Démonstration de stalkage organisé | [Jay I. Howard & Blau Alcala-Sango]

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Blau avait un rendez-vous.

Mais un rendez-vous au sens artistique du terme. Enfin, d'après sa propre définition du terme artistique.

En fait, pour Blau, un rendez-vous-au-sens-artistique-du-terme, c'était du stalkage organisé. L'individu stalké était consentant, et... Bref. En gros, au lieu de bondir à l'improviste sur les personnes du travail desquelles elle avait ouï dire du bien, ou dont elle avait vu ou entendu les œuvres, représentations, chansons, et tout le tralala... Elle mettait en place avec eux l'horaire et l'endroit où pourrait tenir lieu une discussion élevée entre deux esprits élevés.

Quelle blague.

Si Blau préférait la première méthode, toute spontanée qu'elle était, elle ne pouvait que reconnaître que la seconde était d'une fiabilité non négligeable. Si elle n'oubliait rien. Mais en général, elle avait hâte, et lorsque Blau avait hâte de quelque chose, il en fallait beaucoup pour le lui faire oublier.

Tout cela pour dire que Blau avait un rendez-vous, avec Jay. Jay c'était son coup de cœur du cursus Musique, il faisait du rap, elle l'avait appris - elle apprenait tout, tout! - et avait lancé l'opération stalkage pour lui poser toutes sortes de questions, et il avait répondu. Et une trépidante discussion et un échange numéros de téléphone plus tard - numéro qu'elle avait oublié au fond de sa poche, enfin, l'une de ses poches, comme à son habitude -, ils s'étaient séparés. Puis ils s'étaient recontactés, car il y avait au moins une personne qui ne perdait pas les numéros de téléphone dans ce bas monde, et un rendez-vous avait été fixé à l'orangeraie.

Blau adorait l'orangeraie. D'abord parce qu'elle adorait les oranges, ensuite à cause des rumeurs pleines d'intelligence qui circulaient à son propos - les fantômes lui semblaient sympathique -, mais aussi et surtout parce que c'était un cadre superbe. Le soleil avait l'air plus lumineux, l'atmosphère qui régnait avait un goût de vacance même en plein cœur d'un établissement scolaire, les orangers étaient d'excellente compagnie, et fournissaient généreusement ombre et fruits dérobés, bref, se livrer à des activités a-a-artistiques là, c'était un plaisir de tous les instants.

Aussi arriva-t-elle en avance à l'orée de l'orangeraie. Oh, pas de beaucoup, mais assez pour regarder à droite, à gauche, s'asseoir en tailleur à même le sol, entamer une tresse inégale et la recommencer avant d'apercevoir Jay.

Elle lui fit un grand sourire et un signe de la main.

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Il s'approchait, elle continuait de sourire. Parce que bah...

Bah comme ça. Fallait-il se justifier?

Peut-être qu'elle était contente de le voir. Tout simplement. Il était cool, Jay.

Elle souriait, donc, quand il arriva près d'elle et qu'il lui dit:

« Hey, salut. »

Et toujours tout sourire - quitte à se répéter -, elle répondit:

« Hola! »

Elle l'observait en agitant un peu les jambes, un peu comme le font les danseuses dans leurs étirements - le papillon -, et elle se mordillait machinalement la lèvre; il croisa les bras, puis soupira, puis décroisa les bras, puis il cueillit une orange et la lui tendit en disant:

« À peine cueillie. »

Elle prit le fruit en souriant de plus belle - et dit avec gravité:

« J'adore les oranges. »

Il s'assit près d'elle, dont les lèvres se refermèrent et dont le regard se porta sur l'épaisse peau de la sphère orange qu'elle faisait déjà tourner entre ses doigts, et il lui demanda si elle allait bien. Avec une petite hésitation dans la voix. Alors elle tourna son visage vers lui en hochant la tête et répondit:

« Génial! Et toi? »

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« Ouais, ça va. Un peu fatigué, y fait vraiment chaud en Floride et j'arrive pas trop à dormir tu vois, mais ça va tranquille.

Hah. Je compatis.

... Elle était censée dire ça à haute voix, mais ça s'est perdu entre son cerveau et sa bouche apparemment. Bon. Tant pis, le temps de réaction conventionnel était dépassé. Elle sourit simplement lorsque les yeux de Jay croisèrent les siens et qu'il reprit la parole:

« Enfin j'vais pas trop t'faire perdre ton temps hein, attends...
─ Bah, tu sais, je passe mon temps à le perdre! » répondit-elle joyeusement.

Elle prit les feuilles posées au sol et les déplia lentement, les lissant méthodiquement entre ses doigts, comme une automate, en contemplant le papier froissé.

« C'est ce que j'ai commencé à écrire cette nuit, vu que je dormais pas. »

Elle le regardait en ouvrant grand des yeux un peu vides, vidés par la rêverie, et son sourire se perdait dans les nuages tandis qu'elle tendait la main pour prendre la quatrième feuille.

« Y'a pas plus récent. Sinon j'ai ça aussi, ça date d'il y a trois semaines à peu près, mais c'est nul.
─ Oh, mais dis pas çaaaa! »

Elle avait dit ça vivement, l'air concerné, parce que, merde, c'était nul de se dénigrer, ou plutôt triste, oui, triste, surtout quand c'était gratuit comme ça, et elle se laissa tomber en arrière comme une orange tomberait d'un arbre. Comme s'il n'existait pas de plus explicite manifeste d'un désaccord.
Aussi, un peu trop tard sans doute, ses yeux s'écarquillèrent devant une révélation qui revenait toujours dans sa vie mais qu'elle ne cessait d'oublier, et elle éclata de rire:

« Wow. Je suis débiiile. »

Et se redressa pesamment, sans parvenir à arrêter de glousser. Toussotement. C'est bon, t'as fini? Bien. Main dans les cheveux, rien de classe, il s'agit surtout d'atteindre les recoins reculés du bas de sa crinière paumé dans son dos pour en faire tomber la terre et la rendre aux bons vieux orangers.

« Ehm. Je vais arrêter de te faire perdre ton temps et te lire. Ça vaudra mieux... »

Et, prenant une grande inspiration comme à chaque fois qu'elle affrontait du texte (la lecture était plaisante à Blau mais elle nécessitait une concentration dont elle n'était pas toujours en mesure de faire preuve), elle s'abîma dans la lecture.

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