Sécher, c'est mal. [Hanna Rosenwald & Zenko Kuromiya]

Je met la douche à fond, à la température maximale. Y a des gens qui disent que le matin, c'est bien de prendre une douche froide, ça réveille, ça raffermis la peau et la retend, et tout ce genre de conneries. Y en a aussi qui disent que l'eau trop chaude, c'est pas bon pour la santé à la longue, et qu'en plus, si on prend des douches trop chaudes quand même, ben plus tard, on aura la peau toute flasque. Et y a moi qui les emmerde et qui prend ma douche comme je veux. Moi, j'aime bien les douches chaudes. L'eau froide, j'aime pas. Je préfère me brûler que me congeler, c'est comme ça. Chacun son truc. L'eau chaude, ça réveille peut-être pas -même si, à cette température, croyez-moi, vous êtes réveillés- mais au moins ça détend. Et moi j'en ai bien besoin. Alors, chaque matin, je prend une douche bien chaude, par ce que sinon, je gueule sur tout ce qui bouge.

Je ne m'attarde pas trop avec le savon, je vais avoir sport dans la matinée, je prendrai une meilleure douche à ce moment, et plus je me suis aussi déjà lavé hier soir, après un entraînement. Enfin bon, je sors de la douche et m'habille en vitesse, prenant ce qui venait, un gros sweat-shirt gris, en l’occurrence, même pas repassé, mais, franchement, je m'en fiche un peu. De toute façon je sais pas repasser, et j'ai aucune envie d'apprendre.

Je descend au restaurant scolaire pour manger, par ce que comme tout les matins, j'ai la dalle. Je trouve mon plateau trop peu rempli à mon goût, mais on me dit de ne pas en prendre plus, d'en laisser aux autres. J'ai envie de gueuler, mais pas de faire un scandale dès le matin, surtout que j'aime pas manger énervé, j'ai mal au ventre après. … Et merde, j'ai oublié mon portable dans la chambre. Je finis de bouffer et remonte le chercher.

L'autre qui dors aussi dans ma chambre -j'ai oublié son nom, un problème?- doit encore dormir, j'ai pas attendu le réveil pour me lever, et je me suis pas trop fait entendre. J'aime pas le bruit dès le matin, même si c'est moi qui le produit. Je sors donc de l'internat et me dirige vers le lycée. La première sonnerie retentit, et ça commence à s'agiter un peu. J'évite les gens, si je me fais bousculer dès le matin, je serais capable d'en tabasser un. Et le bizutage dès le début de l'année, je pense pas que le dirlo va être très content...

Moi, de toute façon, j'ai cours que l'heure d'après, mais loin de moi l'envie d'être en avance, vous méprenez pas. C'est juste que j'ai envie de marcher, et comme il pleut, j'ai pas envie d'aller me tremper dehors. L'eau de pluie c'est froid. Du coup, je commence à traîner du côté des casiers. C'est lequel le mien déjà ? Ah, le 107. Je sort ma clé de ma poche et l'ouvre. Y a mes livres de cours. Par ce que dans ma chambre, pour ce que je vais m'en servir, ça vaut pas le coup. Je vais vraiment devoir les amener en cours quand même... ? Je suis bien obligé d'au moins faire style que je bosse un minimum, je veux pas finir à l'armée...

Je soupire.

Tout le monde est rentré en classe depuis un moment, maintenant. C'est fou comme je préfère le silence au brouhaha de bavardages et de rires des élèves. Surtout les rires. Comme je suis un peu -un tout petit peu, hein- parano, j'ai toujours l'impression qu'ils se moquent de moi. Et du coup... vous connaissez la suite, je pense. Bon, par contre, là, c'était chiant, par ce que j'avais personne avec qui traîner. J'aurais peut-être dû rester dans ma chambre pour voir comment était mon « camarade ». On n'a pas encore vraiment parlé, tout les deux. Enfin, c'est pas grave, c'est pas comme si j'avais le mal de la solitude.

Je commence à avoir un peu soif, quand même là. J'ai pas dû assez boire au petit déjeuner, comme je me suis pressé pour remonter chercher mon portable -pourquoi je l'avais oublié aussi?-. Bon, y a les toilettes juste à côté, donc c'est pas un problème. Je vais pour ouvrir la porte, et là... … What the fuck ? Je reste planté à l'entrée des chiottes. Euh, attends, là... Je re-regarde la porte. Ouais, c'est bien les chiottes des mecs. ALORS POURQUOI Y A UNE NANA ASSISE DANS UN COIN AU FOND ? Elle est en train de gribouiller dans un carnet, et je crois qu'elle m'a pas encore vu. Euh. Ahem.

Je me racle la gorge. POURQUOI est-ce que j'arrive pas à parler normalement aux filles ?! C'est pas comme si elles allaient me bouffer... non?

