Sorenjral Eiril - Sombres couleurs

On l'avait amené là, avec une explication faite à la va-vite parce qu'on considérait qu'il était trop jeune pour comprendre. Ça ou on savait pas plus. Mais le garçon ne s'en incombera pas, de même de ces nouveaux visages qu'il n'osera pas observer, de ces nouveaux lieux qu'il va à peine explorer, de ces nouvelles activités qu'il va peut-être essayer.

Autiste est l'étiquette qu'on lui a collé sur le front dès son entrée dans l'orphelinat. Une étiquette lourde se sens et de conséquences, mais loin d'être complètement fausse. Il ne comprenait pas le second degré. On n'était même pas certain qu'il comprenait ce qu'on lui disait. Les rares fois où les autres enfants lui parlaient, il ne les regardait même pas dans les yeux, il fixait, dans le vide, incapable de maintenir un contact si simple que l'échange de regard. Simple mais tellement angoissant.

Alors on ne s'intéressait pas à lui, on estimait qu'il ne voulait pas savoir les raisons de sa présence ici. Un abandon, pur et simple, de ses parents, à sa naissance. Seul dans un coin de la grande salle lorsqu'il se décidait à quitter sa chambre, il se murait dans son monde sombre de silence et de dessin. Le seul moment où il apparu moins morne, est lorsqu'une assistante sociale lui offrit son carnet à croquis dans lequel il est plongé nuit et jour. C'était plus pour épargner les éducatrices de ses demandes muettes incessantes de papier pour qu'il puisse crayonner.

A neuf ans, une assistante le prit en pitié. Elle ne supportait pas de le voir ainsi renfermé, un enfant doit vivre, faire des jeux, être heureux et innocent, pas dessiner ces scènes sombres et angoissantes dans un énième carnet. Il fallait qu'il sorte, qu'on s'occupe de lui ! Elle était persuadée qu'avec un peu plus d'attention, il s'ouvrirait plus.

On aurait pu penser que cela allait aggraver les choses, qu'il allait faire une crise d'angoisse et devenir violent. Mais même si les symptôme de son autisme étaient profonds, l'enfant ne s'emporta pas et obéit à l'assistante sans opposer beaucoup de résistance. On pensait qu'il était heureux de partir. Loin de là. Juste que ça ou autre chose, cela ne changeait rien, du moment qu'on lui laissait son carnet à croquis.

Geirangerfjord, un paysage magnifique qui s'étend sur des kilomètres. Un lieu naturel où les sons n'étaient pas ceux des voitures, des trains ou des klaxons qui pouvaient retentir. Seuls les oisillons implorant leurs mères de les nourrir. Pour la première fois, on pouvait voir sur le visage de Sorenjarl une émotion. Ce n'est pas jusqu'à dire qu'il était émerveillé au point d'avoir des étoiles dans les yeux, mais on pouvait voir qu'il appréciait ce magnifique paysage.

Non contente de son succès, l'assistante s’attela à lui apprendre à parler entre deux croquis de cascades, plaines et forêts. On peut dire que c'est une des meilleures périodes de sa vie, et si la suite n'était pas moins positive, il en garda un souvenir spécial. Avoir accepté de suivre quelqu'un lui a permis de découvrir un paysage autre que celui de la ville qu'il voyait au travers des fenêtres de l'orphelinat. Ses dessins étaient devenus bien plus clairs, colorés et surtout moins angoissants.

De retour à l'orphelinat, les éducatrices furent ravis de trouver un Sorenjarl plus vivant, répondant aux questions. Avec un vocabulaire certes limité mais celui-ci s’enrichit au fur et à mesure que les jours passaient. Il avait toujours du mal avec le contact visuel et préférait tout de même la solitude mais il était un tout petit peu plus aisé de l'aborder.

Mais savoir parler ne changeait pas au fait qu'il ne comprenait pas les nuances que les paroles pouvaient avoir, il ne comprenait pas non plus certaines choses comme l'empathie. Se mettre à la place de quelqu'un, c'est quoi exactement ? Il a déjà bien du mal à se mettre à sa propre place. Il se rendit bien compte que s'il avait appris à parler, tout n'était pas rose et il ne comprenait pas tout.

Alors il faisait des expériences. Des expériences dangereuses, que l'on pouvait presque qualifié de glauque. Il voulait comprendre ne serait-ce qu'un peu. Qu'est-ce que c'était que d'avoir mal ? Il avait vu un camarade se faire mal en se coupant. Alors il se coupa les avants-bras. Il avait mal. Il avait mal mais il n'avait pas envie d'en pleurer comme l'autre petit garçon. Il ne comprenait toujours pas. Les éducatrices s'emportèrent, lui enlevant le couteau qu'il avait dans ses mains, et tentèrent au mieux d'arrêter les saignements. Elles parlaient fort et le garçon ne comprenait pas.

