◄►Les écouteurs vissés sur ses oreilles, Adam essayait de se concentrer sur la musique. C’étaient des écouteurs bon marché, en plastique noir, le genre qu’on casse en s’asseyant dessus par mégarde. Mais ce n’était pas grave, parce qu’un casque coûteux aurait depuis longtemps fini brisé, tant on les avait jetés par terre, Adam et son sac.
Il serrait son smartphone à l’écran rayé dans sa main droite, poisseuse et tremblante, pendant que sa main gauche faisait des allers retours dans ses cheveux, presque violemment. Il se balançait nerveusement, humidifiant et emmêlant ses mèches bleues, les lèvres serrées en une fine ligne pâle et les yeux dans le vide, fixant un point du sol plastifié presque sans ciller.
Autour de lui, des ballons de basket diffusaient leur senteur réconfortante, l’entouraient de leurs silhouettes sphériques et orangées. Il aimait ça, être perdu tout seul parmi des pleines caisses de balles neuves, propres, odorantes. Cependant, il n’était pas vraiment d’humeur à apprécier pleinement la tranquillité du lieu.
Il s’était juste jeté là par hasard – il avait couru à toutes jambes dès qu’il avait perdu Salvatore de vue et sa respiration erratique pouvait témoigner de l’ardeur qu’il avait mise à sa fuite. Ses lèvres lui faisaient mal, le piquaient douloureusement et pulsaient comme si elles en demandaient plus. Toujours plus. Et Adam était là, seul, recroquevillé, à fixer les secondes du morceau défiler sur son écran sale, essayant de démêler les fils inextricables de l’épisode le plus marquant de sa vie entière.
Salvatore.
Une grande inspiration tremblante brisa le silence, mais il ne l’entendit pas, les oreilles remplies de sons psychotiques et planants. C’était la sienne. Son propre soupir.
Ses yeux le brûlaient aussi, mais il ne pleurait plus ; il se contentait d’avoir cet étau au ventre qui pressait et pressait et
je ne pourrai jamais en parler à personne.Personne ?
Non. Définitivement. Il n’y avait pas un élève dans cet Académie qui accepterait de l’écouter déverser ses flots noirs de paroles, comme un bitume épais et nauséabond qui sortirait de sa bouche de son cœur de son corps tout entier pour aller se loger directement dans le creux d’une oreille amie. Amie, ou traîtresse, car n’importe qui de sensé irait aussitôt clamer au monde entier sa
faute.
Sa faute d’avoir été touché.
L’illumination vint par hasard, sans qu’il ne la cherche vraiment et sans même qu’il s’y attende – à vrai dire, il faisait défiler son court répertoire de contacts depuis un certain moment et il était passé tant de fois sur ce nom sans le voir que c’en était effrayant.
Et justement, c’était la personne à qui il avait envoyé le moins de messages qu’il remarquait soudainement, et son visage juvénile s’imposait à son esprit comme une évidence (c’était ça, c’était évident).
Justin.
Justin était celui qui allait écouter sans broncher, sans sourciller, et qui à la fin le jugerait forcément en tant que victime – pas qu’il allait passer sous silence sa propre violence, mais c’était comme ça que ça marchait.
Peut-être parce qu’il avait, à un coloris près, la même teinture que lui, mais Adam se sentait soudainement à nouveau proche du garçon au point de pouvoir lui raconter sa vie entière – et il oubliait volontairement son silence de plusieurs semaines, parce que se sentir coupable ne l’aurait avancé à rien.
Rapidement, ses doigts trottèrent sur l’écran, et il dut s’y reprendre à plusieurs fois tant il tremblait et tant la sueur qui s’écoulait de ses paumes brouillait l’écran tactile déjà mal en point. Mais finalement, le
sms partit, voguant sur les ondes à la recherche d’une oreille attentive.