• Histoire
1972. George Pompidou est au pouvoir. Le Parrain est au cinéma. Les Américains toujours au Vietnam. Et tandis que Nixon et Brejnev signe SALT I, une gamine de quinze ans à peine, Florence, donne vie à son premier gosse. Si elle avait pu, elle l’aurait jeté par la fenêtre. Elle aurait bien avortée clandestinement aussi. Mais Papa et maman sont des gens biens, des gens catholiques. Déjà qu’elle a couché avant le mariage, il ne faut pas en rajouter.
Mais elle ne peut pas être mère. C’est un fait indéniable. Ça nuirait à leur réputation.
Alors ils ont toujours fait croire que ce Firmin, né d’une mère encore enfant, était leur propre fils, faisant alors fi du préfixe petit. Évidemment, on lui cache la vérité. Une famille sans secret n’est jamais intéressante.
Il s’appelle Firmin Stéphane Lambert. Bien qu’un lourd secret pèse sur sa famille, ses parents par défauts l’élèvent comme leur fils. Et qu’on ne se le cache pas : Si Firmin avait écouté ses parents jusqu’au bout, s’il s’était refusé à lui-même, si jamais cette étincelle rebelle ne s’était éveillé en lui, embrasant alors l’essence qui enduisait leur cercle familiale, il serait alors marié, deux enfants, irréprochable et sobre, fumeur occasionnel et homme idéal sous tout rapport.
Enfant, il est étonnement calme et gentil. Le gosse fade et banal. Celui qu’on oubli de suite après avoir vu. Avec ses cheveux rebelles et ses genoux écorchés, on l’imagine grimper aux arbres après la messe, avec ses respectable amis François et Joseph, tous deux de bonne famille. Évidemment. Les gens biens avec les gens biens.
Firmin est bon élève en cours. Assez travailleur et sérieux, il a de bons résultats. Monsieur et Madame Lambert l’imagine faire de longues études. Quand on le félicite, il baisse le regard et rougit. Quand on le gronde, il s’excuse et promet de ne pas recommencer. Gentil garçon.
Il entre collège. Autre monde. Autre univers. L’Âge s’écrit désormais avec deux chiffres. On commence à avoir des préoccupations de grands. On se couche une heure plus tard, et on fait le mur pour aller jouer avec les copains. Les années passent sans qu’on ne s’en rende compte. Et dans cette enfance qui s’éteint lentement, Firmin entra au Lycée dans la section scientifique de son temps.
On n’est plus des enfants. Firmin est presqu’un homme désormais. La cigarette qu’il porte sans cesse au visage est là pour en témoigner. On travaille plus. On a d’autre préoccupation. On regarde les filles. On se demande si Valérie acceptera de sortir avec nous. Firmin, lui, n’en a encore que faire. On pense alors qu’il n’est pas mature, que ça viendra plus tard. En attendant, les filles ne l’intéressent terriblement pas. On le croit alors homosexuel, et sa famille commence alors à avoir honte.
Il décroche le bac mention bien. On est content pour lui. Il rentre à la fac. Et enfin, il commence à regarder les autres comme tout le monde. Papa Maman sont contents. Tous les jours, il lui demande quand une seconde Madame Lambert arrivera dans la famille. Mais lui ne pense pas à ça. S’il regarde les autres, ce n’est pas une vie avec eux qu’il veut. C’est juste le soir. A vingt ans, il fait sa première fois avec une jeunette de seize ans. Elle veut plus, lui s’enfuit le lendemain.
Ses études continuent, il réussit sans être le meilleur mais avec des résultats honorables. On est de nouveau content de lui. Firmin le sait bien qu’on n’en attend pas tellement de lui. Alors il fait ce qu’on lui demande, car il n’a pas de raison de désobéir.
A vingt-cinq ans, il continue encore ses études. Il sait ce qu’il veut faire. Des recherches en génétiques. Ça lui plaît, ce genre de trucs. Mais vingt-cinq ans, c’est aussi l’âge où il se met enfin en couple.
