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 Réclusion [Adriel Lespérance & Enora Clifford]

Adriel Lespérance
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Adriel Lespérance
Âge du perso : 22 ans
Activité : Arts plastiques
Spécialité : Dessin au plomb, fusain et encre de chine
Fonction : Universitaire
Poste spécial : Freak de service
Avatar : Nuvat - SirWendigo
Doubles-comptes : Prudence Vang
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Date d'inscription : 13/04/2013
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Comme à mon habitude, je n’ai pas vraiment écouté dans mon cours d’anglais. Un peu comme dans tous mes cours. Et… j’ai eu quelques petits problèmes. J’veux dire, ouais, je n’écoute pas, mais j’emmerde personne. Je regarde par la fenêtre, je dessine un peu partout sur mes feuilles, je lis ; bref, je fais tout sauf écouter. Et y’a les tarés derrière la classe qui… eh bien, qui sont fidèles à eux-mêmes, quoi. Ils sont tarés. Ils font du grabuge. Mais c’est moi, le gars silencieux, qu’on remarque. On pense probablement que j’ai une certaine propension à faire chier à cause de mon apparence. Je sais pas trop. D’habitude, on me laisse faire ce que je veux parce que j’ai des notes acceptables, mais aujourd’hui, c’est une véritable conspiration.

Pour faire court, la prof s’est plantée devant mon pupitre en me fixant. Ça m’a pris un moment avant de réaliser que tous les yeux étaient rivés vers moi. Je crois qu’elle m’a dit de poser ce livre et d’écouter, qu’elle en avait assez que je me fiche de ses cours. Et j’’ai répondu que j’avais la moyenne même en n’écoutant pas un seul mot qui pouvait sortir de sa bouche, ce qui prouvait que ses enseignements étaient aussi insipides qu’inutiles. Et que si elle avait vraiment envie de râler, elle n’avait qu’à s’en prendre aux idiots qui, non seulement n’écoutent pas son cours, mais n’ont pas la moyenne.

Et bam. Dehors de la classe, Adriel. Il parait que j’ai été insolent, mais au contraire, je crois que j’ai été plutôt poli. Je n’ai dit qu’une vérité que cette vieille connasse coincée ne pouvait supporter. C’est moi qu’elle a foutu dehors de sa classe parce que ma tête ne lui revient pas. Heureusement, c’était le dernier cours de la journée ; j’ai simplement été libéré plus tôt que les autres élèves. J’suis assez veinard, des fois. Étant un peu en avance sur la sortie de l’attroupement d’élèves des classes, je suis presque seul dans les couloirs. Ça me satisfait, je déteste les foules. Ça me rend presque claustrophobe. Je suis tout de même heureux d’éviter les multiples regards qui se posent inévitablement sur moi en public. J’y suis habitué, depuis le temps, puis la plupart du temps, ça m’amuse, mais… Y’a des jours comme ceux-ci où je désirerais être invisible pendant un petit moment. Juste pour qu’on me foute la paix.

Je déambule ainsi dans les couloirs pendant une ou deux minutes en me demandant où aller. J’ai besoin de décompresser un peu. Mon regard finit par s’arrêter sur les salles de classes inoccupées. Tiens, une sacrée bonne idée. J’entre dans l’une d’elles, je m’assois à l’un de nombreux pupitres et je sors mon cahier à dessins. Je gribouille instinctivement le monstre le plus creepy et le plus dégueulasse que je peux faire ; ça me fait vachement rire. Intérieurement. Je pense que ça ressemble un peu aux Grunts dans Amnesia : the Dark Descent. Peut-être avec une gueule un peu moins béante et moins de gras, par contre. J’ai pas envie de donner l’impression qu’il veut french kisser tout le monde.  Je rajoute quelques détails sordides en souriants. Je l’ai déjà dit, je fais de l’art pour les troublés mentaux.  Quand tout ce que je prof en peinture trouve à dire devant mes œuvres c’est «Euh… c’est… très original, Adriel » c’est que je le traumatise au moins un tout petit peu. Je dessine frénétiquement des ombres. Les ombres et les lumières sont des choses cruciales en dessin : elles peuvent tout changer. Je peux rendre un dessin médiocre d’un débutant en quelque chose de plutôt joli en m’appliquant au shading.

Rendre ce dessin le plus horrifiant possible m’aide à extérioriser la colère et le mépris que j’ai pour autrui, en ce moment encore plus que d’habitude. Je crois que cette haine a toujours existé. Déjà tout petit, on me rejetait parce que ma mère était «folle». Les autres enfants ne voulaient pas traîner avec un fou. Oui, c’est à la fois atterrant et hilarant. On m’a toujours pris pour un mec dérangé. Rien n’a changé. Quoiqu’au moins, ici, personne ne sait qui est ma mère. Ça aide un peu. Ça enlève les préjugés sur ma mère et l’argument de la folie héréditaire n’effleurera pas l’esprit des autres élèves. Je continue à gribouiller, concentré. On ne se demandera pas pourquoi mes œuvres sont aussi étranges si je couche mes sentiments sur les toiles et les papiers. Ces objets inanimés sont probablement les seuls ici à connaître mon intérieur. Tout à l’heure, je me sentirai beaucoup mieux. Moins de mépris à l’intérieur de moi. Ça va alléger un peu. Mais rien qu’un peu. Je passe ma main dans mes cheveux et me met à regarder le plafond. Des carrés, Des trous. Un crayon planté dans l’un deux. Je baisse les yeux sur ma feuille en jouant sur mes piercings avec ma langue sectionnée. Je pense. Comme toujours.
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La sonnerie de la fin des cours avait à peine retentit que le petit manège d'Enora reprenait déjà. Elle avait encore une fois quitté sa salle après tout le monde - à l'exception des fayots qui voulaient rester parler avec le prof - et plutôt que de se diriger vers la sortie, s'enfonça vers l'intérieur du bâtiment. Commença alors son errance quotidienne, à la recherche d'une salle vide dans laquelle elle pourrait s'enfermer, et dessiner tout son saoul si l'envie lui en prenait - et comme elle n'avait pas beaucoup d'autres distractions, en général elle en ressortait le fusain beaucoup plus court. Si les gens savaient qu'elle faisait ça, chaque jour ou presque, sans doute trouveraient-ils ça triste. Pire, ils la jugeraient encore plus bizarre. Pourtant, rien ne lui semblait plus naturel. Elle n'avait guère d'éclats de rire ou d'anecdotes croustillantes à partager avec les autres élèves. Eh, vous voulez que je vous raconte la fois où j'ai essayé de me suicider en avalant un tube de somnifères ? Elle est bien bonne ! Non, décidément, Enora n'avait vraiment pas de prétexte pour se mêler à leur groupe. Quant à ce qui était de s'enfermer dans sa chambre, à l'internat, c'était hors de question. L'endroit exigu l'étouffait, et en plus on pouvait trop facilement l'y trouver.
Restaient alors les salles non utilisées. Ca, c'était une aventure. Déjà, il fallait chaque jour trouver son asile, car ce n'étaient jamais les mêmes qu'on oubliait de verrouiller. Ensuite, après avoir trouvé le lieu, restait l'exploration. Enora aimait inspecter les pièces dans les moindres recoins, dans ces détails que l'on ignorait quand on se contentait d'avoir quelque chose à y faire. Elle pouvait entrer dix fois dans une salle, et chaque jour repérer des choses nouvelles. Et puis, il y avait les mots, sur un bout de papier froissé au pied d'une chaise, ou griffonnés sur les tables ou sur un coin de mur, qui très vites disparaîtraient sous les jurons des agents d'entretien. Enora adorait saisir ces messages éphémères, qui lui en apprenaient beaucoup sur les autres étudiants. Bien sûr, il lui était arrivé quelquefois de tomber sur une note qui parlait d'elle, rarement en des termes chaleureux. Elle était la fille chelou là, la gothique, ou encore la meuf qu'on dirait qu'elle va t'assassiner quand tu lui parles. Et puis, bien sûr, la vampire, ça, ça la suivait depuis pas mal d'années, mais finalement ça lui plaisait bien. Statistiquement, les autres élèves ne semblaient pas s'acharner tant que ça sur elle, mais ça ne l'empêchait pas de les haïr profondément à chaque fois qu'elle trouvait un mot qui lui faisait référence.
Comme elle songeait à cela, elle enclenchait machinalement les poignées des portes qu'elle rencontrait. Parfaitement inattentive à cet acte automatique, elle ouvrit sans s'en rendre compte une salle ou un cours s'attardait, et la referma sans même s'excuser. Finalement, elle arriva au bout du couloir et monta à l'étage supérieur, où elle recommença son petit cirque. C'était le troisième étage du bâtiment du lycée, et elle savait qu'elle trouverait son bonheur ici. Cela ne manqua pas. La deuxième poignée fut la bonne. Après un rapide coup d'œil pour s'assurer de la disponibilité de la salle, elle se glissa à l'intérieur. Ce fut seulement en refermant la porte derrière elle qu'elle remarqua le garçon installé juste derrière. Elle resta immobile un instant, ne sachant quoi faire. Elle le fixa pendant une dizaine de secondes qui lui semblèrent une éternité. Elle avait déjà vu ce type, et il était de toute façon difficile de le manquer - un peu comme elle, en fait. Son apparence était tout aussi inconventionnelle que la sienne, et son attitude à peu près similaire. Il lui foutrait la paix.
Enora décida donc de s'installer malgré tout dans la salle, et avisa une table à l'autre bout. Mais en le dépassant, son regard fut attiré par une ombre, du moins le croyait-elle. Elle stoppa net.

