Ceci n'est pas un café [Summer Weilana & Adriel Lespérance]

C’est à mon tour d’éclater de rire en prenant connaissance de l’une des nombreuses rumeurs qui courent à mon sujet. Sérieux? On me prend pour un tueur psychopathe? Ça, c’est purement hilarant. Tiens, ça m’amuse tellement que je devrais entretenir ces rumeurs. L’idée ne me déplaît franchement pas, à vrai dire.

-On t’as vraiment dit ça à mon sujet? Ça c’est la meilleure! Voyons, j’me promène pas avec mon hachoir, je le garde dans le coffre de ma bagnole. Discrétion 101. Et j’évite de cogner mes victimes en public.

C’est bien pour ça que je m’entends bien avec Summer. Ouais, elle est ultra populaire à Volfoni, et normalement, je fuis comme la peste les gens populaires. Mais elle, elle ne me tape pas sur le système. Elle ne se la pète pas avec sa popularité à la con. D’ailleurs, à quelque part, elle ne l’a pas particulièrement cherchée.

-Oh, t’as pas besoin d’aller jusqu’au Canada. Ces bocaux, je les garde dans mon bungalow. Des trophées de chasse, c’est précieux.

Alors que je démarre, je jette un petit coup d’œil à ma passagère histoire de rassurer que ses oreilles de sont pas en train de saigner à cause de ma musique. Qui sait, elle pourrait détester ça. Mais bon, même si c’était le cas, je ne traîne pas de tubes populaires dans mon téléphone intelligent. Ouais, ça fait un peu hipster. Ouais, je m’en branle. Et voilà qu’on quitte Volfoni alors que je contourne les voitures mal garées. Putain, eux, ils ont vraiment pris leur permis dans une boîte de Cracker Jack.

-Exactement, je l’ai pris là! Comment t’as fait pour savoir? Je l’ai gagné en faisant le Globe of Death avec une moto comme le mec badass et viril que je suis.

Bah ouais, hein. Pour commencer, apprends à savoir conduire une moto, mon p’tit Adriel. Si jamais je m’y essayais, j’aurais sûrement l’air d’Homer dans le film des Simpsons avant qu’il réussisse le challenge. Et en prime, je me briserais probablement le cou. Que de joie. Finalement, même si je me trompe de chemin et finis par faire un détour inutile, on arrive assez rapidement au fameux café. J’avoue que par dehors, il a l’air de rien. C’est pas un Starbucks, hein. Je me gare près de la porte et sors de ma voiture, me dirigeant vers la bâtisse. Un coup d’œil rapide me suffit pour confirmer que Summer me suit toujours. Lorsque j’entre, une petite clochette retentit. J’adore ce putain de café. L’ambiance est sereine et sympathique. À l’entrée, de multiples dates de concerts locaux sont affichées. La lumière est légèrement tamisée, des tableaux d’artistes du coin sont placardés un peu partout et des sièges confortables et dépareillés sont disposés autour des tables en bois. Aussitôt, on nous accueille assez chaudement. Les employés commencent à reconnaître mon visage. Je traîne Summer jusqu’à fond avant de m’écraser sur ma chaise.

-Bon, j’avoue que ça fait un peu hipster, mais j’ai toujours aimé ce genre de petit bistro culturel. En plus, j’ai appris récemment qu’ils ont un petit bar juste en-dessous où des musiciens locaux jouent souvent. J’aimerais bien exposer ici, un de ces jours.

Ouais, vraiment, ce serait génial.

Summer hocha la tête, confirmant que c'était le genre de rumeur qui courait sur lui. Avec ses tatouages et ses piercings, en plus de sa langue coupée en deux, il était suffisamment intimidant pour que tout le monde y aille de son commentaire. Et les rumeurs, c'est comme les larves, ça se nourrit, ça rampe, ça s'amplifie...

« Ah bah oui, bien sûr ! Et si j'ouvre le coffre je verrais des membres humains dans un sac poubelle aussi ? Tu comptes passer les enterrer après la pause café pas vrai ? »

C'était plutôt drôle d'imaginer Adriel en tueur en série. On pourrait limite écrire un scénario à ce propos, le gars du Mordor qui avait la réputation de jeter ses victimes dans les lacs gelés, et a décidé de fuir jusqu'en Floride pour changer de modus openrandi, juste pour le fun. Bah ouais, les psychopathes ont pas de logique après tout. Sauf que le climat de la Floride le rend d'encore plus mauvaise humeur et que y a pas assez de requins pour que les membres disparaissent rapidement. Du coup il est obligé d'enterrer ses victimes du Bastard Lotus — ouais parce qu'il a décidé de s'inspirer de Jack l’Éventreur et il s'en prend qu'aux prostiputes maintenant — dans un coin reculé d'Arcadia.

Ça manque de plotwist quand même. Summer répondit à Adriel, interrompue dans son délire le plus total.

