Lumière. [Sigrid Oleksander & Spencer J. Drexler]

« Merde »
Ce fut le premier mot que Spencer prononça quand elle se réveilla ce matin, en fait c'était plutôt un soupir qu'elle poussa. En effet, elle s'était endormie la veille, les fenêtres ouvertes, et le vent qui s'était engouffré dans son minuscule appartement avait fait un chahut épouvantable. Des dizaines de feuilles et de photos étaient éparpillées sur le sol et les quelques posters qu'elle avait accroché en tant que décoration provisoire avait été arrachés de leurs punaises. Ils étaient foutus, bons à mettre à la poubelle. Elle passa une main sur son visage, il était tout humide, presque collant. Elle se demanda alors si la rosée ne s'était pas déposée sur elle comme si elle avait été une fleur. Ou bien c'était de la transpiration … La deuxième hypothèse lui semblait beaucoup plus juste. Elle se redressa et referma toute les fenêtres quand elle senti un courant d'air frais, presque froid, s'aventurer dans sa chambre ( qui lui servait aussi de salon, de bureau et de salle à manger ).
Elle évolua donc entre les feuilles, les papiers et les posters simplement vêtu d'une culotte et se rendit dans ce qui lui servait de cuisine afin de trouver quelque chose à se mettre sous la dent. Mais rien. Une, deux, trois fois rien. Elle ne trouva qu'une boite de céréales et ceux-ci étaient mous et pâteux, ils avaient prit l'humidité. Elle en mastiqua une poignée avant de les recracher dans la poubelle, elle mit ensuite le reste du paquet de côté en pensant que les oiseaux en voudront sûrement. Puis elle revînt dans la pièce à vivre, elle attrapa tout ce qui avait été mit par terre et fit deux piles, une pour les feuilles, l'autre pour les photos, elle enroula et jeta les posters à moitié déchirés.
« Merde ! »
Celui-là elle l'avait presque crié, elle venait de se rappeler qu'elle devait voir son binôme aujourd'hui, elle n'avait rien préparé, elle n'était pas habillée et en jetant un coup d’œil à sa montre elle remarqua qu'elle allait sans doute être en retard. Prise d'une vivacité qui lui était rare, elle bondit vers la commode et en sortit à toute vitesse un pantalon, une chemise et des sous-vêtements propres. Elle les enfila le plus vite possible et sortie en trombe de son appartement en attrapant son énorme sac au passage. Si ses souvenirs étaient bons son partenaire, ou bien sa, s'appelait « Sigrid ». Sigrid … A vrai dire son nom lui évoquait plutôt celui d'un chat que celui d'un humain. Elle se demanda alors si elle allait travailler avec une fille ou un garçon. Elle espérait en tout cas qu'elle ne serait pas prétentieuse comme la plupart des personnes qui se prennent pour des artistes car ils photographient tout une tas de conneries en noire et blanc. Elle aussi faisait des photos en noire et blanc, mais son truc c'était les portraits, et pour l'instant, ce n'était pas encore terrible.
Une fois arrivée devant les grilles de l'académie qu'elle remarqua qu'elle avait boutonné n'importe comment sa chemise vert émeraude. Elle regarda autours d'elle si personne ne l'avait vu mais l'endroit était désert. De toute manière, en temps normal les gens la remarquaient à peine. Elle gravit alors les quatre étages avant d'arriver sur le toit, le bâtiment était plongé dans un silence reposant.
Mais à peine eut-elle ouvert la porte, qu'une jeune fille toute menue lui rentra dedans, à endroit où Spencer aurait dû avoir une poitrine, enfin, une vraie poitrine.

-... Oh.

Elle semblait à la fois surprise et en même temps un peu dans la lune.
Spencer ne répondit pas tout de suite, elle l'a jaugea un instant. C'était donc elle Sigrid, en fin de compte ce n'était pas un chat mais une petite jeune fille avec d'immenses yeux bleus. Spencer sentit une chose étrange émaner de sa partenaire, une chose que les autres n'avaient pas mais elle ne sut ce que c'était. Puis elle baissa les yeux, elle vit alors que la peau de ses doigts avait été grignoté et laissait apparaître, à certains endroits, une chaire rose vif. Elle sortie alors son appareil et la prise en photo un peu par surprise, elle espérait que ce qu'elle avait ressenti en la voyant elle réussirait à le mettre dans cette photo. À ce moment là, un coup de vent se faufila entre les deux étudiantes et cacha alors les yeux bleus de sa partenaire, la photo n'en était que plus forte aux yeux de Spencer.
Elle se dit alors qu'il serait convenable de saluer les gens avant de les prendre en photo.