L'assistante sociale avec qui il s'était un peu ouvert fut convoquée d'urgence pour s'entretenir avec lui, pour comprendre la raison de ce geste. C'était comme s'il voulait mettre fin à ses jours, devant tout le monde. C'était ce qu'extérieurement on voyait. Lui qui voulait juste comprendre, on lui interdit de recommencé. Parce que ça avait fait peur à tout le monde, qu'il ne faut pas faire ça. Alors le petit garçon obéit, même si ça restait très flou.

Les années passèrent et sa technique de dessin s'améliora, devenant moins hasardeuse, plus précise, avec des couleurs restant quelque peu sombre mais bien plus harmonieuses. Il était toujours incapable de dessiner une personne, ou très vite l'ambiance de l’œuvre devenait plus macabre et noire. L'orphelinat était plutôt fier d'avoir pu rendre cet enfant dont ils se demandait ce qu'il deviendra.

Aussi, à sa majorité, on l’encouragea à louer une petite galerie en ville pour y exposer ses tableaux, ce n'était pas gratuit, alors pour avoir l'entrée, il fallait donner un euro symbolique. La galerie n'était vraiment pas grande mais cela suffisait pour le peu de visiteur qui y allaient.

Pourtant, parmi ceux-ci s'était glissé un peintre professionnel qui fut surpris et intéressé par ce jeune peintre amateur. Alors il fit en sorte de le rencontrer pour tenter de l'encourager à continuer. Cela peut sembler étrange pour un peintre de faire en sorte que quelqu'un d'autre entre sur le marché, au risque de lui faire de l'ombre. Mais il estimait ces peintures et celles-ci lui ont permis de retrouver de l'inspiration. Le point de vue du jeune homme lui avait fait écho. Ce pourquoi, pour le remercier, il lui parla de Volfoni.

Une académie où le parcours arts-plastiques était renommé, où il serait sur de trouver de nouvelles techniques pour que ses dessins soient toujours plus beaux. Certes, c'était en Amérique, mais il est majeur et les obligations légales de l'orphelinat ne sont plus d'actualité. C'est avec l'aide du peintre qu'il put avoir l'argent nécessaire pour y aller.

Sorenjarl ne vous regardera jamais dans les yeux, cela l’angoisse comme jamais. Certains diront qu’il est timide, d’autres qu’il est fou. Ce à quoi le jeune homme peut répondre qu’il était bien pire, avant. Il ne parle pas beaucoup, certes, mais avant, il ne parlait pas du tout. S’il ne parle pas, c’est parce qu’il a honte de son manque de vocabulaire. Pourtant, il comprend énormément de choses mais ne sait aligner des phrases qu’un garçon de son âge doit être capable de faire. Alors il préfère se taire.

De ce fait, Sorenjarl parait excessivement calme, sans émotion, bien qu’intérieurement se soit une autre histoire. Le fait qu’il ne rit jamais n’aide pas, même si maintenant il est capable de sourire si une situation s’y prête. Malgré les quelques tentatives de suicide qu’il a pu faire plus jeune, il est heureux de vivre, de pouvoir voir la nature vivre, les nouveautés complètement inutiles mais pas de son point de vue, et surtout, continuer de « voir » les fantômes, imaginer leur monde et spéculer sur les différentes réincarnations.

Les autres le trouvent étrange et franchement inquiétant et le fait qu’il soit lunatique ne doit pas aider cela-dit. Il pouvait sourire et d’un coup, parce qu’une pensée lui traverse l’esprit à ce moment là, un visage sans aucune expression pouvait prendre place. Il pouvait être plutôt normal et devenir tout blanc d’un seul coup, sans que l’extérieur sache pourquoi. Sans que lui-même ne comprenne pourquoi.

Lui et les règles sociales, ça fait plus que deux. Il ne les comprend pas et a du mal à les intégrer. Pourtant, il s’efforce à les suivre, quand bien même pour lui, c’est complètement flou ou inutile. Certaines choses pourtant ne changent pas. S’il ne parle pas beaucoup, il est tout de même très franc, ne sachant pas ce qu’est le tact. Si vous voulez des compliments, ne le forcez jamais à donner son avis. Sauf si vous êtes vraiment certains de votre coup.

Tout en lui est sombre, et cela passe par ses cheveux, ses yeux mais aussi sa manière de s’habiller. Il ne fait pas spécialement attention à ça d’ailleurs, il prend souvent le premier T-shirt/sweat/chemise/haut pantalon venus les mets, prend son petit déjeuné et part en cours. Il ne se coiffe que très rarement, seulement lorsqu’on lui demande de manière plutôt insistante. Il n’en voit pas spécialement l’intérêt, surtout que le lendemain, ses cheveux sont de nouveau dans un état pas possible. De ce fait, on ne peut pas dire qu’il soit spécialement beau. Il n’est pas hideux, il est juste banal. Même sa taille l’est. Et quelqu’un de banal qui ne soigne pas son apparence fait qu’il passe soit inaperçue, soit pour quelqu’un de non soigné et est vite mis à l’écart.