Il le dit à ses parents. En face.
On le croit entrer dans le moule.
Ils lui demandent le prénom de sa demoiselle.
Christophe, qu’il répond.
Alors c’est la gifle. On ne comprend pas quand ça a dégénéré. Pourquoi il n’est pas normal. Pourquoi il n’aime pas les filles. Il les aime aussi, répond Firmin. Nouvelle gifle, c’est impossible. Le ton monte, les mots partent. La seule à comprendre, c’est Florence, sa sœur, sa mère. Elle s’en fiche elle, tant qu’il est heureux. Et alors que Papa insulte son fils de pédale, elle prend sa défense. Les mots volent. Ce qui ne doit pas être dit est avoué. Il apprend la vérité sur lui et sur Florence.
Confusion générale. Firmin hésite. Il peut tout arrêter et devenir un gentil garçon comme il a toujours été. Il mentira, fera semblant, et tout le monde sera content. Mais non. Il ne peut pas. Alors il frappe son père. Et s’enfuit.
Le choc est important. Il n’appelle plus sa famille pendant un certain temps. Elle non plus d’ailleurs. Il se concentre sur ses études. Tellement. Pour oublier. Oublier sa faute. Son erreur. Trop de travail, si bien qu’il finit par rentrer dans le cercle des meilleurs. On aurait été fier de lui.
Puis un coup de fil. Florence.
Elle reste calme. Elle lui explique. Il comprend que ce n’est pas de sa faute. Qu’ils ont fait la même chose à Florence. Alors il se sent mieux.
Mais pas complètement. Car si accepter d’être avec Christophe est un pas, accepter qu’il n’a aucun sentiment amoureux pour lui en était un autre.
Tout ce qu’il voulait de nouveau, c’était le soir avec lui. Pas une vie.
Finalement, il le laissa tomber, au même moment il décrocha son doctorat de génétique. Il a alors vingt-huit ans. Il a encore la vie devant lui. Il est encore jeune. Il a des rêves plein la tête. Entrer dans un laboratoire, c’est ce qu’il veut.
Mais elle s’appelle Christelle, et elle est meilleure que lui. On lui donne la place, il n’y en reste plus pour lui. Il est perdu, ne sait plus quoi faire. Il se renseigne, on lui propose d’être professeur. Il accepte.
Alors les années passent. Son travail est ennuyant. Il n’a jamais voulu faire ça. De toute façon, n’aime pas les gosses. Mais on prend ce qu’il vient. Pour tenter de se résigner à son sort, il décide, sur un coup de tête, de se faire tatouer. Un serpent. Aucun signification particulière. Juste une envie.
Sa vie devient morose. Pour se consoler, il boit. Ça lui passe le temps, ça lui permet d’oublier et d’éviter d’avoir des regrets. Trente ans. Trente et un an. Trente-deux ans. Trente-trois ans.
Trente-quatre.
Trente-cinq.
Le même jour, pendant plusieurs années. La même routine imbuvable à chaque fois resservit dans le même verre. L’acool ne lui suffit plus, la cigarette non plus. Si parfois il touche à la drogue, c’est surtout le sexe qui le maintien éveillé. Là il trouve enfin ce qu’il a toujours voulu avoir. Des coups d’un soir. Il comprend qu’avec sa gueule de mec plutôt sexy, il peut trouver vite et bien. Mais il comprend qu’avec sa situation d’apparence stable, on va vite vouloir de lui plus. Alors il apprend à mentir. Il n’a pas été que Firmin, ce professeur dépressif. Il a aussi été Philippe, ce mari qui cherche à tromper sa femme. Louis, un bassiste dans un groupe de rock anciennement célèbre. Thibault, un riche homme d’affaire sans scrupule. Tout le monde. Il a été tout le monde.