- Waouh, c'est vachement beau, ton dessin.

Les mots étaient sortis tout seuls, sans qu'elle ait le temps de réfléchir aux conséquences - une hasardeuse et sans doute peu désirable prise de contact. Mais là, devant ce gars, il y avait une feuille griffonnée de la plus belle manière qu'il soit. Des formes monstrueuses, tant par leur silhouette que leur noirceur insistante. Tout un monde fantasmagorique d'horreurs libérées. On aurait pu croire un des dessins d'Enora. Le trait de crayon cependant, était tout à fait différent. Il lui semblait plus ferme, plus assuré, mais c'était peut-être simplement parce qu'elle posait un regard différent sur les dessins d'autrui. En tout cas, c'était beau. Profondément beau. Au diable la discrétion.

- Quelle émotion tu as voulu représenter ?

Représenter n'était pas le bon mot. C'était un dessin d'exorcisme, bien évidemment. Mais ce mot faisait peur. Pas à ceux capables de dessiner ce genre de fresques, bien sûr. Mais à ceux qui ne connaissaient pas la catharsis. Enora avait appris à éviter ce terme par habitude. Même ici, rares sont ceux qui ont la sensibilité nécessaire.

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Le regard rivé au plafond, je me mets à penser à mon autre vie, celle que j’avais il n’y a pas si longtemps. Oui, il n’y a pas si longtemps, j’habitais au Québec, à Mashteuiatsh. Pour ceux qui sont incapable de prononcer ce mot montagnais, ne me faites pas rire et dites Pointe Bleue. J’habitais avec ma mère complètement dépressive et les nombreux hommes qui ont servi de remplaçants à mon père qu’elle n’a jamais pu oublier. En fait, j’ai tellement eu de beaux-pères différents que je les ai classés par catégories. Et je les ai tous détestés. Le dernier beau-père sur la liste était avec ma mère seulement parce qu’il savait parler aux femmes. C’était le genre de gars hypocrite qui disait à ma mère qu’on formait une belle famille (ce qui a failli me faire gerber) et qui, lorsqu’on était seuls, me demandait de cacher sa coke et son weed dans mes tiroirs et me menaçait de me tabasser si je le disais à qui que ce soit ou si je lui en piquais. Je ne lui ai rien piqué , c’est de la grosse dompe, d’la coke. J’ai juste soufflé sur sa ligne en passant à côté de lui dans la cuisine pour aller au sous-sol. Et j’ai fermé la porte à clé en riant de sa gueule. Par contre, je grappillais un peu dans sa réserve de cannabis. Il n’avait qu’à pas cacher ça dans ma chambre. Lorsque j'en ai vraiment eu assez, j’ai fini par piquer des dépliants sur les MTS de l'infirmerie de mon école et les cacher dans ses affaires, dans la chambre à ma mère. J’ai créé un malentendu hilarant qui a brisé leur «couple». C’était un enfant d’chienne, ce gars-là, de toute façon.

Oui, je peux être un total emmerdeur, quand je le veux. Là, j’en avais particulièrement envie. Ma mère ne m’a jamais écouté quand je lui disais que les gars qu’elle fréquentait étaient des enfants d’chienne. Elle ne m’a jamais écouté. Son besoin vital de toujours tenter de se trouver un partenaire et sa peur d’être toute seule ont toujours été plus forts que sa raison. C’est particulièrement triste. Moi, j’ai toujours été là pour tenter de tenir la maison en ordre, glisser un oreiller derrière sa tête lorsqu’elle s’endormait sur le divan, trop droguée ou bourrée, appeler l’hôpital lorsqu’elle allait trop loin avec ces substances ou lorsqu’elle tentait, une fois de plus, de se suicider. J’ai dix-huit ans et je suis beaucoup plus adulte que certains mecs de quarante ans. On m’a forcé à vieillir, à supporter des situations et des responsabilités trop lourdes pour un enfant ou un adolescent. Je ne dis pas que je suis meilleur que les autres, non. Peut-être suis-je beaucoup plus mature que les gens de mon âge sur certains aspects, mais ma tête est complètement à l’envers. Moi-même, je ne sais pas toujours comment je fonctionne. Je ressens rarement de l’empathie pour les autres. J’ai une difficulté inouïe de m’attacher aux gens. Ou même d’aimer. J’aurais probablement pu avoir une relation à long terme avec celui que je considérais comme mon meilleur ami et mon amant. Qui était fol amoureux de moi. Mais je me suis toujours désisté. Je ne sais même pas ce qu’est l’amour, alors je ne me précipiterai pas en disant que je l’aimais d’amour, mais il a longtemps été la personne la plus importante pour moi…

-Waouh, c’est vachement beau, ton dessin.

