• Histoire
Note finale. Applaudissements dans la salle. Satisfaction qui gonflait son coeur. C'est peu conventionnel après une chanson de rock alternatif, mais Bell Betris fit une gracieuse révérence avant de laisser la place à un autre artiste et aller se changer dans les vestiaires. Elle adresse un signe poli aux personnes qui l'ont accompagnées et qui la fréquentent assez régulièrement maintenant, ne parvenant que faiblement à leur sourire en les remerciant. Ils ne s'en vexèrent pas, ils avaient l'habitude maintenant, et partirent de leur côté.
La jeune femme s'assied sur le siège de la petite commode qui lui est réservée et commence à retirer son maquillage. Il parait qu'elle n'a pas le physique de base pour ce genre de chanson, trop "fifille", trop "sage", aussi Foucault lui avait appris à se donner une image plus forte, plus agressive, plus sûre d'elle. Il lui fallut du temps avant de s'y faire d'ailleurs, les couleurs lui paraissaient tellement criardes, tellement disgracieuses sur elle. Mais il était vrai que c'était systématiquement comme ça pour elle. Être incapable de voir du bleu était assez handicapant et frustrant, bien qu'elle s'était finalement habituée à vivre ainsi.
Petite, ce fut bien plus problématique. Les enfants ne la comprenaient pas, et étaient incapable de la comprendre de toute manière. Comme bien souvent à cet âge, on rejette ceux qui sont différents, on les mets à l'écart, quand ce n'est pas pour se moquer d'eux en les bousculant une fois, deux fois, tous le temps. Ce qui devait arriver arriva et ce n'est qu'une fois rentrée couverte de boue dans son nouveau manteau rouge que les parents de la jeune fille décidèrent de la retirer de l'école pour lui faire prendre des cours à domicile. Elle le vivait pourtant bien, à l'époque, c'était un soulagement de ne plus avoir à retourner à l'école.
Les seules fois où elles sortaient étaient pour aller à ses cours de chant, et c'était sa grand-mère qui l'accompagnait, dans sa voiture rose. Enfin, on lui avait dit que la couleur exacte était "blanche", mais pour elle, c'était rose pâle. Elle avait l'impression d'être une princesse à l'époque, enfermée dans son château, ne sortant qu'en voiture rose jusqu'à son cours. D'aussi loin qu'elle s'en souvienne, elle avait toujours aimé chanté. Ça avait commencé tout bêtement par des berceuses destinées à l'endormir, qu'elle chantonnait avec sa mère ou bien sa grand-mère. La vieille dame semblait avoir une chanson pour tout d'ailleurs et ne manquait jamais d'en apprendre à sa petite fille, que cela amusait plus qu'autre chose.
Très vite, son professeur remarqua son potentiel et l'introduisit à des chants plus classiques, et Betris tomba sous le charme. La première fois qu'elle écouta un chant lyrique, bien qu'elle fut jeune et ne comprenait pas les paroles, elle en fut tellement émue qu'elle en eut les larmes aux yeux. Depuis, elle n'a cherché qu'à atteindre ce degré d'émotivité en s'entraînant d'arrache-pied. Elle développa un goût prononcé pour les drames et les tragédies et en raffole, ce dans le but de pouvoir ressentir une tristesse suffisamment forte pour l'émouvoir et réussir à transmettre cette douleur.
Néanmoins, ce genre de chant ne semblait être populaire que parmi le troisième âge, mais on l'encouragea et l'entoura énormément, ce qui la touchait beaucoup. A 14 ans, elle enregistra quelques chansons sur un disque où sa grand-mère l'accompagne au piano, et celle-ci les distribua à ses proches. Les retours très positifs quant à sa voix la ravirent et pour la première fois, elle se sentit douée et estimée. Elle ne souhaita plus faire autre chose que chanter.
Et pourtant, la voilà bien loin de son rêve, assise devant la minuscule commode d'un bar à chanter du rock et du métal, parfois du néo-classique avec un peu de chance. Elle tombait de haut, il fallait le dire. Elle pensait pouvoir réaliser le rêve américain en quittant son pays natal, et pourtant elle du se résoudre à se contenter du minimum et à retourner à l'école pour avoir ses chances de réussir.
Mais c'était de sa faute, elle en avait conscience, elle était beaucoup trop exigeante. Elle avait eu plusieurs possibilités de se lancer, plusieurs occasions de débuter, mais rien ne correspondait à ses critères, ou bien c'était elle qui ne collait pas assez. Elle avait besoin d'un groupe, car elle savait qu'elle ne réussirait jamais seule. Bien qu'elle ait confiance en sa voix, ce n'était pas le cas pour tout le reste. Sa personnalité, son physique, son daltonisme, elle complexait énormément à cause de tout cela et savait que ça n'était pas la bonne attitude pour une carrière solo.
Oh, mais elle n'abandonnait pas ses projets pour autant, pour rien au monde. Il était trop tôt pour abandonner, elle savait qu'elle pouvait encore percer. Elle avait du talent et elle comptait bien s'en servir et être reconnue et estimée dans le milieu de la musique. Qu'importe le temps que ça prendrait, elle ne pouvait pas échouer, ne
devait pas échouer. La musique avait prit une place trop importante dans sa vie pour qu'elle songe à l'oublier.
Lasse, elle termina de se recoiffer et alla se changer. Les vêtements tout en noir et en cuir avec des clous, ça ne lui allait pas vraiment. Elle aimait les tenues plus confortables, plus sobres et plus raffinés, il fallait le dire. Sa palette de couleur était limité ceci dit, elle ne prenait que des valeurs dont elle était sûre, aussi bien pour ses yeux que ceux des autres, et cela demandait des années de pratique. Souvent du blanc, du rouge, du rose, du turquoise, du bleu canari comme on le lui avait dit, du violet. Les couleurs avec lesquelles elle voyait le monde en réalité.
Et la voilà reparti pour Volfoni, son dernier espoir.