Vers de nouveaux horizons [Danail Dragomir & ???]

[IRP: L'intrigue débute au niveau des salles de cours]

Le monde ne tourne pas vraiment rond aujourd’hui… J’ai la tête lourde, les idées pas claires, et pourtant mon esprit s’exprime avec la volupté d’une brise. J’suis ailleurs, mon âme vagabonde parmi les fleurs, pendant que les autres écoutent servilement le vieil imbécile en face d’eux. Ils sont inertes, sans intérêt, aussi neutres qu’un point abandonné sur une feuille blanche. J’entends leurs voix ; je sens leur odeur de lessive et de (trop) propre ; je devine leurs regards rivés sur ma silhouette avachie ; mais c’est comme s’ils n’étaient pas là. Je n’ai pas envie de me mêler à leur cohue pétrifiée. T’façon quel intérêt ? J’arrive pas à m’concentrer sur la tête engourdie du prof’.

C’est marrant, de réussir à se mettre dans cette bulle mentale : les mots que j’entends coulent sur moi sans m’atteindre. Il n’y a que ma propre voix, mon propre souffle que je perçois, que j’apprécie, que j’écoute. Le reste j’l’emmerde. Rien n’a d’importance. Même mon dos et mes hanches douloureuses, à force d’être restées dans cette position recroquevillée sur ma table, m’importent peu. Tout l’monde sait que j’pionce tranquillement pendant qu’ils se font chier à essayer d’capter ce que dit not’ bon vieux prof’ d’Histoire. Pfffft ! Y’a bien quelques trucs intéressants, mais aujourd’hui, ça tourne pas rond.

L’opinion générale dirait que j’ai « un petit coup d’blues » ; c’est le genre de matins qui puent par leur médiocrité, leur insignifiance, leur manque cruel d’action et de diversité. Et paf, tous mes efforts pour être un minimum sociable et sympa s’envolent avec l’inexistence d’extraordinaireté de cette putain de journée de merde qui pue et qui m’emmerde.

Mais au moins ça active ma productivité ; la preuve : mon vocabulaire fleurit étrangement dans certains domaines. Mais pas de soucis par ici, notre « Master Of History » vomit son cours de façon si rapide et si incompréhensible qu’aucun de mes compagnons ne pense à me faire des remarques. ‘Sont tous subjugués par leur feuille et leur stylo, à récupérer le maximum d’infos – et du coup ces cons réécrivent deux ou trois fois la même chose. Vaine tentative.

L’heure passe avec la douceur d’une caresse. Je ne m’ennuie pas, même si mon attitude le laisse penser. Je somnole, et pourtant je reste consciente du reste du monde ; la réalité s’entremêle avec mes rêves ; j’ai l’impression de visiter mon subconscient de plein fouet, avec les yeux écarquillés, sans sombrer dans le flou, l’incrédulité ou la confusion. Le seul problème : j’ai beaucoup de mal à réintégrer cette réalité vulgaire qu’est notre quotidien. Je reste en général en suspension entre les deux jusqu’à ce que je ne me réveille totalement – un appel, une agression, une chute, n’importe quoi qui m’oblige à entrer en contact avec les autres – ou que je m’endorme (et c’est tout de même plus agréable).

Encore une fois, contrairement à ce que je laisse penser et à ce qu’on peut naturellement s’imaginer, je suis réellement plus productive. J’écris d’avantage ; je peints toute la nuit ; je dessine de nouveaux vêtements pendant mes somnolences, ne me souciant que des multitudes d’idées qui flottent dans ma tête. Je suis plus organisée. Moins de stress. J’fume presque plus. C’est bizarre non ?

T’inquiètes, ça dure pas longtemps. Deux jours max. Faut pas déconner non plus.

Ça sonne. L’heure est passée. Fin du cours, fin des rêveries, début d’une nouvelle somnolence.  Je sors lentement en baillant, les yeux rivés sur mes docks, l’air ailleurs, évidemment. Je tourne à droite, prête à prendre les escaliers pour descendre à la cantine ; le couloir est bondé : un brouhaha frénétique agresse mes oreilles, et j’essaye d’éviter au maximum le contact avec les autres. Manque de pot, un connard m’a bousculé et s’est mis à brailler sur quelqu’un juste derrière moi ; le choc, bien que peu violent, a été assez brutal pour briser l’harmonie psychique dans laquelle je m’étais confortablement installée depuis ce matin.  

Du coup, dans un élan d’irritation – faut pas m’emmerder, quand j’suis comme ça, j’ai d’jà dis que j’devenais associable et pas sympa – assez impulsif, je me retourne et, sans chercher à savoir qui était l’idiot et ce qu’il voulait à sa victime, j’essaye de l’pousser furieusement en balançant mon épaule sur son corps (heureusement) pas trop costaud. Allez ta mère, cou-couche panier sale pute, ça m’énerve quand on m’violente de c’te façon lorsque j’ai mes « coups de blues ». PERSONNE ne peut m’emmerder dans ces cas-là. Même ma mère, t’entends, grognasse ?

« ON M’POUSSE PAS, OKAY ? » hurlais-je alors à sa silhouette chancelante. J’ai pas réussi à l’faire tomber, mais il a été assez déstabilisé pour faire un pas sur le côté et pour cligner des yeux de façon spasmodique (l’était certainement en train de s’demander c’qui v’nait d’se produire…).

Et puis sans plus de cérémonies, grommelant en me retournant, je m’apprêtais à repartir quand j’aperçus la « victime » de la racaille malpolie. La petite Danail. En voyant son visage et son accoutrement bizarre (mais que je trouvais particulièrement intéressant, en tant qu’amoureuse de fringues), je me figeais, sans pouvoir détourner le regard de sa frimousse adorable. Mauvaise idée. La racaille vexée en profita pour me renvoyer l’affront que je lui avais fait. Et paaaaaf ! Une violente secousse qui m’envoie dans le mur. Putain.