Je sursaute violemment. J’ai l’impression d’avoir eu un infarctus. On aurait dit que cette voix vient de sortir de nulle part ; j’étais profondément perdu dans mes pensées. Je n’ai même pas remarqué que quelqu’un était entré dans cette classe. Je tourne la tête, une impression profondément interloquée sur mon visage. Tiens, je crois l’avoir déjà vue à quelque part, cette fille. Elle est en arts plastiques, tout comme moi. Et, tout comme moi, elle se fait remarquer. Elle fait parler la masse. Je me rappelle avoir sommé à quelques idiots dans une classe de fermer leurs grandes gueules lorsqu’ils disaient qu’elle n’était qu’une gothique complètement suicidaire. S’il y a bien un sujet sur lequel je ne me tais jamais, c’est le suicide. J’ai baigné dans la dépression et les tentatives de suicide toute ma vie, alors pour moi, ce n’est pas une plaisanterie. Moi-même, je ne suis pas intouchable. J’y ai déjà pensé. On ne devrait jamais rire du mal de vivre de quelqu’un. Jamais. Après un court laps de temps, sa remarque se fraie un chemin jusqu'à mon esprit. Mon dessin est «vachement beau»? Ça me fait sourire. Jamais je n’aurais cru que quelqu’un dans ce monde pouvait trouver mes dessins beaux. Je crois qu’elle est le genre de personne qui peut comprendre mon art et ses raisons d’être. Seule une personne aux prises avec de nombreux démons intérieurs peut trouver ce genre de dessin joli.

-Quelle émotion tu as voulu représenter?

Alors là, elle me pose toute une question. Je n’ai pas nécessairement voulu représenter une émotion en particulier. Je la regarde dans les yeux et je lui offre un sourire franc. Ses yeux tirent sur le rouge, je trouve ça magnifique et singulier. Les miens sont noirs et ternes, mais bon... ce n'est que mon avis.

-À vrai dire, ça représente beaucoup trop d’émotions en même temps pour en cibler une en particulier. Pour faire court, on va dire que ça représente mes démons intérieurs que je tente d’exorciser. Une catharsis, quoi. C’est souvent ce que je fais avec mes dessins.

Je me mets à jouer avec l'un de mes dread locks en passant ma langue sectionnée contre les anneaux de ma lèvre inférieure. J’adore jouer avec mes piercings, c'est devenu un tic un peu trop présent. La vue de ma langue sectionnée dérange parfois certaines âmes sensibles qui me somment d'arrêter de stupide tic sur-le-champ. Mais j'aime trop mes piercings. Et ma langue. Je me mets à regarder la fille devant moi. J’aime bien son apparence. Elle est plutôt belle et mignonne, et je me dis que si je n’étais pas gay, peut-être aurait-elle été mon genre. Peut-être. Je n’en sais rien, je ne sais que la trouver objectivement jolie. Et fascinante.

-Je ne m’attendais franchement pas à ce qu’on trouve mes dessins beaux. D’habitude, lorsqu’on les regarde, on me dit que je dois être franchement dérangé pour dessiner des choses pareilles. Et toi, tu dessines?

L’œil avec lequel elle regarde mon dessin est celui d’un dessinateur, j’en suis sûr. Je saute peut-être aux conclusions, elle pourrait tout aussi bien faire de la sculpture, j’en sais rien, mais je me dis qu’elle dessine.
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Le garçon a l'air surpris de l'intervention d'Enora. Ce n'est pas si étonnant, en fin de compte : voilà qu'elle l'invective alors qu'il est plongé dans des pensées pas très lumineuses - du moins à en croire son dessin. L'espace d'un instant, elle croit presque lire de la peur dans son regard, et cela l'amuse. Elle est le genre de personnage à faire peur, après tout, non ? Mais bien vite elle abandonne cette pensée : ce type avec ses tatoutages, piercings et autres originalités stylistiques n'est pas du genre à être effrayé par une minette de son genre, aussi glauque son apparence puisse paraître aux yeux de certains. Sans doute est-il plutôt du genre à comprendre que la conception de la beauté est très personnelle, et que de s'habiller de noir n'est pas pour elle qu'un deuil de soi mais aussi toute une esthétique. Lui reviennent alors en mémoire quelques vers de Musset, dans sa Nuit de Mai. L'Allégorie du Pélican, tellement moins connue et plus sinistre que l'Albatros de Baudelaire.
Quel que soit le souci que ta jeunesse endure, / Laisse-la s'élargir, cette sainte blessure / Que les séraphins noirs t'ont faite au fond du cœur; / Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur.
Comme à chaque fois qu'elle se les remémorent, les mots de Musset la touchent au plus profond de son être. Elle se rappelle qu'elle est belle, quoi qu'on puisse en dire. Elle est grande, à l'image de sa douleur. Comme les poètes Romantiques sont grands de leur décadence. Qu'importe si c'est là une haute opinion d'elle-même : de toute manière, elle joue dans une cour où le monde appartient aux plus imbus de leurs rêves. Parce que fondés en poésie nous avons des droits sur les paroles qui forment et défont l'Univers disait Apollinaire dans son Poème lu au mariage d'André Salmon. Oui, c'était à peu près ça, à cela prêt que son pouvoir était plutôt celui du dessin. Plus subtil, peut-être, parce qu'on ne peut le conter, le réciter, le transmettre oralement d'un cœur à l'autre. Mais plus puissant, aussi, parce que lorsqu'on le voit, c'est l'âme toute entière qu'il captive, et le regard appelle le son, les odeurs, les sensations...
Le jeune homme finit par lui répondre, et ses mots appellent en Enora un ravissement. Il les emploie. Tous les deux. Ces mots si sacrés à ses yeux. Exorcisme. Catharsis. Il sait donc parler ce langage, cela ne fait plus aucun doute. Les yeux d'Enora se plissent sur son dessin, plus aigüs encore qu'auparavant. Elle cherche à déceler dans les ombres ces démons qu'il a crachés sur sa feuille, comme si le trait suffisait à refléter tout un monde intérieur. C'est un fantasme, bien sûr, elle le sait bien. Elle ne voit là que ses propres angoisses déformées. Elle n'interprête qu'à la faveur de sa propre expérience. Mais c'est néanmoins un voyage qui en vaut la peine.

- Je ne m’attendais franchement pas à ce qu’on trouve mes dessins beaux. D’habitude, lorsqu’on les regarde, on me dit que je dois être franchement dérangé pour dessiner des choses pareilles. Et toi, tu dessines ?