-Salut, dit elle en restant plantée devant elle.

Sa voix était rauque et chevrotante car elle n'avait pas parler depuis très longtemps.Elle ne savait pas si elle devait lui serrer la main ou bien lui faire la bise ou encore autre chose. Puis elle se demanda si la fille qu'elle avait prit en photo était bien Sigrid, peut-être pas. Peut-être que Sigrid était en retard. Elle se sentit bête sans raison.

-Spencer !

Quand sa camarade prononça son prénom, Spencer se sentit rassurée, elle ne s'était pas trompée. Elle ne sait pas comment elle aurait réagi si ça n'avait pas été Sigrid qu'elle aurait salué. Puis elle se dit qu'au fond elle s'en fichait.
Après ça, la Sigrid en question gambada vers le milieu du toit, Spencer se demanda alors ce qu'elle avait bien derrière la tête pour sembler à ce point aussi enthousiaste. Ce n'est qu'après s'être agenouillée qu'elle remarqua alors qu'elle allait juste vers son sac. Depuis tout ce temps, elle n'avait pas bougé. Sigrid déballa alors tout un bazar de son sac et elle éparpilla vite d'énormes classeurs, de fiches plastifiées ainsi que bien évidemment de photos. D'ailleurs ces classeurs étaient tellement énormes que Spencer se demanda comment elle arrivait à les porter avec le petit gabarie qu'elle possédait. Elle n'avait toujours pas bougé. Elle tripota de nervosité les boutons de sa chemise lorsqu'elle comprit qu'elle devrait alors elle aussi lui montrer les photos qu'elle avait fait et qu'elle allait sans doute les juger. Elle n'était pas spécialement timide ni même pudique, mais elle éprouvait toujours une certaine pudeur lorsqu'une personne regardait son travail alors qu'elle était là elle aussi.
Puis Sigrid tourna la tête et sa voix l'a sortit de ses pensées.

-Viens me dire ce que tu en penses !

Machinalement elle commença à sortir une pochette cartonnée de son sac où elle avait mit les siennes. Elle brûlait alors d'envie de voir ce que faisait Sigrid, elle n'avait alors jusque là aucune idée de qui pouvait bien être la jeune fille et donc à quoi pouvait ressembler ses photos. Pour le thème, Spencer avait sept photographies de maisons ou d'appartements abandonnés. Sur ces photos, la nature avait repris le dessus sur la création de l'homme en recouvrant les murs de lierres et de mousses, en rongeant les volets et les portes, la branche d'un arbre avait même poussé à travers une fenêtre qui avait volé en éclat, elle repensa à son réveil.
Une fois assise en tailleurs devant Sigrid, elle pu contempler les œuvres toutes aussi mystérieuses et envoûtantes que son artiste ...

-Dégueulasse.

Spencer ne put s'empêcher de faire cette remarque en apercevant le travail de Sigrid. Elle ne se sentit même pas gênée de le dire ainsi à haute voix. Franchement Dégueulasse même ! Elle feuilleta quelques pages et tout ce ressemblant, c'était à la fois flippant et triste … et malsain aussi. Le pire c'était les chats, ces pauvres petits chats. Spencer aimait les chats. Elle aimait leur fourrure, leurs oreilles, leurs moustaches, leurs miaulements, leur façon de se dandiner en marchant … Enfin elle les adorait, et les voir de cette façon lui fit comme un pincement au cœur. Elle se fichait totalement des autres animaux, mais les chats, c'était une autre histoire. Elle attrapa les quelques photos qui représentaient des paysages et les décala sur le côté. Sigrid avait donc un côté humain tout compte fait.

-Tu avais des idées pour le sujet ? J'y ai pas trop réfléchi.

Elle ouvrit donc en grand sa propre pochette et la mise sur les photos de Sigrid pour ne plus les voir.

-Quelques trucs, pas grand chose en fait. Je pensais surtout à la nature, le contraste entre la nature et les hommes... enfin je veux dire ce qu'ils ont fait. Enfin c'est les maisons, ils ont pas fait que des maisons ! Mais je pensais aux maisons ...

Cela faisait longtemps qu'autant de mots n'étaient pas sortis de sa bouche, elle s'emmêla alors un peu les pinceaux en essayant de dire tout ce qu'elle pensait. Mais c'est comme si les mots arrivaient trop vite elle qu'elle n'arrivait pas à tous les contrôler.

-Enfin, tu vois quoi !