Clos_ [Valère C. Tranquille & Ilo Van Diermen]

Non.
Faut que tu m'expliques là.
Pourquoi ?
Certainement pas pour le plaisir de se faire enfermé.

Pour ces quelques points en plus ? Si ça se trouve, tu en auras qu'un seul et ça, ça te trouera le cul, hein. Seulement pour ça. Non mais, qu'est-ce qu'il faut pas faire. En plus, tu n'as même pas envie. Ça se voit à tes pieds qui traînent au sol, tes mains qui malaxent nerveusement les bouts des manches de ta veste. Tu n'as vraiment pas envie. Et tu n'as pas pu dire non à cette prof. De toute façon, même si tu aurais dit non, elle t'aurait enfermé de force, tu en es sûr. Séquestré comme Raiponce. Tu te voyais déjà les cheveux longs à chanter que la vie est belle, en compagnie d'un cafard.

Pis ça va, tu n'es pas tout seul. Il y a ce type, Valère. Un type bizarre, mais pas méchant. Juste bizarre. Tu le zieutes rapidement. Lui, ça n'a pas l'air de le gêner. Mais toi, ça t'enchante pas.
Elle considère ça comme de l"art". Non mais là, faut pas déconner. Tu t'es senti con sur le coup, à te demander comment ça pouvait être de l'art. Et tu te demandes toujours. Tu trouves pas de réponse à ça.
Ça t'énerve.

Enfin devant la salle maudite. Tu regardes rapidement l'intérieur, sans franchir le seuil. Une heure là-dedans. Heureusement qu'il y a de la lumière, sinon, ça aurait été niet.
Tu kiffes pas l'obscurité.
Mais tu vas pas le dire, hein.

Tu marmonnes dans ta barbe invisible des mots que toi seul peut comprendre. Et tu franchis la porte. Limite la prof te pousse dans le dos pour que tu n'hésites pas à rentrer. Tu t'avances vers les lumières. Les lumières, c'est la sécurité première. Tu te tournes vers la porte, fixant la prof.

"Hé, z'avez pas intêret à nous oublier."

La porte se ferme, tu ronchonnes. Tu regardes rapidement Valère à nouveau, puis tu t'assoies, toujours à côté de ses lumières. Tu ôtes ta veste, il fait chaud.

"Non mais mec, explique-moi, en quoi c'est de l'art ça? Je veux savoir."

Tu regardes une ampoule, puis Valère, puis à nouveau l'ampoule. Tu serres la veste dans tes mains. Pas envie de te retrouver dans le noir. Donc tu penses à autre chose.
Si ça trouve, la séquestration de Raiponce était une forme d'art version grandeur nature...
Crétin.

Une oreille écoute. L'autre non. Tu es à moitié concentré. Mais la réponse de Valère t'éclaircit l'esprit, pas comme ces lumières qui n'éclaircissent rien. Il y a vraiment des gens bizarres pour faire ça. Mais s'ils considèrent ça comme de l'art, tu n'as pas grand-chose à dire, tu n'as pas un esprit assez artistique. Mais pourquoi t'avoir choisi toi, hein ? Tu n'as pas une gueule à patienter gentiment dans une pièce fermée, dans le noir. "L'expérience" vient à peine de débuter et tu te sens déjà mal à l'aise. Parce qu'il fait noir. Trop noir.

Tu grinces des dents. Cette salle te frustre. Tu ramènes les jambes vers ton torse, serrant toujours la vieille veste. Tu cherches à te concentrer sur autre chose. Tu pourrais dormir, l'heure passerait plus vite. Mais tu as assez dormi. Puis ça serait méchant de laisser Valère seul. Tu fermes les yeux un instant. Mais tu les trouves, Valère vient de dire quelque chose. Tu le regardes du coin de l'oeil. T'as vraiment pas l'air ravi, hein. Tu as envie de répondre que ouais, tout va bien. Mais ta tronche te trahirait à nouveau. Tu vas lui dire quoi ? Que le bel Iloy a peur du noir ? Comme un gamin qui pisse encore au lit à cause des monstres sous son lit ?

"Je... j'suis pas à l'aise quand il fait noir."

Ça passe mieux que de dire "en fèt jé peur du nouar Lol". Pourquoi t'es pas à l'aise ? T'as toujours craint l'obscurité. Faut dire que tu as facilement peur. Bon à vrai dire, c'est tes frères qui t'ont traumatisés quand t'étais gosse. La bonne idée de te foutre une peur immense en pleine nuit, avec un masque de clown venu droit des enfers. Ils ont juste débarqués dans ta chambre en hurlant, armés de couteaux en plastiques mais réalistes. Ils sont venus jusque dans ton lit, te secouant dans tous les sens, toujours en criant; le drap a gardé la marque de ton urine. Depuis, tu ne vois plus que le mal dans l'obscurité. Tu as toujours cette impression que l'on va te faire du mal à n'importe quel moment dès qu'il fait noir. De voir surgir quelqu'un. D'entendre le moindre petit bruit bizarre et que ça te tombe sur laggle. Tu ne t'y attends pas. C'est comme dans ces films d'horreurs. Tu sais que le danger arrive mais tu ne sais pas quand il va apparaître.
Bref. Tu secoues la tête. Arrêtes de penser à ça.

"Mais ouais, ça va."