Un large sourire se dessine sur le visage d'Enora, sans même qu'elle le réalise. Ces mots, ils ressemblent tellement aux siens. Pour la première fois, ses yeux quittent vraiment le dessin pour porter sur le jeune homme. Elle le détaille un peu mieux. C'est ainsi qu'elle remarque qu'il joue avec sa langue sectionnée. Un sourcil se lève, légèrement étonné, mais pas choqué. En fait, c'est plutôt esthétique. Cela se marie bien avec son apparence générale. Et d'un seul coup, une pensée la fait souffrir. Un poème, encore - elle en a bien trop lu. Les tronçons du serpent, par Victor Hugo. L'image de la langue fourchue du serpent l'a menée là. Quel poème plein de douleur ! qui compte l'agonie d'un serpent tranché par la hache.
Ces tronçons déchirés, épars, près d'épuiser / Leurs forces languissantes, / Se cherchaient, se cherchaient, comme pour un baiser / Deux bouches frémissantes !
Ce spectacle d'horreur, soudain, lui paraît bien familier. Elle se rappelle la citation au début du poème, extraite du Gulistan de Sa'di. Cette clef pour comprendre ce spectacle sinistre. D'ailleurs les sages ont dit : Il ne faut point attacher son coeur aux choses passagères. C'est bien pour cela, n'est-ce pas, qu'il ne faut point s'attacher à peindre des scènes éphémères, mais des souffrances éternelles ? Enora trouve peu à peu ses mots. Oui, ce dessin est profondément beau, parce qu'il survivra à l'émotion qui l'a initié, et pourra parler en d'autres temps, en d'autres lieux, aux autres dont le cœur pleurera. Le lyrisme impersonnel des Romantiques.
Elle regarde le garçon droit dans les yeux au moment de lui répondre :

- Je le trouve magnifique, parce qu'il ne tombe pas dans la facilité de la chose mortelle. Tu cherches à montrer une force beaucoup plus puissante que la simple vie. Enfin, je crois. C'est comme ça que je le ressens, en tout cas, et c'est ce qui le rend beau à mes yeux. C'est bizarre mais, quelque part, il y a une histoire d'empathie, dans le sens étymologique du terme. Souffrir avec. Je souffre avec ton dessin, même si je ne sais pas ce qu'il représente. Peut-être parce qu'en effet, moi aussi je dessine, et moi aussi dans le genre "franchement dérangé". Enfin, c'est ce qu'on me dit en tout cas.

Un rire très léger sort de la gorge d'Enora. Bon, c'était un peu embrouillé tout ça. Enora n'avait jamais été très douée avec la communication orale. C'est pour cela qu'elle admire tant les grands poètes, capables de faire ressentir juste avec des mots. C'est un outil comme un autre, mais il l'impressionne toujours. Comme, peut-être, elle impressionne les écrivaillons avec ses dessins. Chacun est le barbare de l'autre, après tout. Et pourtant ils parviennent à se comprendre, par une sensibilité unique et partagée. Empathie, aussi laid ce mot puisse-t-il être dans l'usage commun.

Adriel Lespérance
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Le large sourire qui se dessine sur son pâle visage est ravissant. Les gens comme elle ou moi n’offrent que très rarement des sourires sincères. Je ne dis pas là que je ne souris jamais, seulement que je réserve mes véritables sourires aux personnes qui en valent la peine. Peut-être que je me précipite, que je saute aux conclusions - comme celle qu’elle dessine - mais j'ai la conviction que sur ce point, elle est comme moi. Voilà pourquoi je crois que son sourire est ravissant. Il est réel. Son visage a été, l’espace d’une seconde, celui d’une personne qui croit peut-être avoir trouvé quelqu’un parlant le même langage qu’elle. Je vois ses yeux se poser sur moi avec un peu plus d’attention, son sourcil se lever lorsqu’elle remarque mon tic. Aucune réaction particulière. Et c’est parfait ainsi. Je la scrute à mon tour. Sa peau, ses yeux et ses cheveux me disent qu’elle est sûrement albinos. Ils sont agréablement pâles. Alors que moi, mes cheveux, mes yeux et ma peau sont plutôt foncés. Et pourtant, même si je ne suis aucunement intolérant à la lumière, je la fuis. Je n’aime pas la chaleur, ou encore la sensation de la lumière frappant mes yeux. Ça m’a toujours été désagréable. Je préfère les sous-sols sombres, c’est beaucoup plus confortable.

J’apprécie son allure de poupée de porcelaine victorienne. Je me dis que ses vêtements lui vont plutôt bien et que rien d’autre ne pourrait mieux la définir. Tout comme mes modifications corporelles me définissent. Elle a, tout comme moi, sa vision personnelle de la beauté. Choisir d’être aussi différent physiquement ne peut découler que d’une vision très personnelle de l’esthétisme. Si c’était pour les autres, pourquoi aurais-je cette apparence physique attirant le jugement et le mépris? Il ne peut en être autrement pour cette fille. Je rive mon regard vers le sien. Elle semble concentrée, comme si elle choisissait ses mots. J’attends patiemment, ça ne saurait tarder. J’ai bien hâte de savoir si ma conclusion était bonne. Est-elle, tout comme moi, une dessinatrice?

-Je le trouve magnifique, parce qu’il ne tombe pas dans la facilité de la chose mortelle. Tu cherches à montrer une force beaucoup plus puissante que la simple vie. Enfin, je crois. C’est comme ça que je le ressens, en tout cas, et c’est ce qui le rend beau à mes yeux. C’est bizarre mais, quelque part, il y a une histoire d’empathie, dans le sens étymologique du terme. Souffrir avec. Je souffre avec ton dessin, même si je ne sais pas ce qu’il représente. Peut-être parce qu’en effet, moi aussi je dessine, et moi aussi dans le genre ''franchement dérangé''. Enfin, c’est ce qu’on me dit en tout cas.

Un léger rire sort de sa gorge. Nerveuse? Je ne sais pas. En tout cas, sa réponse me surprend agréablement. Premièrement, je suis heureux de constater la véracité de ma déduction. Elle dessine, tout comme moi. Et dans le genre franchement dérangé? Voilà qui est intéressant. J’aimerais bien comparer nos dessins… Deuxièmement parce que jamais je n’aurais cru pouvoir transmettre de l’empathie à l’aide de mes dessins. Moi, Adriel Lespérance, empathique? Mais, oui… peut-être a-t-elle raison. Je me retrouve souvent incapable d’éprouver la moindre empathie pour les gens, mais en dessinant ou en peignant mes démons, ceux aux prises avec leurs propres démons peuvent sentir, en quelque sorte, une certaine sensibilité se détacher de mon art. Tout comme cette fille, juste devant moi. J’éprouve mes sentiments avec intensité, mais lorsqu’il s’agit d’autrui, je suis émotionnellement paralysé. Je n’avais jamais pensé que le dessin pouvait être une connexion entre moi et l’extérieur... Enfin, pour les gens pourvus de la même sorte de sensibilité que la mienne. Je regarde cette jeune femme et, moi aussi, je lui offre un sourire sincère. Oui, ce sourire, elle le mérite amplement.

-J’avais bien deviné, alors, dis-je, toujours souriant. T’as l’œil de celle qui dessine. En effet, c’est plutôt rare que je tente de représenter quelque chose de tangible dans mes dessins ou mes peintures. Je retranscris des impressions, des émotions… Peut-être un peu comme les poètes symbolistes, tu vois? Sauf que la poésie et le dessin sont deux mondes différents… Tu sais, je crois que ça importe peu que tu saches exactement ce que ce dessin représente. On a tous notre propre sensibilité correspondant à plusieurs formes artistiques différentes. Dans ces démons intérieurs que j’exorcise, peut-être vois-tu le miroir de tes propres douleurs, et c’est parfait ainsi. Je crois que le dessin, la peinture ou la poésie servent, en quelque sorte, à ceci. L’artiste évacue ses émotions en créant et l’observateur évacue les siennes en comparant, en se sentant, en quelque sorte, compris. C’est du moins ma vision des choses… pas mal résumée.