« Ahem... Que... Je peux savoir ce que tu fous là ? »

Je suis énervé, mais en même temps, j'ai la voix tellement pas assurée que ça casse toute l'intimidation que je pouvais produire. Putain de nanas. Et moi, je suis toujours à la porte. C'est pas comme si j'avais peur de rentrer ou quoi que ce soit, qu'on soit bien clair, hein ! C'est juste que voilà ! Y a une meuf dans les chiottes des mecs, quoi.

Au début, j'ai l'impression qu'elle m'ignore. Non, par ce que, elle ne bouge même pas la tête, rien, quand je lui parle. Ça m’énerve les gens qui font ça ! Ah, finalement, elle lève les yeux. Elle est chelou cette fille, sérieux. Même quand elle te regarde t'as l'impression qu'elle est pas là. C'est stressant.

Ah, mais, elle se décide à répondre. Ben c'est pas trop tôt ! Si elle avait été un mec, je peux te dire qu'elle serait déjà en train de chialer !

« Je décor, fais pas attention, par contre tu devrais éviter les chiottes publiques, y a épidémie de gastro. »

... What ? Ouais, nan, c'est établi, elle a un problème. J'ai rien contre le fait que tu décores, hein, moi j'ai bien les gens qui se font pas remarquer... MAIS PAS DANS LES CHIOTTES DES MECS QUOI ! Merde ! Est-ce que je vais dans les chiottes des meufs moi ? Et le pire, c'est qu'elle se fera même pas rappeler à l'ordre ou quoi que ce soit, j'en suis sur ! Déjà par ce qu'elle a pas l'air d'une élève « perturbatrice », et pis surtout, y a que moi qui l'ai vue, et si je vais le dire, ben personne réagira, limite c'est moi qui me prendrait un truc. Discrimination de racailles. Raison de plus de pas aimer les gens. Et tant qu'à faire, plutôt qu'à le penser, POURQUOI JE PEUX PAS LE LUI DIRE DIRECTEMENT ?!

Je la regarde. Non mais sérieux, elle va vraiment rester ici ? … ou alors, c'est un travesti. Un très bon travesti. C'est pour ça qu'il réagit pas à être dans les toilettes des mecs. … non, je pense pas. Je commence vraiment à dire n'importe quoi, moi.

Bon, alors, euh... je fais quoi, moi ? Je l'ignore ? Non, je pense pas que ce soit possible. Ça demande une maîtrise que j'ai jamais eu. Je peux essayer de régler ça comme je règle tout... mais je vais pas frapper une fille quand même ? Reste le dialogue ? … Non. Non, le dialogue, c'est déjà pas mon truc, c'est doublement pas mon truc avec une fille. Nope. Pas le dialogue. Mais dans ce cas, il me reste quoi ? … … Bon, ok, je vais essayer de parler. Mais si elle me cherche, ce sera pas ma faute, en plus elle est par terre, elle risque de se ramasser un coup de pied ! Même pas fort, à mon avis, elle aurait mal, elle a pas l'air très robuste. En même temps c'est une fille.

Plus j'y pense, plus je sens que je vais encore plus avoir l'air ridicule. Bon, euh... alors... qu'est-ce que je voulais dire, déjà ?

« Euh... … … »

Ah, non, laisse pas le blanc s'installer, c'est le pire ! Aller !

« Comment dire... Je... j'en n'ai rien à foutre que tu décores... mais, euh... va le faire dans les chiottes des filles, quoi !  »

Ton : vagottant, arguments : débiles, assurance : zéro. Ouais, c'était pas terrible. J'ai pas assuré. Enfin. J'ai l'habitude de pas assurer avec les filles. Mais bon. Aller. Casse-toi. Merde.

Elle a l'air surprise, d'un coup. Elle relève la tête, comme pour vérifier que je me fout pas de sa gueule. Non. Nooooooooon. Sérieux ? Elle savais pas ? Elle s'est VRAIMENT trompé de chiottes ? Mais putain, c'est marqué sur la porte ! Bon, ok, les logos se ressemblent un peu quand on fait pas gaffe. Mais on fait gaffe quoi !

Et le pire, c'est que la surprise s'arrête là. Elle en n'a rien à foutre d'être chez les mecs ?! Non mais... Elle serait tombé sur un type pas très fin -arrêtez de me dévisager comme ça je vais m'énerver- elle ferait peut-être moins la maligne. Encore, heureusement, moi, j'avais juste soif...

Oh non. Oh putain non, faites que personne n'ai remarqué ce putain de mouvement de recul réflexe que j'ai eu quand elle m'a sorti un sourire de publicitaire. Non, j'ai pas les joues qui ont changé de couleur, non tu vois mal, non, je te jure, continue comme ça et tu vas te prendre mon poing dans la la gueule.