Mensonge.
Tu fixes tes pieds. Tu grattes dessus un morceau de terre, nerveusement. Tu ne sais pas comment t'occuper.
Trouve quelque chose à dire. Enclenche une conversation. N'importe quoi. Reste pas comme ça, tu vas te chier dessus.
Tu relèves la tête, ce qui te fait craquer le cou.

"C'toi qui a décidé de venir faire cette expérience ? Ou on t'a forcé ?"

Tu sais pas pourquoi tu dis ça. P't'être que Valère, lui, était intéressé par ça. Donc il s'est p't'être porté volontaire. Mais pas toi. Toi, on est venu te voir. "Ça t'intéresse quelques points en plus ? Tu verras, ça sera intéressant."

Tu inspires jusqu'à faire exploser tes poumons, expirant sans discrétion. Ballek franchement, ce n'est que Valère, ce n'est pas lui qui va se foutre de toi. Tu enfouis la tête dans les épaules, secouant doucement la tête pour dégager les mèches gênantes.
Il est gentil Valère, il aide, lui. Pas comme toi. Il aurait fallu te promettre la lune pour que tu fasses de bon coeur ce genre de truc, franchement.

"Nan, je ne savais pas. Pis à vrai dire, chuis plutôt content qu'il y est une autre personne, c'est moins... angoissant."

Hm, ouais. Angoissant. Pour pas dire que tu aurais chialé comme un gamin si tu avais été seul, hein Iloy. Une nouvelle inspiration. Lui, au moins, la peur du noir, ça lui a passé. C'est des trucs de gamins ça. Ravale ta connerie, ta peur, t'as passé l'âge bordel.
Mais non, rien à faire. C'est comme un parasite, ça reste coller à toi et te ronge à chaque fois.

"Ouais vas-y, balance le son, c'cool l'électro."

Un sourire.
Tu te redresses, balançant ta veste à côté de toi. Tu regardes Valère, l'invitant à se rapprocher en un mouvement de main. "Reste pas là mec, j'vais pas te bouffer, je suis pas de ce bord." Les jambes croisées, tu te frottes les mains, te mordillant une lèvre. Tu regardes la pièce, du moins, tu essaies de distinguer les détails malgré l'obscurité.

"C'est quand même flippant comme pièce. Enfin, "flippant". Je dirai perturbant, d'avoir plein de miroirs autour de soi. Pourquoi ? J'ai pas compris pourquoi ils faisaient ce genre de pièce. Une sorte de narcissisme ? De te forcer à regarder ce que tu n'aimes pas chez toi ? Pas autant physiquement, mais mentalement... Hm, j'commence à perdre l'esprit."

Un silence, un moment de réflexion. Tu écoutes la musique, c'est agréable comme son.

"T'as pas une idée toi de pourquoi ils ont fait cette pièce ? Dans quel but ?  Chuis assez perdu sur ce sujet, haha..."

Essayer de sympathiser, c'est cool. De savoir l'avis des autres, ça t’intéresse en un sens, ça peut te permettre de revenir sur tes pensées et les modeler pour satisfaire ta curiosité.
Tu te racles la gorge. Tu as juste une envie, de te défouler les jambes. Courir. Mais ce n'est pas possible. Tu te contentes d'étendre les jambes. Ça fait déjà du bien.

Un regard jeté vers le bout de tes chaussures usées, puis vers Valère. Aucun sens. Tu n'aimes pas quand les choses n'ont pas de sens, ça te perturbe. Pour toi, il faut que tout soit une signification. Tu laisses s'installer un silence, te permettant de méditer. Un miroir reflète quoi, au fond . Et que reflètent plusieurs miroirs ? Tu lèves les yeux vers les murs. Non, pas de miroirs pour cette fois.

"Je vois."

Tu agites tes pieds au rythme de la musique, songeant. Tu en as presque oublié l'obscurité qui trouve sa limite, qui ne t'atteind pas. Tu regardes ton portable. "On est ici depuis quelle heure déjà ?". Tu as oublié.
Tu regardes Valère, quel type chelou, mais pas méchant. Un soupire t'échappe, cette pièce te frustre. Tu bascules en arrière, t'allongeant complètement, les bras se mettant maladroitement derrière ta tête. Tu as envie de dormir.

"Il reste beaucoup de temps avant qu'on foute le camp ?"

Peut-être. Ou pas.
Tu fermes les yeux. Cinq minutes, dix minutes, ou plus. Tu les rouvres, la lumière des projecteurs te fait mal aux yeux un court instant. Putain que tu as envie de te défouler. Tu te relèves pour te remettre en position assise,  te frottant un oeil.

"J'ai besoin de bouger."

Tu te relèves, t'étirant de tout ton long jusqu'à entendre plusieurs craquements du dos. Tu fais quelques pas vers les projecteurs, les contournant, et continuant d'avancer jusqu'à la limite de la lumière. Tu inspires un bon coup. Non, tu n'iras pas. Ce n'est pas rassurant déjà, et puis si quelque chose t'arrive, tu peux pas t'enfuir. Non, t'es pas confiant. Tu te tournes vers l'autre, avant de revenir à ta position, restant toujours debout.

"Bon. Quitte à avoir du temps devant soi, autant continuer à faire connaissance."

Tu t'assois, rapidement et maladroitement, prenant ta veste dans les bras.

"Tu fais quoi dans la vie ?"

Tu mets en boule ta veste, t'allongeant et te servant du vêtement froissé en guise d'oreiller.