À mon tour de rire légèrement. J’ai l’impression que mes propos sont incroyablement pêle-mêle. Je ne sais pas si elle va comprendre ce que j’essaie de dire. Je ne sais même pas si elle a compris mon allusion aux poètes symbolistes. Je me mets à penser à quelques vers d’Émile Nelligan que je griffonne rapidement sur le coin de mon dessin. Ils vont bien avec la nature tourmentée de ce dessin : «Or, cette proie échue à ces démons des nuits/ N’était autre que ma Vie en loque, aux ennuis/ Vastes qui tournant sur elle ainsi toujours/ Déchirant à larges coups de becs, sans quartier/ Mon âme, une charogne éparse au champ des jours/ Que ces vieux corbeaux dévoreront en entier.» Je ne sais pas quelle vision Nelligan avait de ces corbeaux dans son poème, mais pour moi, ce sont ces démons que je tente d’exorciser, et ça me plaît. En poésie, on parle souvent des poètes français, mais Nelligan était Québécois, tout comme moi. Il s’est inspiré de Baudelaire et de Poe, deux auteurs que j’apprécie fortement. Raison de plus pour s’intéresser à ses textes symbolistes… Je me demande si cette fille s’y connait un peu en poésie. Je repose mes yeux sur elle.

-Au fait, que je rajoute, moi c’est Adriel.

Même lorsque je parle en anglais, je ne peux m’empêcher de prononcer mon nom à la façon française. Habitude due à ma langue maternelle, j’imagine. Du coup, je trouve que lorsque je me présente en anglais, ma phrase sonne de façon un peu saccadée. Ou peut-être suis-je le seul à avoir cette impression. Quoi qu’il en soit, on ne m’épargne jamais les petites remarques du genre «oh, toi t’es un francophone, hein?» Quoique je ne crois pas que celle que j’ai devant moi soit du genre à proférer de telles banalités.
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Enora est pensive. Alors qu'Adriel l'observe, elle continue à détailler son dessin. Bien qu'il soit difficile d'en juger étant donné le caractère abstrait de la représentation, le trait semble bien maîtrisé, fluide en dépit de l'impression de nervosité qu'il lui évoque. Mais après tout, son état d'esprit ne correspond pas forcément à celui du dessin. Elle a hâte de savoir ce que le jeune homme a à en dire.
Alors qu'il lui donne ses propres explications, un ravissement intérieur envahit Enora. Oui, bien sûr qu'elle voit ce qu'il veut dire : elle était justement en train d'y penser. On dirait qu'elle et lui sont vraiment sur la même longueur d'ondes artistiquement. Ca en deviendrait presque effrayant. Bien sûr, elle a déjà rencontré des gens dans son genre, des écorchés vifs, dans le style poètes torturés. Seulement, en général, ce sont juste des gamins capricieux en manque d'attention. Des gens qui ont subit une vexation et en font un flambeau. Que connaissent-ils de la véritable douleur ? De s'être perdu à soi-même ? Elle, elle a le droit de les invoquer, ces démons, parce que sa souffrance est plus justifiée que celle les autres, n'est-ce pas ? Elle brille plus haut, plus fort, plus sombre. Elle n'est pas comme tous ces clowns qui clament des vers de Keats sans avoir aucune autre culture. Elle est tout de même un peu plus que ça. Et ce jeune homme aussi, apparemment.
Elle hoche la tête d'un air entendu.

- Je t'ai parfaitement compris. Ou plutôt c'est toi qui m'a parfaitement comprise. C'était justement le raisonnement que j'étais en train de tenir. Pour l'histoire des poètes, aussi. Tu connais l'Allégorie du Pélican, de Musset ? C'est dans la Nuit de Mai. Mais c'est français à la base, alors ça doit être normal si tu ne connais pas. Moi j'ai eu des cours de littérature française au lycée. C'est un peu dans le genre de l'Albatros de Baudelaire, si ça tu connais. Et ton dessin m'y faisait justement penser.

Elle remarque alors que le jeune homme est en train de noter quelques vers sur le coin de sa feuille, sans doute inspiré par leur conversation. Elle ne parvient pas tout à fait à lire, mais à cet instant elle comprend immédiatement sa maladresse : les quelques mots qu'elle reconnaît sont en français. Et à voir la facilité avec lequel il les couche, soit c'est un poème qu'il connait sur le bout des doigts, soit il est en fait bien meilleur locuteur français qu'elle. Elle se sent tout d'un coup un peu honteuse d'avoir été aussi présomptueuse, bien qu'il ne soit probablement pas du genre à se vexer pour si peu. En même temps, comment était-elle censée le deviner ? Vu le ton un peu sombre de sa peau, il aurait tout aussi bien pu être d'origine mexicaine et parler espagnol. Ou être comme la vaste majorité des américains et ne rien savoir baragouiner en-dehors d'un anglais déjà bien charcuté.
Tous ses doutes s'envolent lorsqu'il se présente en tant qu'Adriel, avec un accent qui ne laisse pas de doute. Elle se contente de sourire avec un petit haussement d'épaule.

- Bien, je vois que je ne suis pas la seule à m'y entendre en français. Maintenant j'ai l'air un peu ridicule avec mon niveau lycée ! Moi c'est Enora, Enora Cliffords, et mon accent nasillard - comme ils disent ici, eux qui déforment tout - il est anglais. C'est quand même bien plus joli que cette bouillie de mots américaines.

Serait-elle d'humeur patriotique, aujourd'hui ? Elle est pourtant loin d'avoir la nostalgie de l'Angleterre, si ce n'est de son temps pluvieux, plus clément avec sa peau - et son humeur - fragiles. Mais il faut reconnaître que l'accent américain... ça a quelque chose de vulgaire. Comme s'ils n'avaient aucune considération pour les mots. La superficialité de ces quelques mots soulage Enora, un peu. Elle sent qu'elle s'engage avec Adriel dans une conversation éprouvant, intime, dans laquelle elle préfère éviter de prendre trop de vitesse. Se donner un peu de temps pour réfléchir, pour ménager ses émotions, juste quelques secondes, le temps d'un dialogue plus artificiel qui la protègera. Enora se souvient qu'elle a oublié de demander :

- D'où viens-tu, au juste ? D'un pays francophone, ou c'est juste que quelqu'un de ta famille parle français ?

Enora réprime une grimace. Elle qui pensait rester à l'abri dans ces futilités, elle vient de prononcer un mot dont elle a horreur : famille. La famille, ce poids qui la rattache inexorablement au passé, à Elle et tout ce qu'elle a enduré, Elle qui aurait dû mourir, vraiment, et la laisser libre de devenir entièrement quelqu'un d'autre. Quelqu'un sans passé, sans famille, sans attaches. Et sans identité, sinon celle du paraître. Quand on n'est pas, on ne peut pas souffrir, si ? Ses poings et sa mâchoire se crispent. Elle ferme les yeux et pousse un profond soupir, pour essayer de chasser ces pensées négatives. Autant elle aime se complaire dans son malheur, autant ce ne sont pas par les souvenirs qu'elle aime se laisser envahir, mais plutôt par les images factices de tragédies fictives.