« Eh ? Aah ! C'était ça le logo sur la porte ! »

Facepalm. Non, sérieux, si j'étais pas aussi incapable de faire quoi que ce soit en présence d'une fille, je l'aurais fait. Mais malheureusement, je suis un boulet. Donc je me contente de la dévisager comme si j'avais vu un alien. Ce qui n'est pas faux.

« Hey, t'es pas dans l'équipe de basket ? »

... En plus elle passait du coq à l'âne comme ça ? Ouais, non, là ça fait plus un doute que c'est une de ces lunatiques d'artistes. C'est stressant quand même. Par ce que, déjà, pour n'avoir rien de mieux à faire que je gribouiller dans un coin de chiottes (surtout avec « une épidémie de gastro », non?), ne pas réagir à ce qu'on dit, et en plus être un putain de lunatique, c'est quand même le jackpot de la bizarrerie, non ? Moi ? Non, moi je suis pas bizarre, je suis susceptible.

Bon, euh, qu'est-ce que je fais ? Elle a pas l'air de vouloir se barrer même en sachant que c'est le côté des mecs. Heureusement, je suis juste venu pour boire. J'aurais rien pu faire d'autre. Je pouvais quand même bien lui répondre, non ? Elle ne m'a pas spécialement emmerdé ou quoi que ce soit, en y réfléchissant bien. Elle était juste chelou. Mais bon, j'en connais d'autres, des gens chelous.

Je me racle la gorge. Mais merde, c'est pas la mort de parler à une fille ! Enfin, en un sens..

« Ouais, j'en fais partie, oui... »

Super productif, comme toujours. Hm... Dans ce genre de situation, on se présente après, non ? Mais si elle l'avais pas demandé, c'est que ça devait pas trop la préoccuper. Mais merde, j'étais où pendant les cours de bonne conduite en société ?! Ah oui, je taguais la voiture du prof, c'est vrai...

Bon, quand même, je suppose qu'il serait bien venu de ma part que je lui pose une question en retour, non ? Au pire, j'ai rien à perdre, je devais pas être très crédible dès le début... Putain de meufs. Pourquoi c'est toujours comme ça ?

« E-et toi ? Plus... du côté arts plastiques... je suppose? »

AAAAH je l'ai encore fait ! J'ai bégayé au début de ma phrase ! Bordel ! Ça m’énerve ! J'hésite un instant, et m'avance quand même jusqu'à la fontaine pour le rafraîchir, j'en ai vraiment besoin.

Une fois de plus, elle a l'air complètement ailleurs. Je préfère ne même pas m'imaginer à quoi elle pense. Non mais sérieux, toutes les filles sont aussi chelou ? Je regrette pas de pas trop rester en leur compagnie moi. Non mais, franchement, vous trouvez ça normal vous ce regard vide ? On dirait un zombie. Brrr... J'aime pas les zombies...

Elle va pour commencer à me répondre, mais s'arrête en milieu de phrase. … O....kéééé.... Bon, c'est pas grave, niveau conversation, j'ai pas vraiment le droit que critiquer. Enfin bon j'essayais quand même de finir mes phrases quoi. Mais bon, cette fille est chelou, ça je l'ai compris depuis le début, alors bon.

Après avoir bu, j'hésite à me barrer -ça serait bien oui- mais bon ça se fait pas trop quand on
est en train de parler à quelqu'un, même une nana shootée en train de décorer le coin des chiottes -des mecs-. Pas que j'ai grand chose à faire de ce qui se fait ou pas, mais bon, tout le monde arrête pas de dire qu'il faut être sympa avec les filles. Pour moi être sympa, c'est ne pas cogner ou gueuler dessus. Et de toute façon je suis incapable de faire ça sur une fille. J'aime bien frapper les faibles, mais pas les trop faibles non plus, hein.

Elle marmonne quelque chose à propos d'un cours. Tiens, tiens ? Mademoiselle sèche ? Oh, eh ben , c'est pas bien, ça. Je savais pas que les artistes séchaient les cours. Surtout les filles. Sérieux ? Ils en sont capables ? Wahou. Magnifique. Mais c'est qu'ils se rebellent.

Enfin. En fait, j'en ai rien à foutre. C'est juste pour occuper mon esprit à quelque chose. Autre chose que d'essayer de comprendre pourquoi elle s'est mise à rire comme une cruche. C'est vraiment flippant une fille. Ça a des réactions bizarres. Et en plus faut les prendre avec des pincettes. … Pourquoi vous me regardez comme ça ?

Bon, finalement, elle se calme, et continue :

« Bah, je manque pas grand chose, t'as pas l'heure ? Ou un taille crayon. »

Je la fixe. Encore une fois, elle passe du coq à l'âne d'une manière sidérante. Oh putain le mot soutenu que j'ai pas utilisé moi ! Ça veut dire quoi en fait ?

