Rondes. | Mandy-Lou.

Il était en retard. Evidemment.
Le seul jour où il fallait être à l'heure, il ne l'était pas. Jordan les avait fait traîner sur le terrain pendant des plombes, tout ça pour les lâcher d'un coup de revers de main comme des malpropres. Le stress des championnats, il pouvait le lui accorder. Pas l'impolitesse qui en découlait. Si c'était l'oeuvre de sa vie, c'était son problème. Lui y prenait part de bon cœur et était déjà bien assez généreux d'assister à tous les entraînements qu'il leur imposait. Une dernière année de sûreté à la place de capitaine, une dernière année pour arriver au bout de sa soif de reconnaissance. Salvatore aurait menti s'il avait dit qu'il savait ce que c'était, et ses préoccupations étaient bien moins romancées. Il était hors de question qu'il aille danser plein de la sueur du basket, la douche l'avait mis en retard, c'était déjà bien assez contrariant et malheureux comme cela.

Il arriva devant la porte du studio grande ouverte et constata que, par miracle, le cours n'avait pas commencé. Se posa dans l'encadrement, maria le fer à sa hanche, fixa sa partenaire, de dos, mais il aurait reconnu ce dos parmi des milliers. Elle était déjà changée, lui peinait à faire sécher ses cheveux sous sa serviette, et il la regardait comme pour l'évaluer. Mandy-Lou Carvalho. Avec un nom pareil et conjugué à sa peau brune et à son cul de mama, il se serait coupé les deux mains si elle n'avait pas été brésilienne. Et cela aurait été mentir qu'affirmer qu'elle ne lui plaisait pas. Elle n'était pas belle, certainement pas mignonne, mais elle rayonnait. Tout ça parce qu'elle prenait bien la lumière.
Pas besoin de la voir danser pour le savoir.

Son regard dissuada les dindes des premiers rangs de squatter le coin qu'il se réservait lorsqu'il était là et il y jeta son sac et la serviette qu'il avait sur la tête. Salvatore arracha à son fardeau ce dont il avait besoin pour se changer et décida qu'il se sentait seul et qu'il irait emmerder cette chère princesse tout de suite. Elle l'avait sans doute vu, qu'importait. Dès que ses doigts eurent l'audace de frôler sa colonne vertébrale, elle pu savoir de qui il s'agissait.

- L'avantage, c'est que tu ne me verras jamais arriver.

Huhuhuhu.
Adorable.

Son sourire en disait long sur ses attentions et, il le savait, Mandy-Lou n'était pas suffisamment idiote pour les ignorer. Ce n'était pas pour rien que son partenaire était absent aujourd'hui. Ce n'était pas pour rien non plus qu'il avait passablement préparé le terrain au téléphone avec elle. Il n'était d'ailleurs pas certain d'avoir répondu à tous ses SMS, espérait qu'elle ne lui en tienne pas rigueur trop longtemps. Sait-on jamais avec ce genre de bestiole.
Et quelle bestiole.
Mandy-Lou était une créature qui ne devait pas simplement briller par son corps. Son esprit était aiguisé, ses répliques acérées et il était plus que probable que Jordan Evans ait lorgné sur elle vu sa tendance à apprécier les créatures diamétralement opposé à sa propre réalité, ce qui était en soi un compliment. Salvatore comprenait aussi pourquoi Adriel avait l'air de l'apprécier à ce point, un autre compliment pour son cul de latine qui passait les portes par on ne sait quel miracle, peut-être qu'il restait du lubrifiant d'une de ses sextapes dessus pour l'aider à les glisser partout où elle passait. Non, c'était méchant. En vrai il la trouvait adorable et lui aurait même pardonné sa petite pique mesquine à l'égard de ses petits doigts baladeurs. Fallait pas déconner non plus. Salvatore esquissa un de ses fameux sourires de fouine, leva les yeux au ciel. La première syllabe traînait en longueur pour exagérer le côté présumé évident.

- Maaandy. Mandy Mandy Mandy. Je peux t'appeler Mandy ? Mandy-Lou, dirons-nous. Je ne vais pas te demander de me trouver gentil, ce serait une grossière erreur de te prendre pour une imbécile, et je ne vois pas non plus en quoi cela nous profiterait de nous voiler la face. Tu danses, c'est sans doute notre unique point commun, avec le fait que nous soyons honnêtes tout les deux. Je sais, on ne dirait pas. Mais je suis un salopard, pas un menteur.