« Tu sais, ça fait déjà plusieurs fois que j'hésite à aller enquêter dans ton bungalow. J'devrais vraiiiiiment essayer ! »

Aussitôt dit, elle se replongea dans son scénario tordu. La musique mettait la bonne ambiance pour ça, en plus.

Un plotwist donc. Pourquoi pas un trans qui se prostitue pour payer ses études ? Et qu'en fait il arrive pas à le tuer ? Ouais, alors ça pour un plotwist, franchement ! Donc ils deviennent amis puis amoureux parce que y aura trop de sexual tension entre eux, le genre malsain que tout le monde va kiffer parce que ça change de la cheesy romance de sitcom.

Summer éclata de rire quand il parla du Globe of Death, pensant immédiatement aux Simspons. Et OOOH bonne idée. Le gars du Mordor est un motard, ça rajoutera encore plus de virilité et de badassitude au personnage. Elle se perdit à nouveau dans son scénario ô combien débile, mais fun dans le genre improbable. Vint le moment où ils arrivèrent au café et elle oublia totalement le film qu'elle s'était fait en tête pour admirer l'endroit.

Il dégageait une ambiance calme et tranquille, accueillante aussi, vraiment le genre d'endroit où on pouvait venir se reposer pour discuter au calme autour d'un bon café. Elle lâcha un petit rire de gorge, songeant qu'aux premiers abords, ça devait être totalement le genre d'endroit où on penserait qu'Adriel ne traînerait pas.

« J'te comprends. Cet endroit est génial. »

Elle finit par s'asseoir également après avoir passé un petit moment à regarder un peu toutes les œuvres qui étaient exposées ici. Elles étaient sans prétention et ne cherchaient pas à être achetées, simplement là pour le plaisir des yeux, comme toute bonne œuvre devrait l'être.

« Faudrait que j'aille jeter un coup d'oeil au bar alors ! J'pense que j'reviendrais plusieurs fois ici, c'est vraiment cool. »

Summer sourit, elle n'avait plus rien à voir avec la loque qu'il avait trouvé sur la plage.

En plaisantant avec Summer, je ne peux m’empêcher de me dire qu’elle rayonne  franchement plus que tout à l’heure. Je sais pas si c’est elle qui saute facilement d’une humeur à l’autre ou si c’est moi qui l’ai aidée. Curieusement, j’ai du mal à croire que j’y suis vraiment pour quelque chose. J’ai été dur avec elle. J’ai été loin de lui dire de douces paroles, et quand j’ai tenté de la réconforter, j’ai été tellement maladroit que j’ai fait semblant de n’avoir rien fait immédiatement après. Mais j’ose croire que j’ai apporté un petit quelque chose, que mes trop nombreuses souffrances lui ont donné l’impression que je pouvais la comprendre ne serait-ce qu’un peu. En y repensant, avec elle assise en face de moi, je ne peux m’empêcher de me sentir terriblement awkward. J’ai dit des choses très personnelles. Des trucs que je n’ai même pas dit à Jiang – quoique je ne lui ai pas dit grand-chose, en y repensant bien. Est-ce que j’ai voulu lui faire sentir que ma vie est plus merdique pour qu’elle n’ait plus trop l’impression que tout allait s’écrouler? Peut-être. Inconsciemment. Je veux juste me donner l’impression de ne pas être très gentil, au fond. Sa voix me sort de mes pensées.

-Ouais, ça relaxe. Le bar est tout aussi cool. Il n’a rien d’une boîte de nuit, par contre. Il n’y a pas de piste de danse, pas de musique pop’. Ça ressemble plutôt à une taverne modernisée et culturelle. Mais eh, si c’est ton truc, on va sûrement s’y croiser un soir.

J’y suis allé qu’une ou deux fois, mais jusqu’à maintenant, c’est parfait. Très peu d’élèves de Volfoni y traînent, et si j’en ai croisé, ce sont plutôt des gens en arts plastiques ou en musique, comme Kai. J’suis pas très bavard, mais j’ai beaucoup plus de chances de les apprécier que les sportifs. Je n’avais pas imaginé que Summer buvait, mais après tout, elle est à peine plus jeune que moi. Elle fait ce qu’elle veut.

-Les oeuves exposées sont intéressantes, hein? J’aime bien l’abstrait.

J’ai remarqué les coups d’œil qu’elle a lancé aux peintures. Autre raison pour laquelle je m’entends bien avec la populaire : elle a une certaine sensibilité artistique. Je jette un coup d’œil à la salle, histoire de repérer la serveuse. Elle est occupée. Mon café sera pour plus tard. Je reporte mon attention vers Summer. Je ne sais même pas si elle a retenu tout ce que je lui ai dit tout à l’heure. Elle était sûrement trop prise dans sa propre douleur, mais je me sens obligé de clarifier les choses. Juste pour être sûr. On ne sait jamais ce qui risque de circuler sur moi.

-Au fait, tout ce que j’ai dit sur la plage reste entre nous, ok? C’est pas le genre de truc que j’vais raconter à la légère, donc pas un mot.