Kirkegård [Adam Wiest & Shawn Anderson]

La chaleur tapait fort sur le crâne d’Adam, qui transpirait tellement que son débardeur blanc était collé à son dos par une grande tâche de sueur. Il s’était traîné depuis l’Académie jusqu’à l’arrêt de bus le plus proche, et, après une attente pénible qu’un quart d’heure, où les quelques personnes qui patientaient avec lui le regardèrent d’un mauvais œil – pas le regard dédié aux victimes, mais celui spécial mauvais garçons qui devraient faire autre chose de leur vie que se battre aussi honteusement –, le véhicule suffoquant et grinçant l’avait emmené jusqu’aux alentours de la ville, près des champs de canne à sucre et près de la mer.

C’était dommage qu’il fasse aussi chaud le jour où il avait besoin de fraîcheur ; peut-être que c’était lui qui délirait, après tout, son voisin de bus n’avait pas l’air spécialement affecté. Laissé seul sur le bord d’une route poussiéreuse où il n’était jamais allé, Adam voulut trouver le rivage. Il n’aimait pas ce coin-là – trop agricole – et aurait voulu se rapprocher de l’océan, tremper ses pieds dans l’eau et se détendre, enfin.

Il avait fui précipitamment Caleigh, poussé par un besoin viscéral de s’éloigner de Volfoni et d’être seul, profondément seul au moins quelques heures. Même l’infirmerie lui avait semblé hostile, mais après s’être pris autant de coups le monde entier paraissait semé d’embûches.
Adam n’avait jamais pu se défendre, et encore moins contre une fille. Il n’arrivait même plus, dans ces moments-là, à garder son sourire mesquin et provocateur. Non, il se contentait d'ouvrir grand les yeux, pétrifié, outré que tant de violence puisse émaner d’un corps si féminin. Il étouffait ses plaintes à chaque coup et jouait si bien le cadavre qu’on finissait par se détourner de lui, peut-être moins vite que les garçons cependant, moins vite que Tran Yo. Elles persévéraient ces sorcières, elles s’acharnaient sur son corps raidi et Adam aurait pu crever entre leurs mains qu’elles auraient continué encore une dizaine de minutes, pour être bien sûres qu’il soit mort.

Caleigh avait beau avoir une poitrine, l’ordre du monde restait le même. Elle ne l’aimait pas, il l’avait senti, et le fait qu’il ait osé s’opposer à Tran Yo dans sa mission divine de purifier la race asiatique l’avait mise en colère.

Adam boitillait en se tenant le ventre, vaguement plié en deux. Un jour son estomac allait finir par exploser sous les coups de pieds et il mourrait et ça serait bien comme ça, parce qu’une personne se sentirait coupable et repenserait à lui toute sa vie.
La moitié de sa bouche avait disparu sous le sang et chaque fois qu’il avalait sa salive épaisse, le goût âcre et métallique de sa propre hémoglobine l’emplissait à l’en faire vomir.
Tous les doigts de sa main gauche lui faisaient mal, écrasés par une semelle vengeresse. Il se demandait s’il n’y en avait pas un de fracturé.
Ses genoux avaient mordu le bitume pendant ses trop nombreuses chutes, et aucun vêtement n’était là pour les protéger, son short en toile s’arrêtant en même temps que ses cuisses.
Ses oreilles bourdonnaient, à la fois à cause de sa tête qui s’était écrasée contre le mur et aussi du soleil. Il n’avait pas pensé à emmener de quoi se couvrir.

Il s’était juste relevé péniblement, toussant et crachant, était passé à son bungalow prendre quelques affaires et était parti sans se retourner.

Il marchait depuis dix minutes quand il s’arrêta et releva les yeux pour ne trouver devant lui que des croix à perte de vue. Des croix en bois, des croix déglinguées, envahies par une flore exotique, des croix pourries et d’autres sur lesquelles de petits oiseaux étaient perchés.
Un cimetière, Adam venait juste de débarquer dans un cimetière.
Il n’était pas du genre peureux, et la lumière crue de l’après-midi le conforta dans sa démarche lorsqu’il s’engagea sur le sentier central, aux aguets. Il n’y avait personne. On avait pas dû y mettre les pieds depuis très longtemps et voilà qu’il violait ce sanctuaire abandonné avec ses tennis en toile et sa peau écorchée. Il n’y avait pas d’eau ici, mais des bosquets foisonnants et donc de l’ombre.

Adam se laissa tomber avec un soupir d’aise contre un petit tronc d’arbre, ferma les yeux quelques secondes et s’abandonna au silencieux bruissement de la vie animale. Insensible à l’ambiance glauque de l’endroit, il goûtait pleinement à l’absence de toute vie humaine en sortant de son sac ses lingettes désinfectantes, sa crème apaisante, ses pansements et ses bandages et aussi sa pince à épiler pour enlever les gravillons coincés dans la chair de ses genoux.

Au travail.

Journée banale... enfin c'était sans compter sur Miss Bell qui a décidé de te faire une virée en ville dès le matin alors que tu es encore en pyjama. Tu avais refusé évidemment. Mais elle était entêtée. Elle t'avais quasi habillé... comme un sac à patate sachant que tu as encore ton haut de pyjama sur toi. Envie de meurtre ? C'est gentil ça encore voyons. Tu pourrais divulguer son petit secret à Salva. Tu rirais tellement et très fort. Mais bon, t'es quand même assez sympa pour ne pas le faire sinon ça serait l'apocalypse sentimentalement chez Miss Bell et tu sais pertinemment que ça te retomberait dessus. Tu passerais des jours et des nuits à la consoler. Elle serait encore moins supportable que maintenant. Alors tu te retire ça de la tête.
Sinon, revenons à ta situation actuelle. Pep' t'avais baladé toute la matinée alors que t'étais à moitié en pyjama avec un haut mille fois trop grand pour toi et un vieux jean troué. T'avais l'air maligne comme ça. Tu avais réussis à semer Pepper aussi. Mais tu t'étais un peu perdue au passage. Ton légendaire sens de l'orientation est en action. Génial. Tu regarde à gauche puis à droite. Nothing. Et c'est maintenant que tu déclare réellement dans la merde. A force de vouloir échapper à Pepper et bah voilà ce qu'il t'arrive.

Lourd soupire au bout de tes lèvres et tu avance vers l'inconnu mains dans les poches. Tu ressembles quand même vachement à une clocharde qu'un passant t'as donné de la monnaie quand tu l'as frôlé. Tu avais refusé mais il a tellement insisté que tu as pris l'argent. C'est le jour le plus merdique de toute ta vie. Et encore ce n'est que le début. Tu croire voir Pepper plus loin et tu entre dans le premier portail que tu vois et tu files te cacher derrière le premier arbre que tu vois. Et tu passe doucement ta tête pour voir s'il y a Pepper. Mais tu ne la vois pas, si ça se trouve tu as juste halluciné. Tu regarde ensuite autour de toi. Un cimetière. Okay... tu es entrée dans l'endroit le plus glauque sur Terre. Puis, tu vas pour sortir. Mais ton regard croise celui de quelqu'un assit juste sous l'arbre. La tête qu'il a... il ressemble beaucoup à...

▬ un mort-vivant...

Tu penses à voix haute Shawn. Tu es perdue, habillée comme une clocharde et maintenant tu parles toute seule. La pire journée de ta vie.