Nouvelle routine, les années s’écoulent de nouveaux. Entre un coup et un verre, le temps passent assez vite après tout. Il atteint la quarantaine, et c’est là qu’il se rend compte.
Qu’a-t-il fait de sa vie ?
Pas grand-chose. On a connu pire. Mais on a surtout connu mieux.
Alors il plaque tout.
Marre de cette vie de merde qu’il n’a jamais voulu avoir. Et si lui aussi avait finalement le droit d’être heureux après tout ? La quête du bonheur n’a jamais été refusé à quelqu’un, pour peu qu’on se donne la peine.
Les États-Unis. Pourquoi là-bas ? Car il parle anglais, et que le Royaume-Unis est trop près de chez lui. Floride. Il y pose les pieds en août. Il fait chaud là-bas.
Professeur un jour, professeur toujours. Pendant deux ans, il revit en quelque sorte. Son nouvel environnement lui plaît bien, et même si la France lui manque, il se promet de ne pas revenir y habiter.
Il passe deux ans dans le même Lycée. Puis un jour, on lui annonce que l’Académie Volfoni rouvre ses portes. Une occasion en or. Il postule. Il est pris.
Et même s’il n’y est que depuis peu de temps, on connaît tous Firmin Lambert, le beau professeur de SVT, avec son accent et ses mots en français placés çà et là dans ses phrases. Trop vieux pour les élèves mais parfaits pour les autres professeurs. Les rumeurs courent un peu sur lui. Apparemment, il aurait couché avec la femme de ménage. Et il serait tatoué.
Et alcoolique.
Et toujours aussi triste.
• Caractère
Elle s’appelle Katherine et doit avoir un peu plus de la trentaine. Sûrement. Lui s’en fout, et ne veux pas savoir. Elle était juste là, sur le chemin. Ils ont parlés. Sympathisés. Ils sont venus chez Firmin.
Coup d’un soir.
Comme toujours.
Il est tôt le matin. Elle est encore dans son lit, lui est au balcon de son appartement, clope à la main, encore torse-nu. Fumer, c’est sa passion première. Depuis qu’il a quinze ans d’ailleurs. Certes, ça lui a un peu niqué la santé. Mais avec sa philosophie de bas-étage il s’est toujours dit « mieux vaut une vie courte et palpitante qu’une vie longue et chiante ». De toute façon, il n’arrivera plus à arrêter.
Il jette sa clope du haut du balcon. Son voisin du dessous râle. Lui le snobe hautement et se retourne dans sa chambre, laissant la fenêtre ouverte.
Sa chambre. Ses passions sont visibles directement. Pas bien rangé. On dirait une chambre d’’étudiant d’antan, avec ses éternels posters et disques vinyles de David Bowie sur les murs, ses vêtements sales sur le sol et une nana quelconque dans le lit. Ça pue l’alcool et le tabac ici. Pas étonnant.
Son regard se pose sur sa bibliothèque. Des tas de livres sur les sciences en tout genre, particulièrement la génétique. Ca le déprime autant que ça le réjouit de voir ses saloperies là. Il adore la science. Il n’a pas un foutu doctorat là-dedans pour rien. Un doctorat. Docteur en génétique. Il n’a jamais voulu être prof. Et ne le veut toujours pas.
Boulot de merde.
Heureusement qu'il aime vraiment ça, la science. Ça lui permet de tenir en tant que prof et de ne pas raccroché.
Son regard croise la glace. Plutôt bel homme, il se trouve. Même si on peut difficilement lui donner un âge précis. Son regard lui donne un âge terriblement avancé, celui d’un homme déjà foutu et mort. Son corps, celui d’un quarantenaire séduisant, ce qu’il montre. Son attitude, celui d’un gamin paumé. Ce qu’il est, encore incapable de se prendre en main, qui fréquente les lieux bizarres, pense qu’à l’alcool et au sexe, se croit éternel alors qu’il brûle la vie des deux côtés.