Ses yeux noirs disparurent derrière son haut lorsqu'il le retira, mais même sans le voir, c'aurait été une erreur de la part de la demoiselle d'ignorer son sourire. Il revint à elle bien vite, de toute façon.

- Sans rire Mandy-Lou, ton partenaire ne sera pas absent toute une vie et... et tu n'imagines pas comme c'est triste de danser seul dans cette salle. Parce que oui, je n'ai que cette salle pour moi, cela va sans dire que le problème ne se poserait pas si je pouvais danser... avec ma soeur, par exemple. Elle ne sait pas danser, mauvais exemple, mais si j'avais de la place et un partenaire digne de ce nom tu penses bien que je ne serais pas non plus en train de te mendier cette danse. Une moue contrariée farda son visage l'espace d'un instant. Oui parce que je mendie, là, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué.

Si ce n'était pas assez clair pour toi, et si tu aimes te faire désirer. Il soupira, croisa ses bras sur son torse et oublia presque de finir de s'habiller, laissant pendouiller son haut dans l'une de ses mains.

- Savoir danser... C'est peut-être un concept trop élogieux. Je sais compter, je sais être en rythme et je connais les pas de base tango, rumba, cha-cha. J'ai appris en leur donnant des noms de capitales pour les reconnaître, mais depuis ce temps-là je sais à peu près comment me placer, rassure-toi.

Joli sourire. Joli cette fois, vraiment.

- Alors, madame la juré ? Je suis pris ?

Oui, parler, ça fait partie de mes innombrables talents. Parler à loisir, à foison, sans interruption ou peu importe. Son sourire n'en était que plus ravageur.
Au loin le charmant, cela va sans dire, professeur Fharak s'amusait à les maquer l'un avec l'autre et, s'il était mignon, il n'en était pas moins idiot de penser une seule seconde que Mandy-Lou reste sa partenaire à jamais. Dans les faits Salvatore dansait très bien tout seul, il le savait en plus, mais le fait était que dans danse de couple il y avait couple et qui dit couple dit deux personnes. Le truc, c'était que Salvatore n'était qu'un et qu'insinuer sa solitude comme étant récurrente aurait été un euphémisme que lui-même ne tolérait pas. Fharak souriait, Salvatore souriait à Mandy-Lou et cette dernière tirait la gueule. Et après ça se croit indispensable. Encore plus quand c'est aussi aimable qu'une porte de prison et... quoi ?
Un pékinois ?

Le sourire de Salvatore avait cela de légendaire qu'il changeait d'expression sans jamais bouger, un peu comme le visage de Pénélope pouvait tout exprimer sans jamais faire plisser la peau de ses joues rondes. Il était fidèle à lui-même : totalement présent, enjoué et quelque peu prétentieux, et rien, nulle part, ne trahissait le moindre grincement. La plus petite preuve qu'en lui se préparait une tsunami d'insultes plus joviales les unes que les autres.
Rien du tout.
Il souriait.
Ravalait sans aucune difficulté mais avec une amertume assez évidente toutes les saloperies qui auraient pu échapper aux lèvres de Pénélope, mais pas aux siennes. Cela dit, Pénélope aurait été très drôle à cracher son venin sans bouger un cil. Oui, penser à elle était une délivrance, parfois.
Bien.

- Je ne sais être que fabuleux, navré.

Lui, sa voix de salope était forcée. Pardon, non, pas salope, plutôt grosse putasse sans aucune éducation, ce dont s'approchait plus Mandy-Lou à ses yeux. Une putasse adorable cela va sans dire, mais une putasse quand même. Fallait pas déconner.
Et donc il faudrait danser ensemble. Son œil dérapa un instant sur Monsieur l'Arabe sexy qui s'en foutait comme de sa première espadrille, et dans tout cet acharnement sur sa petite personne c'était encore ce qui lui faisait le plus mal. Mandy-Lou s'éloigna en roulant du cul - de toute façon elle avait le choix entre le rouler et le traîner et à sa place Salvatore aurait vite choisi aussi - balança une nouvelle réplique qui déjaunit son sourire et il put cacher son torse d'Apollon sous un débardeur à peine trop grand. Paaaarfait.
Rester plus qu'à avaler la décision du Saint Père Fharak de jouer la femme dans le lot. Ça faisait toujours mal à son petit kokoro tout mou.