Oh, et puis, c'est pas grave. Mais franchement. J'ai une gueule à avoir un t'aille-crayon dans une de mes poches ? Mais bien sûr, j'ai même la corbeille qui va avec.

« Pas d'taille-crayon, non... Tu... t'as pas d'portable ? »

Je sort quand même le mien pour regarder. Moi aussi je me demandais quelle heure il était...

« 8h45. Oh putain ça va pas tarder à sonner ! Fait chier... »

Miracle, l'espace d'un instant j'ai oublié la présence de l'autre nana et ai pu faire une phrase complète sans hésitation.

Et là, comme ça, sans raisons ou quoi que ce soit, elle se lève et elle sort. Je la regarde me passer à côté. … Si ça se trouve, en fait, c'est une malade mentale. Une folle dingue qui a plein de sautes d'humeur, et tout... Et le pire, c'est que ça collerait. Mais je suis pas sûr qu'ils acceptent les sociopathes ici. Les gros bourrins violents dangereux harcelant les autres, ouais, mais quand même pas des psychopathes. Ouais, non, je doit me faire des idées.

En sortant, elle se tourne vers moi, comme si elle a oublié d'être polie, et me sort :

« Bonne nuit. »

Le pire, c'est que ça convient trop au contexte. Par ce qu'après, j'ai Maths, et j'ai pas trop envie de suivre. Et la voilà que se barre. Ah bah quand même. Je peux enfin respirer, quoi. Je baisse les yeux là où elle était assise tout à l'heure. ...

... Eh, machine. T'as oublié quelque chose. Elle m'a l'air un peu tête en l'air. Enfin. Beaucoup. Un elle oublie son cours, deux elle se trompe de chiottes... Ouais, c'était presque inévitable qu'elle laisse quelque chose derrière elle. En l’occurrence, c'est un crayon. Mais le genre de crayon juste pour artistes, bien chère, que tu dois avoir les boules de perdre.

Bon. Je suis pas un gentleman, ou encore moins quelqu'un de normalement serviable, et en temps normal, ce que je trouve, je le garde. Sauf que là, pour le coup, un crayon, ça va pas beaucoup me servir.

Je le ramasse et sort. Ça va, elle marche assez lentement, elle est encore dans le couloir.

« Eh, euh... »

Machine ?

Je la suis en brandissant son crayon. Que je me sens con.

« T'as oublié... ça. »

A moins qu'elle l'ait aussi laissé pour décorer. Ça serait crédible en plus.

« Oh… merci, Pit. »

J'hausse un sourcil alors qu'elle récupère son crayon. Pit ? C'est quoi, ça ? Un sobriquet ? Alors, non, pas de surnoms. Je supporte pas les surnoms. Mine de rien les surnoms c'est un bon moyen de critiquer indirectement. Ou alors je suis parano. Je me demande bien d'où elle a sorti ça, quand même...

Je sais pas vraiment si je dois le lui faire remarquer, que je m'appelle pas comme ça, ou si elle en n'a rien à foutre tout simplement. Et là elle relève la tête en souriant... un peu trop. Non mais c'est une girouette cette nana c'est pas possible!

« Hey, tu ferais pas partie de l'équipe de basket ? Avec séquoia violet et palmier rouge ! »

... Eh, elle m'a pas déjà posé la question ? Si, si, j'en suis sur. Par contre, la fin, elle l'avait pas dit tout à l'heure. Un séquoia et un … palmier ? Je manque de rire en m'imaginant mes coéquipiers habillés en arbres. Ce qu'elle me faisait pas penser, elle ! Je pense pas trop qu'ils apprécieraient. Là, d'un coup, je crois que j'ai même pas envie de savoir à quoi elle me compare, moi.

Fin bon, faut bien lui répondre, non... ? Mais s'teuplé, arrête de sourire comme ça, tu fais flipper. Je sais même pas comment lui parler. Elle est tellement chelou que je doute de mes mots. Comment ça ça veut rien dire ?

« Je... t'ai déjà répondu que oui... non ? Et c'est Zenko... Pit, je connais pas... »

Pit... pit... mais d'où ça peut bien venir ? Ça m'interroge vraiment. Pit... Oh, et puis, qu'est-ce que ça fait ?

« Et... évite d'appeler le séquoia et le palmier comme ça... Je pense pas qu'ils le prendraient bien... »

J'allais pas non plus aller le leur rapporter, j'ai pas que ça à faire, mais y a des gens pas très futés qui adorent ça. Enfin, c'était certainement pas méchant à l'origine, mais perso, moi, je l'aurais pas très bien pris, alors bon... Ouais, je crois qu'il vaut mieux pas que je sache à quoi elle me compare. Même si c'est une fille.