Adriel Lespérance
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Adriel Lespérance
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Une fois de plus, les mots que je choisis semblent lui plaire. Son expression me tire un sourire avant même qu’elle me réponde, car je me dis que, enfin, j’ai peut-être adressé la parole à quelqu’un ayant la même vision artistique que moi, et ça, c’est exceptionnel. Oui, ça l’est, parce que ma façon de voir les choses est très particulière. Même si j’ai rencontré des gens très attachés à diverses formes d’art, ils n’avaient pas nécessairement la même manière de penser que moi. Jake, par exemple. Mon meilleur ami et amant. Il est tatoueur, mais ne voit dans l’art que de l’esthétisme. Je ne pouvais pas réellement discuter de l’aspect émotif – de la catharsis de l’art – avec lui. Et c’est quelque chose que cette jeune femme semble très bien comprendre. Je serais également curieux de voir ses dessins. Si elle aussi, fait dans le genre franchement dérangé, je me dis que nous avons peut-être un univers imaginaire similaire.
Sa réponse me ravit. Je suis heureux d’avoir été compris, car j’avais l’impression d’être très peu précis dans mes explications. Et elle connaît la poésie française? Cette fille est une perle, je ne crois pas croiser beaucoup d’anglophones – ou même de francophones, d’ailleurs – qui s’y connaissent en poésie. Peu sont les gens s’intéressant à une telle forme d’art.  Juste lorsque je me demandais si elle lisait ces poèmes en français, elle me dit qu’elle a suivi des cours de français au lycée. Elle cite Musset et Baudelaire. Je lui décroche un sourire radieux. J’adore Baudelaire, et, bien sûr, je connais l’Albatros et l’Allégorie du Pélican. Je sens que je risque de m’entendre à merveille avec elle. Bien sûr, avec Robin, je peux parler français, mais il est loin de connaître des poètes tels que Baudelaire ou Musset. En fait, je crois qu’il s’en fiche comme de l’an quarante. Ce n’est pas avec le sportif que je risque d’avoir de telles conversations. Je ne crois pas qu’il soit doté de la moindre sensibilité artistique.
-Baudelaire? Musset? Bien sûr que je connais! En fait, je ne jure que par les Fleurs du Mal. J’adore ce recueil. Et que dire de l’Allégorie du Pélican… La lecture de ce passage de la Nuit de Mai me chamboule toujours, en quelque sorte…
Je sens la jeune femme se pencher imperceptiblement lorsque j’écris les vers de Nelligan sur le coin de ma feuille. Si elle comprend un peu le français, peut-être peut-elle les lire. Sinon, je peux bien les lui traduire. Lorsque je me présente, je crois voir une lueur de compréhension dans ses yeux. Oui, comme tout le monde, elle a compris que je suis francophone. Et elle reprend la parole. Elle se présente. Comme ça, elle s’appelle Enora, et vient d’Angleterre. Je l’avais, bien entendu, deviné à son accent. J’adore l’accent britannique, que j’ai toujours préféré à l’accent américain. Je sais, je suis carrément en train d’avouer que, comparé au sien, mon accent est merdique. Mais bon. Je ne m’inventerai pas des origines que je n’ai pas : j’ai appris l’anglais aux États-Unis. Puis vient l’éternelle question : d’où est-ce que je viens? D’où est-ce que je tiens mes connaissances en français? J’avoue que, jusqu’à ce qu’on entende mon nom, on ne peut pas nécessairement deviner que je parle français. Ni d’où je viens. Je dois dire que ma peau basanée peut également porter à confusion.
-Oui, j’avais remarqué ton accent – que j’adore, en passant. Ça fait moins vulgaire que l’anglais américain, quoique je ne devrais pas parler sur cet aspect, ayant appris l’anglais aux États-Unis. Et l’accent que j’ai lorsque je parle en français ne s’apparente pas du tout à ceux des Français. C’est un peu la même chose que l’anglais parlé par les Américains… même si je peux parler un français très correct, si je le veux. En fait, je ne viens pas d’un pays francophone : je suis Canadien. Je viens du Québec, la seule province francophone du pays, ce qui explique le fait que je parle français. Et si tu veux plus précis, je suis Montagnais. C’est une nation amérindienne. Et puis, que j’ajoute, un demi-sourire aux lèvres, t’inquiète, je comprends que tu puisses être fière de parler un peu français. C’est une langue complexe, et peu d’anglophones peuvent se vanter de pouvoir la parler, ou même de connaître la poésie française. En fait, même les francophones s’y connaissent trop peu, en poésie. Le manque de culture est assez flagrant chez les gens de notre génération, si tu veux mon avis… Alors je suis particulièrement heureux d’être tombé sur une personne cultivée.
Alors que je parle, je vois Enora se crisper. Elle ferme les yeux et pousse un soupir. Je ne dis rien ; je me demande tout simplement ce qui a pu la faire réagir de la sorte. Sûrement pas ce que je viens de dire. Je repense à ce qu’elle m’a dit. «D’où viens-tu, au juste? D’un pays francophone, ou c’est juste que quelqu’un de ta famille parle français?» Rien de particulier dans cette phrase. Peut-être a-t-elle songé à quelque chose de désagréable. Je décide de ne pas poser de questions : si ce sont des souvenirs ou des pensées qui lui sont douloureux, elle ne voudra pas en parler. Surtout pas à un étranger. En tout cas, moi, je ne le ferais pas. Je fais donc semblant de n’avoir rien vu. Je tourne vers elle mon dessin, lui pointant les quelques vers que j’ai écrits.

-Ces vers sont d’Émile Nelligan, un poète Québécois. Il s’est beaucoup inspiré de Baudelaire, donc si tu  n’as jamais lu Nelligan, je crois que tu devrais apprécier sa poésie. Ce poème s’appelle «Les Corbeaux». Je ne sais pas si tu lis la poésie française en anglais ou en français, mais si ton niveau de compréhension est suffisant, je te laisse lire ces vers et me dire ce que tu en penses.
Je ne sais pas réellement pourquoi, mais je me mets à lire les lignes que j’ai écrites à voix haute. Lorsque je lis des poèmes, je préfère les lire à haute voix. Je ne sais pas non plus pourquoi.

-«Or, cette proie échue à ces démons des nuits/N’était autre que ma Vie en loques, au ennuis/Vastes qui tournant sur elle ainsi toujours/Déchirant à grands coups de bec, sans quartier/Mon âme, une charogne éparse au champ des jours, /Que ces vieux corbeaux dévoreront en entier.»
Bien sûr, lorsque je lis, mon accent québécois ne ressort pas. C’est donc dans un français tout à fait correct que je récite ces vers pour Enora.
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Enora sent son cœur se réchauffer avant même qu'Adriel n'ait rouvert la bouche pour lui répondre. Au sourire qu'il peut lire sur ses lèvres, il s'y entend parfaitement en poésie, même française. Et son goût pour les Fleurs du Mal... que dire sinon qu'elle le partage totalement. Etonnant, les américains n'ont pourtant pas la réputation d'être cultivés... Sauf qu'il n'est pas américain, n'est-ce pas ? Ainsi donc, il vient du Canada. Ah, le Canada, elle y est allée en vacances, une fois, l'année juste avant... juste avant que tout ne change. Elle était jeune, peu d'images lui en reviennent : seulement la neige, et une pointe de déception parce qu'elle avait cru qu'elle verrait un caribou. Si, il y avait bien un autre tableau, à bien y réfléchir : le cimetière de Montréal. Une colline couverte de croix blanches, anonymes à première vue, et qui s'étendaient sur des kilomètres et des kilomètres... C'était un spectacle grisant, même si à l'époque elle n'avait pas la sensibilité nécessaire pour l'apprécier. A présent que ce paysage lui revient en mémoire, elle se dit qu'il serait une source d'inspiration parfaite, en vue d'un futur dessin. Quoi qu'il en soit, oui, elle connait le Québec, puisqu'elle y avait alors passé une semaine. En revanche, "Montagnais", cela ne lui disait rien. Elle n'avait pas vraiment croisé d'indigènes, surtout des touristes autour des grandes attractions... Oui, ça avait été un voyage plutôt barbant, coincée contre des barrières entre des allemands aux joues rouges et des italiens mal rasés.

