultive une jungle de beuh dans ta serre, à côté de tes plantes, sans t'en tenir informé. C'est vrai qu'il n'y a pas de quoi s'inquiéter voyons, surtout pour lui qui vivait à travers ses pâquerettes. Sérieux, il leur parlait comme à des gosses, il était beau, pas aimable et attardé, mais il était beau au premier coup d’œil alors ça pardonnait tout.
Tiens, voilà le contact.
Il avait les jambes écartées sous la table et la pointe de son pied s'aventurait le long de son mollet comme si de rien n'était. Finit son verre, regretta qu'il n'y ait pas de plus grand contenant dans tout le restaurant, et l'empreinte de son pouce s'accrocha à sa lèvre inférieure, toute déçue de ce triste constat. Son soupir lui fendit l'âme.

- Qu'est-ce que tu veux ? Je vais te le chercher. Ce sera toujours moins long qu'attendre que leur serveur à deux balles se souvienne de toi.

Et puis c'est pas comme si j'étais VIP dans le coin non plus, hein. Faire jouer les relations, tout ça tout ça.