Juste le temps d'écarter son sac avec le pied et de rejoindre la grosse... grosse au milieu du studio, embrayer avec un nouveau sourire et se retenir très, très fort pour ne pas lui pincer les côtes. Dieu que c'était tentant mais non, non, pas de ça maintenant.

- Bien ! Messieurs dames bonjour, j'espère que tout va bien pour vous depuis la dernière fois. Personne ne s'est échauffé je suppose alors je vous laisse deux minutes pour faire quelques étirements avant que nous commencions, mais mettez les bouchées doubles quand même. Les habitués, vous savez ce qu'il faut faire, et vous...
- Vous me connaissez monsieur Fharak, je suis plein de surprises.
- C'est ça. Au boulot !

Et il était tout fier de sa connerie.
Tourna la tête pour signifier son contentement à sa voisine qui se trouvait quelques étages plus haut, lui n'atteignant même pas ses seins. Il leva la tête, un peu moins comblé qu'il l'aurait voulu. La vie était cruelle.

- T'as vu, même lui est d'accord. Je suis sûr qu'avec un peu de travail je pourrais me le faire.

C'est ça. Ta gueule et étire-toi.

Pas juste de surprises.
Il lui en foutrait des pas que de surprises tiens, et après avoir lui aussi dissuadé l'autre con de glousser d'un simple regard, le voilà la cheville tranquillement soutenue par la barre au mur, la pointe un peu raide et les muscles de la jambe tendus. C'était de plus en plus facile cela dit, même si c'était faire beaucoup d'heures de sports par semaine et que ça finissait pas être épuisant, à la longue. Jordan en avait peur de ces championnats. Il avait raison.

Un instant de paix le front contre le genou. Il ne l'entendait plus piailler sur lui, il ne l'entendrait plus jamais, plus personne jusqu'à la fin du cours et pour la énième fois il se rendit compte d'à quel point ça faisait du bien de ne pas faire quelque chose par défaut. D'avoir choisi. C'était con de se dire qu'il y avait encore beaucoup à faire de ce côté-là
Tourne la tête pour mieux l'entendre malgré tout. Mandy-Lou avait cela de fascinant que sa voix portait bien plus loin que quiconque à ses oreilles. Peut-être à cause du fait qu'il l'entendait tous les soirs passer devant l'épicerie en gueulant le nom de sa mère et que le son de sa douce - mais rauque, mais douce - voix lui rappelait que c'était bientôt l'heure de descendre à table, confronter son père, sa mère, faire semblant d'aller bien aussi.
C'était fou qu'elle n'ait jamais accepté de lui laisser ses sœurs quand elle partait en guerre. À trop vouloir être fort on finissait par élargir ses faiblesses.

Ses yeux s'ouvrirent un peu plus à sa question, sa jambe porteuse se plia et son doigt pointa immédiatement vers le lourd de plus tôt, qui se sentit visé et tourna la tête vers lui en silence, étrangement.

- Lui. Lui j'me le suis pas farci. Faut pas déconner, eh.

Et change de jambe. Il resta quelques secondes en place, rien de dramatique ; travailla ses pointes une seconde avant de rejoindre sa partenaire, prendre ses marques à sa droite - va savoir, son épaule droite était plus chatoyante peut-être. Même pas à contrecœur. Il n'y avait pas moyen qu'on le prive de son petit plaisir personnel, même Fharak le savait, il en était presque silencieux et assidu. Presque silencieux seulement.

- Sincèrement, t'as vu ma gueule ? Tu me vois dans un autre rôle que celui de la nana ? L'homme j'l'ai fait une fois, et votre place est vachement plus confortable, la prostate en plus.

Ne pense pas à cette première fois, franchement. Ni à la seconde.
Une main pour mettre ses cheveux en arrière, sans succès. Comme si y penser très fort allait les figer hors de son champ de vision.

- C'est quoi aujourd'hui ? Samba ? C'est droite avant, cercle, avance et gauche, c'est ça ?

Petite démo hésitante pour accompagner la question.

- Tu f'ras attention à ma tête avec tes bras, j'ai pas envie d'me les prendre dans la gueule.

Hein ? Bon.