- Oui, je suis allée au Canada une fois. Mais c'était un circuit touristique, alors c'était assez naze. J'ai vu de beaux paysages, mais j'ai surtout vu beaucoup d'appareils photo. Je ne comprends pas comment les gens peuvent aimer s'agglutiner comme ça... Moi, le contact physique me répugne. Alors avec des étrangers, n'en parlons pas ! Mais quoi qu'il en soit, jamais entendu parler de là où tu viens. J'imagine que c'est pas sur les plans qu'on vend aux touristes...

Enora marque une pause, réfléchissant à ce qu'elle pourrait ajouter. Elle n'est pas sûre d'avoir un autre commentaire pertinent à faire, mais lance néanmoins avec un haussement d'épaule :

- Il fait froid, là-bas. Ca, j'aimais bien. C'était nuageux, je n'ai pas vu la lumière du soleil pendant une semaine. Je crois que c'est pour ça que mes parents m'ont emmenée là-bas.

A nouveau, elle a évoqué ses parents, mais ce n'est plus important. Maintenant que les souvenirs lui sont revenus en tête, elle ne risquait pas de les raviver davantage. De toute façon, c'est une époque floue qu'elle ramène à elle. Aucun écho de voix, aucun éclat de rire n'y est assez aiguisé pour pouvoir trancher. Cette fille qui courait dans la neige, tombait, gloussait, ce n'était pas elle. Ce n'était plus elle. Elle avait exterminé jusqu'à la dernière once de naïveté et d'insouciance dans son cœur. Parce que c'est ainsi que l'on survit, dans ce monde.
Assez songé à ces mirages. Enora reporte son attention sur la conversation. Nelligan. Ainsi donc, c'est le nom du poète. Elle répond le plus simplement et honnêtement du monde - est-ce bien la peine de mentir avec Adriel ? - avec une petite moue :

- Nelligan ? Jamais entendu parler.

Adriel a l'air ravi de pouvoir lui faire découvrir cet auteur, qui apparemment lui tient à cœur. Il clame ses vers avec une passion palpable. En français. Enora fronce légèrement les sourcils. La construction des phrases est complexe, trop pour qu'elle puisse l'embrasser simplement à l'écoute, même si elle sent confusément que c'est beau. Le temps qu'elle décortique la première ligne et déjà elle est perdue dans la suivante. Son niveau de français, quoi que tout à fait correct pour une langue étrangère, est loin d'être suffisant pour une lecture en poésie. Elle hoche la tête distraitement et se permet de tirer à elle, du bout des doigts, le dessin d'Adriel pour mieux pouvoir lire. "Or, cette proie échue"... Echue... très littéraire, elle n'est pas tout à fait sûre de la traduction, met quelques secondes à saisir la nuance. Toutefois, elle parvient à comprendre ce qu'elle appelle souvent "le champ de sens" du poème, comme une vibration un peu floue autour de mots incertains, mais qui distille néanmoins une couleur très belle. Ses yeux se lèvent vers Adriel.

- J'ai un petit peu de mal, ça fait un moment que je n'ai plus pratiqué le français, je devrais peut-être suivre un peu mieux mes cours. C'est magnifique, en tout cas. Je crois que cela me parle. C'est un Romantique, j'imagine ? Où est-ce que tu as appris tout ça ?

Avant qu'Adriel n'ait le temps de lui répondre, elle se reprend à voix basse, les yeux légèrement plissés :

- Remarque, tu me diras, c'est normal pour un canadien de connaître les poètes canadiens, j'imagine... Il y en a d'autres que tu aimes ? Je me rends compte que je n'y connais rien du tout !

Une vague d'enthousiasme l'a emportée sur cette dernière phrase. En temps normal, elle n'aurait jamais fait un tel aveux de faiblesse, mais cette discussion avec Adriel ne relève pas du temps normal. Ce n'est pas tous les jours qu'elle rencontre quelqu'un avec qui elle s'entend aussi bien ; en fait, c'est sûrement la première fois depuis des années. Elle sent qu'elle peut partager quelque chose avec lui, et est prête à le laisser entrevoir sa véritable nature. Elle perçoit confusément que son regard n'est ni celui de la compassion, ni celui de la convoitise, mais celui de l'intérêt véritable pour ce qu'elle a à dire, et c'est déjà pour elle un immense soulagement.

Adriel Lespérance
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Bien sûr, les putains de voyages organisés, ces maudits circuits touristiques… Je comprends qu’elle ait trouvé ça naze. Il y a pourtant tellement de choses intéressantes à voir… du moins à Montréal ou à Québec. Mais pas là où j’habite. Dans ma petite région, après le village fantôme de Val-Jalbert, le musée complètement barbant du Cheddar à Saint-Prime et le petit zoo sauvage de Saint-Félicien, y’a plus grand-chose à voir. Et on ne parlera pas de ma réserve amérindienne. Je souris légèrement lorsqu’elle parle des foules de touristes. Ouais, moi aussi, je suis allergique aux foules. Ça me rend un peu claustrophobe, si on veut. Et je n’accorde des contacts physiques qu’à ceux à qui je tiens particulièrement. Des amis proches, la plupart du temps. Un peu comme Jake, mais lui, c’est différent. Drastiquement différent. Je le connais depuis mes treize ans, il est celui qui m’a appris à être moi-même. Mais c’est surtout différent parce qu’il ne s’agissait pas de câlins. Des câlins, ouais… je couchais avec lui. Un peu malgré moi, les souvenirs affluent. Je me souviens de cette soirée de la fin de juillet dernier, celle qui fut la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Celle qui m’a poussé à ficher le camp.
La première chose qui me vient en tête, lorsque je me rappelle de cette soirée, c’est à quel point je me sentais bien avant que tout se mette à débouler. L’intense bonheur qui affluait dans chaque partie de mon être. Le sourire béat que j’avais aux lèvres alors que Jake conduisait. Nous revenions du Rockfest de Montréal. Penser à ma province me rappelait inévitablement cette métropole. J’y ai vécu tant de choses… La musique jouait à fond dans la voiture. Nous fumions clope par-dessus clope et nous riions. Puis il y a eu ce baiser. Ce maudit baiser. Bien que nous couchions ensemble, je n’avais jamais voulu que nous nous embrassions. Ce geste est beaucoup trop ambigu, il ne peut que trop signifier «je t’aime». Et les relations amoureuses, je les fuis comme la peste. Et il y a eu ce «je t’aime, Adriel». Auquel je n’ai pas répondu. Il y a eu ce sermon à propos de l’amour, à propos de ma supposée peur de m’engager. Et je suis parti, je me suis littéralement enfui. Mais surtout, surtout… il y a eu cette flaque de sang, sous la porte de la salle de bain. Ma mère étendue par terre, inconsciente, les poignets ouverts. La panique, mes mains pleines de son sang lorsque j’ai appelé l’ambulance. J’en ai eu assez. Je suis parti, je me suis encore enfui. Je n’en pouvais plus. J’ai attendu la fin de l’été pour ficher le camp aux States. Je me secoue imperceptiblement la tête. Assez de mauvais souvenirs.
-Ouais, enfin, c’est sûr que le gouvernement ne met pas les réverses amérindiennes sur les plans touristiques. Dans la société, il y a certains droits que les Blancs ont que nous n’avons pas. Et c’est dommage que tu n’aies vu que des trucs barbants, parce qu’à Montréal, je connais des tas d’endroits réellement intéressants. Mais je ne suis jamais allé en Angleterre. J’étais loin d’en avoir les moyens, d’ailleurs, mais peut-être qu’un jour, j’irai.