Un bruit. Elle se réveille. Lui soupire. Il aurait voulu qu’elle se soit déjà barrée. Elle ouvre les yeux, lui sourit. Lui regarde encore dans la glace. Se préfère à elle, c’est certain. Du bout des lèvres, lui murmure.
« Tu vas peut-être partir, non ? »
Le non prononcé en français, comme toujours. Sale habitude, rien que pour plaire aux femmes. C’est sexy, qu’on lui dit. Il ne comprend pas pourquoi, mais en joue salement.
Le visage de Kathy se crispe, elle crie. Lui reste impassible, daigne la regarder. Elle est belle, dans sa colère. Il est sensible à la beauté. C'est ce qu'il recherche chez les autres. Facile, il voit la beauté partout. Tant qu'on cherche à plaire, ça lui va. Il continue de la regarder. Elle s’attendait à quoi ? Ce n’est pas parce qu’on couche qu’on veut forcément quelque chose d’autre. Elle doit penser cela cependant. Mais que voulait-elle ? Un possible lendemain ? Qu’ils se foutent en couple ? Se marie ? Aient des gosses ? Firmin ne veut pas de ça. Il n’a jamais ressenti ce besoin de se mettre en couple. Il n’a jamais été amoureux. Alors puisqu’il ne peut pas se fondre dans une société basée essentiellement sur la famille hétérosexuelle avec des gosses, société qui a tenté de le guérir alors qu’il n’était pas malade société qui ne l’a jamais lâché et pourri jusqu’au bout, il attend. Il la regarde ramasser ses affaires. Elle lui jette une de ses chaussures au visage. Elle passa par la fenêtre. Elle s’enfuit en criant.
-Salaud !
Toujours pas un mot du Firmin. Salaud. On lui a dit cela tellement de fois. Tellement de fois qu’il a fini par y croire. Et ça le rend triste. Terriblement triste.
• Physique
Une glace. Il se regarde. Il se trouve beau. Pas parfait, mais beau. C’est déjà ça.
Il aime sa taille. Un mètre quatre-vingt-cinq. Parfait, selon lui. Assez grand mais pas trop pour ne pas être une grande perche. Sa corpulence. Fin, mais tout de même un peu musclé. Il s’entretient, c’est indéniable. Il s’aime physiquement. C’est déjà ça. Il regarde son tatouage. Parfois il l’adore, parfois il regrette. Un serpent qui s’enroule des hanches aux côtés. Bleu vert foncé, sans autre couleur. Bien exécuté en tout cas.
Sa peau. Beige pâle. Joli teint. Parfois un peu de cerne. Qu’importe, ça lui donne un air mystérieux. Son visage, finement ciselé. Les traits masculins mais pas grossiers. Une mâchoire un peu trop carrée et anguleuse. Un menton tout aussi carré. Son nez, peut-être trop marqué mais bien droit, bien défini. Sa bouche. Ni trop fine, ni trop épaisse. Il ne sourit que très peu réellement, se contentant toujours d’esquisser un vague sourire. Quelques poils de barbes, ça lui donne un style négligé qui lui sied tant. Il est déjà pas mal à la base, mais il sait s’arranger au mieux. Il veut plaire. Ça marche.
Ses yeux. Bleus gris. Expressifs. Tristes. Semblant avoir tellement vu et vécu. L’air fatigué, c’est certain. Assez grand sans trop l’être. Perdu dans le vide.
Ses cheveux. Mi- long. Ondulé. Épais. Brillant. Il use et abuse de soin et de shampooing. S’ils semblent négligés, c’est encore tout un art. Noir, on peut cependant déjà y voir des reflets gris malgré sa petite quarantaine.
Ses vêtements. De la marque. Du Luxe. Avec un salaire de prof, il ne devrait pas. Classe, mais pas trop. Un juste milieu. Un équilibre qu’il a mis du temps à trouver.
Il s’aime. Les femmes l’aiment. Son physique, il ne s’en est jamais plaint. Heureusement. Il a déjà assez de problèmes comme ça.