Sa remarque sur le climat de mon pays me fait sourire. Oui, à part l’été, il fait froid. Il neige au moins six mois par année. Je comprends que, étant albinos, elle ne peut pas réellement aller dans certains pays sudistes. D’ailleurs, le Minnesota est un état collé au Canada, alors j’imagine qu’ici, elle n’a pas trop de mal. Mais je remarque le changement de température, c’est quand même beaucoup plus au sud que la région où j’habitais. C’est pourquoi je souris intérieurement lorsque j’entends des élèves venants de d’autres pays se plaindre du froid du Minnesota. Je reporte mon attention vers Enora, qui est beaucoup plus intéressantes que les hivers québécois. Elle avoue ne pas connaître Nelligan, mais c’est normal. Les poètes québécois ne sont pas très connus… même par les Québécois eux-mêmes. La plupart des gens de ma province connaissent le vers «ah! Comme la neige a neigé!» sans même savoir qu’il vient de «Soir d’hiver» de Nelligan. En fait, la plupart se fiche complètement de la littérature. Voyons, c’est beaucoup plus intéressant de regarder le dernier match de hockey à la télé en sachant pertinemment que notre équipe va perdre. Comme toujours. Ils sont payés des millions pour foutre une rondelle dans un but, et ils ne sont même pas fichus de le faire convenablement. Je reste silencieux alors qu’Enora tente de déchiffrer les vers que j’ai écrits sur le coin de ma feuille. Elle semble concentrée à traduire le texte dans sa tête. J’avoue que les mots choisis sont très littéraires, et je me dis que je devrais peut-être les lui traduire lorsqu’elle se remet à parler.
-J’ai un petit peu de mal, ça fait un moment que je n’ai plus pratiqué le français, je devrais peut-être suivre un peu mieux mes cours. C’est magnifique, en tout cas. Je crois que cela me parle. C’est un Romantique, j’imagine? Où est-ce que tu as appris tout ça?
Puis, avant que je puisse lui répondre, elle ajoute, la voix un peu plus basse :
-Remarque, tu me diras, c’est normal pour un Canadien de connaître les poètes canadiens, j’imagine… il y en a d’autres que tu aimes? Je me rends compte que je n’y connais rien du tout!
Je souris légèrement avant de lui répondre. Elle avoue ignorer tout de la poésie canadienne, mais moi-même, je serais bien en peine de nommer un seul poète anglais.
-En fait, Émile Nelligan est un poète symboliste. Et… je n’ai jamais eu de cours de littérature de ma vie. Au Québec, on ne parle pas réellement de littérature, ou même de culture, dans les cours au lycée. Je m’y suis intéressé lorsque j’ai trouvé Les Fleurs du Mal de Baudelaire dans une vieille boîte poussiéreuse pleine des livres que ma mère avait dû acheter lorsqu’elle a commencé ses études. Je devais avoir environ seize ans. Il y avait d’autres recueils aussi, comme les Orientales et les Feuilles d’automne de Victor Hugo, un autre regroupant plusieurs poètes romantiques… Mais je suis en quelque sorte tombé amoureux des Fleurs du Mal. J’y ai retrouvé les ténèbres en moi, ce qui me torturait, ce qui fait de moi quelqu’un de différent, ma fascination pour tout ce qui est sombre, morbide…
Je prends une pause. Ce n’est pas tout le monde qui apprécie la poésie de Baudelaire, mais moi, je l’adore. J’ai acheté mon propre exemplaire des Fleurs du Mal, que j’ai bien sûr apporté aux États-Unis avec moi. Sur plusieurs de mes dessins et de mes toiles, j’ai écrit quelques vers de Baudelaire au dos. Bien sûr, j’aime d’autres poètes, comme Verlaine, Rimbaud, Musset, Nelligan et tellement d’autres…
-Pour ce qui est des poètes canadiens… même dans les cours de littérature, au Québec, on n’en parle pas réellement, alors il faut faire ses propres recherches. Même moi, je connais beaucoup plus de poètes français que de poètes canadiens. Mais j’en connais quelque uns, comme Hector de Saint-Denys. Ses vers sont beaucoup plus simples que Nelligan, d’ailleurs. Mais ça ne veut pas dire que ses textes sont moins poignants, au contraire.
Je pense à «Cage d’oiseau». C’est le premier qui m’est venu à l’esprit, puisque je viens de lui citer «Les Corbeaux». Mais ce n’est pas que ça. Lorsque je l’ai lu pour la première fois, j’ai senti quelque chose de fort. Ce poème m’a parlé, m’a rappelé ma perpétuelle impression d’isolement. Le sentiment compliqué que j’ai parfois d’être emprisonné en moi-même.
-Tiens, je t’en donne un extrait. Les mots sont simples, tu risques de mieux comprendre.
Je décide de réciter les vers un peu plus lentement pour qu’Enora puisse bien comprendre.
-«Je suis une cage d’oiseau/Une cage d’os/Avec un oiseau/L’oiseau dans ma cage d’os/C’est la mort qui fait son nid.»
Je reprends avec une autre strophe, ma préférée.
-«Il ne pourra s’en aller/Qu’après avoir tout mangé/Mon cœur/La source de mon sang/Avec la vie dedans/Il aura mon âme au bec. »
Si je suis un minimum cultivé, ce n’est pas à cause de l’école. Non, c’est loin d’être le système éducatif qui m’a appris tout ce que je sais. Et ce n’est sûrement pas ma mère non plus. Enfin, c’est indirectement grâce à elle si je me suis intéressé à la littérature. Heureusement qu’elle n’a jamais jeté cette boîte de vieux livres, cette véritable mine d’or intellectuelle…
-En fait, de tout ce que je sais, j’ai surtout appris par moi-même. Il faut dire que j’ai souvent été laissé à moi-même, dans ma vie.
Oui, j’ai toujours dû me débrouiller seul. J’ai dû me donner mes propres valeurs, développer ma propre façon de penser. En fait, je suis quand même heureux de ça. Ma personnalité n’a pas été manipulée par qui que ce soit. Bien sûr, Jake m’a influencé mais… C’est Jake. Il m’a surtout appris à rester moi-même coûte que coûte. Je me dis que c'est la première fois que je me mets à parler à ce point avec quelqu'un, à Volfoni. Ça me fait un bien fou d'avoir rencontré une fille comme Enora.

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